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“A CONVERSATION WITH LALO SCHIFRIN”

THE NEW BOSSA NOVA GROOVE EXPERIENCE

Un hommage aux années Bossa Nova de Lalo SCHIFRIN réinventé par un ensemble de solistes internationaux mélangeant la musique latine, classique et jazz. Voilà ce à quoi nous convie le pianiste-compositeur Jean-Michel BERNARD pour ce pré-concert en préparation de son prochain album.

Jean-Michel BERNARD n’est pas seulement un pianiste de talent. C’est un artiste complet à la curiosité aiguisée et riche d’un bagage musical très éclectique. Très tôt passionné par le Jazz à côté d’une formation classique de concertiste, il marque l’histoire du Jazz français avec un « Bœuf d’or » au salon de la Musique 1981 avec son trio composé des frères Louis et François MOUTIN avant d’accompagner de grands artistes comme Eddie « Lockjaw » Davis (saxophone chez Count Basie), Wild Bill Davis, Michael Silva et Major Holey, Guy Laffite et plus tard Jimmy Woode, contrebassiste de Duke Ellington avec qui il enregistrera un album. Il sera également le remplaçant officiel des grands pianistes de jazz français comme René Urtreger, André Persiani, Jacques Loussier ou Marc Hemmler.

Et si la musique de film va l’accaparer pour qu’il y déploie toute son inventivité, notamment avec Michel Gondry, deux rencontres vont marquer sa vie de musicien : Ray Charles qu’il rencontre en 2000 et qu’il accompagne en tournée mondiale avec son quartet durant trois années, puis Lalo SCHIFRIN qu’il rencontre en 1990 mais surtout en 2016.

Et c’est de Lalo, son « Soul Brother », qu’il nous parle aujourd’hui et à qui il rend hommage.

CJ : Pourquoi Lalo SCHIFRIN ?

JMB : Parce que Mannix, le feuilleton, évidemment, pas les préservatifs… Lalo SCHIFRIN, c’est celui dont je me suis toujours senti le plus proche musicalement et qui a toujours mélangé tous les styles musicaux sans avoir de préférence pour l’un ou pour l’autre. Et tout simplement, lui était un génie dans son genre. Heureusement, il est encore là. Et il s’est trouvé que quand j’étais petit, je regardais la télévision, comme nous tous à l’époque, avec les feuilletons, et puis j’adorais le générique de Mannix.

Des années plus tard, pour le Midem à Cannes, j’ai reçu une demande pour faire une orchestration pour l’orchestre symphonique de Lyon qui devait être dirigé par Lalo SCHIFRIN pour le Midem et il n’avait pas eu le temps de le faire. On m’a demandé de faire une orchestration pour 80 musiciens, chose que je n’avais jamais faite. J’ai accepté et ça a été un grand bouleversement dans ma vie parce qu’à l’époque je faisais mon premier album et quand j’ai entendu ces 80 musiciens jouer ce que j’avais écrit ensemble, pour moi ça a été une révélation. Donc l’album qui devait être au départ pour 4 musiciens est devenu un album pour 80 musiciens.

Et puis des années plus tard, en 2016, je me suis retrouvé encore avec Lalo SCHIFRIN, cette fois-ci pour un festival où on m’a demandé d’organiser un concert en hommage à sa venue. J’ai réorchestré toute sa musique, il était là. Il ne se souvenait pas vraiment de ce qu’on avait fait des années auparavant, ça faisait 25 ans, mais il semble qu’il a beaucoup apprécié mon travail à tel point qu’il est venu jouer sur scène à la fin du concert. Ça a été une soirée incroyable et j’ai eu l’idée de faire un premier album, Jean-Michel Bernard Plays Lalo SCHIFRIN, sur lequel je lui ai rendu hommage et sur lequel il a joué avec moi deux ou trois duos de piano que j’ai enregistrés à Los Angeles, à Hollywood, au fameux Studio Capitol, sur le piano de Nat King Cole à l’époque. C’était le début d’une grande amitié. Depuis il nous appelle les Soul Brothers, les frères d’âme.

