Avoir eu la chance d’écouter deux fois le trio de Gentiane MG en quelques jours* est une chance de voir vivre les morceaux qu’elle interprète, nantie d’une nouvelle maturité et d’une joie de jouer si communicative qu’elle achève de convaincre tous ceux qui l’écoutent que nous avons ici affaire à une artiste appelée à compter.
Les titres de son superbe dernier album Walls Made Of Glass témoignent du fait qu’elle a franchi un plafond de verre personnel, affichant désormais une liberté pleine et entière, encore magnifiée par l’exercice du trio qui lui permet l’usage de tensions harmoniques plus nombreuses que lors de la performance en piano solo à laquelle nous avions assisté en 2022.
La piste éponyme, en particulier, affiche une structure évolutive propice à des interprétations fluctuantes, à la manière d’un corps de lumière qui reflèterait les mille nuances du jour. La composition inédite jouée lors des deux sets, évoquant la chute d’un papillon, est à cet égard particulièrement émouvante, tant la trajectoire décrite est ascensionnelle, au contraire de ce que son intitulé laisse supposer.
Nourrie de l’inspiration gracile de Levi Dover à la contrebasse, qui apporte à ce titre une sensibilité synonyme de vulnérabilité comme de force immanente, son propos général n’est point d’évoquer une fragilité endémique et sans remède, mais bien plutôt de trouver le chemin qui va de la faiblesse vers la force, aux termes d’un apprivoisement progressif des énergies protectrices et épanouissantes de la vie.
Avec une telle démarche, le développement artistique ne se distingue plus totalement du développement personnel. L’aspect synesthésique des pièces de l’album tend à faire du concept initial une condition sine qua non de l’illustration musicale, un procédé fondamental en matière d’art contemporain, et qui évite,en musique,toute redite basée sur la seule maitrise technique.
« Burning Candle » est une œuvre clé pour en percevoir le caractère métamorphique, dessinant les contours éphémères d’une inscription dans la durée que présuppose une concentration diamantine de l’instant. La démarche presque animiste de Gentiane MG se trouve quintessenciée dans « Flower Laugh Without Utterring A Sound », qui exprime les lueurs argentines d’une communion avec la nature même de la création, allant jusqu’à conférer une apparence de vie aux objets inanimés.
Le set du Sunside, plus long que celui de la Rare Gallery de Wilson Claude Balda, ajoute « Letter To A Friend » et ses ambiances intimistes à un discours déjà opulent et dense, en même temps que le mantra nommé « The Moon The Sun The Truth », emprunté à une philosophie orientale dont l’agrément sied à merveille au parcours de la jeune pianiste.
Gentiane MG parvient à susciter l’émotion sans utiliser le toucher maniériste adopté par les musiciens soucieux d’impressionner leur auditoire, ses miniatures cristallines étant traversées d’une délicatesse de toucher peu courante, en alternance avec des attaques plus franches du clavier, des accords plaqués qui enrichissent le propos musical sans enluminures superflues.
L’exemple le plus frappant est sans doute offert par cette introduction délicate, qui fait surgir l’image d’un clair de lune, tandis que le développement et la coda empruntent les voies d’une dramatisation hiératique sur le plan harmonique. Par rapport à Louis-Vincent Hamel, qui a enregistré l’album aux côté de Gentiane et de Lévi, Mark Nelson a une frappe plus sèche, tout en étant davantage versé dans les bruitages et utilisations insolites des timbres.
La maturité de la section rythmique permet des passages telluriques ou délicats, terres de contrastes au sein desquelles Gentiane MG évolue avec grâce et une sorte d’assurance conquise de haute lutte. Dès lors, elle déploie l’étendue de son talent de compositrice en assimilant l’essence d’un jazz intemporel, la formation restant toujours crédible alors que le public présent se laisse emporter par le flux des idées musicales et des émotions entraperçues ou dévoilées par un art confondant du clair-obscur et de tonalités lumineuses, placées sous les auspices d’un arbre en fleurs.
Gentiane MG : piano
Levi Dover : contrebasse
Mark Nelson : batterie
(*) : le 18 février à la Rare Gallery, le 20 février au Sunside.
Le show case à The Rare Gallery était un partenariat avec Couleurs Jazz et Effendi Records, Montreal.
©Photos Gaby Sanchez pour Couleurs Jazz.
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