CJ : Le concert que tu donnes le 27 juin va avoir une couleur Bossa Nova. Pourquoi ?

JMB : En fait c’est un concert qui annoncera la sortie d’un deuxième album qui est comme un diptyque et qui est consacré à Lalo mais sur ses années Bossa Nova, les années 60. Au début des années 60, tous les grands compositeurs ont écrit beaucoup de musiques et d’arrangements pour la Bossa Nova qui était très à la mode.  Évidemment, il y avait Quincy Jones et Lalo bien sûr, il y en avait quelques autres, et comme j’aime beaucoup la Bossa Nova, c’est une musique très gaie avec des textes très tristes, j’ai décidé de faire ce deuxième album et on vient de le terminer. Il va bientôt sortir et donc on donne ce concert le 27 en hommage à la Bossa Nova de Lalo.

CJ : Quand on évoque Lalo SCHIFRIN dans le grand public on pense tout de suite à Mission Impossible…

JMB : C’est très simpliste de réduire Lalo SCHIFRIN à Manix et à Mission Impossible. Evidemment le monde entier connaît cette musique géniale mais je veux dire que Lalo c’est aussi un musicien classique qui a écrit des concertos, qui a dirigé des orchestres symphoniques, qui a joué avec Dizzy Gillespie pendant des années, qui a écrit la Gillespiana Suite qui était un chef d’œuvre dans les années 60. Donc l’œuvre de Lalo SCHIFRIN est immense. Et comme il le dit toujours, je n’écris pas pour le passé, j’écris pour le futur. Il a raison.

Aujourd’hui, il arrive un peu à la fin de sa vie, malheureusement.

Je pensais qu’après Ray Charles, ça serait compliqué de rencontrer à nouveau quelqu’un comme ça, mais j’ai trouvé Lalo SCHIFRIN et on est devenus extrêmement proches. J’ai eu cette chance de l’avoir comme ami. Lui qui est mon héros.

CJ : Quand on l’écoute Lalo SCHIFRIN, quand on le découvre au cinéma, c’est toujours des grandes orchestrations. Et toi, tu t’es attaqué quand même à jouer très souvent ses musiques en solo au piano. Quelle difficulté tu trouves dans ces cas-là ?

JMB : Le piano, c’est l’orchestre. C’est simple. Quand on sait se servir d’un piano, on a un orchestre sous les doigts. Donc je sais que ça peut faire sourire mais en fait, on s’aperçoit que quand la musique est aussi bien écrite, on a exactement les mêmes sensations que lorsqu’on l’interprète avec un orchestre.

CJ : Lalo SCHIFRIN a joué plusieurs styles de musique mais quel était le musicien Lalo SCHIFRIN au départ ? Quelle était la place du Jazz ?

Lalo SCHIFRIN a commencé la musique classique parce que son père était violoniste à l’orchestre symphonique de Buenos Aires et il a découvert le jazz très tôt parce qu’en fait, il allait au port de Buenos Aires lorsqu’il y avait des bateaux qui arrivaient des États-Unis et qui amenaient des enregistrements de jazzman des années 40, 50. Il a découvert le jazz et puis il est venu étudier à Paris avec Olivier Messiaen. Et ce qui est très intéressant, c’est de voir que dans tout ce qu’il a fait, finalement, ce qu’il en ressort, c’est que c’est un homme d’une culture immense, d’un savoir immense et qui a réussi à inculquer au grand public de la musique savante sans même qu’il s’en rende compte. Je parle du public. Parce que finalement lorsqu’on analyse l’orchestration de Mission Impossible, les voix intermédiaires etc. C’est ni plus ni moins que de la musique contemporaine, que des choses qu’il a étudiées avec Olivier Messiaen à l’époque à Paris au conservatoire, avec Nadia Boulanger, et il a réussi à adapter en mélangeant évidemment avec des rythmes latins, ce qui à l’époque était une grande nouveauté. Je crois que le vrai talent c’est ça, c’est les gens qui laissent une marque indélébile puisqu’ils ont été capables de créer un style. On sait tout de suite quand on entend Lalo SCHIFRIN que c’est lui. Et ça pour moi, c’est le vrai talent.

Et c’est dans le jazz, qu’on a retrouvé les plus grands créateurs pour le cinéma C’était des gens comme John Williams qui était un grand pianiste de jazz, comme Quincy évidemment, comme Lalo SCHIFRIN, comme Henri MANCINI, comme tous ces gens-là, parce que le jazz était la musique la plus riche, tout simplement. Je ne parle pas uniquement rythmiquement, mais harmoniquement. Et puis, évidemment, Bill Evans est arrivé, mais en l’occurrence, pour Lalo SCHIFRIN, c’était quand même le bebop, puisque pour lui, son pianiste de chevet c’était Bud Powell. Aujourd’hui encore quand il joue du piano c’est du Bebop ou alors une étude de Chopin. Et voilà, ça c’est ma cam’.

CJ : D’où un mimétisme avec ta carrière !

JMB : Ah bah oui, voilà, c’est ça. Parce que j’ai fait la même chose que lui, je suis rentré au conservatoire à 5 ans mais j’ai toujours aimé le jazz. C’était la musique que mon père et mon frère jouaient en amateur. Et c’était la liberté. Le fait d’avoir étudié la musique classique, ça donne quelqu’un comme Lalo SCHIFRIN. Quand j’ai interprété la Jazz Piano Sonata que lui avait commandée Bill Evans dans les années 60, on passait allègrement d’un passage qui ressemblait à du Prokofiev à du Bebop et ensuite on passait à de la musique classique.  C’est un mélange de tout ça où il n’y a pas de frontière. Aucune frontière. Ça, ça résume Lalo SCHIFRIN

CJ : Du coup quelle est ta musique préférée de Lalo ?

JMB : Mais je vais te redire, Mannix, ce n’est pas la plus intéressante en soi parce que la Gillespiana Suite est absolument remarquable mais si tu veux mon vrai coup de cœur c’est le pont de Mannix. Et ça faire rire Lalo quand je dis ça. Mais il y en a tellement, ses concertos, toutes ses œuvres qu’il a écrites et qui n’ont jamais été suffisamment jouées d’ailleurs.

CJ : As-tu envie de nous dire quelque chose en plus pour le concert du 27 juin ?

JMB : En fait au début, pour cet album Bossa Nova, je voulais faire ça avec des supers musiciens brésiliens. Mais je me suis dit que ça a été fait dix mille fois, quinze mille fois. Est-ce que ça mérite mieux que ça.

Donc, j’ai décidé d’inviter des solistes internationaux classiques comme Paul Meyer, qui est un des cinq meilleurs clarinettistes au monde, classique, purement classique. C’est un mélange dans la pure tradition de Lalo SCHIFRIN, des musiciens d’horizons totalement différents, mais qui sont tous immenses dans leur genre. Il y a Khalil Chahine à la guitare, Pierre Boussaguet, mon fidèle contrebassiste, qui a joué avec Lalo SCHIFRIN pendant 20 ans, avec Michel Legrand après, etc. (Remplacé par Fifi Chayeb pour le 27) Xavier Dessanbre aux percussions et puis Kimiko, mon épouse, qui chante des chansons d’une façon totalement inattendue, puisqu’elle a une toute petite voix. C’est bien loin de Sarah Vaughan ou de Ella Fitzgerald, mais c’est ça qui est bien. Nous, notre travail, c’est aussi d’amener quelque chose de nouveau. Si on me demande de jouer Oscar Peterson, je vais jouer Oscar Peterson et je vais jouer comme lui. Mais quel intérêt ? C’est bien de savoir le faire. Et à un moment donné, surtout quand on a dépassé un certain âge, on se dit, c’est plus sympa d’essayer aussi de créer quelque chose. Ça ne révolutionne pas non plus la musique bien entendu mais c’est différent. Voilà moi j’aime bien ce qui est différent, comme Lalo. Ce qu’on aime c’est entendre la note qu’on n’attend pas.

Line up

Kimiko Ono – chant

JMB – piano

Fifi Chayeb – basse

Xavier Dessandre – percus

Paul Meyer – clarinette

Khalil Chahine – guitare

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