La chef d’orchestre et compositrice, Tullia Morand, s’est entourée d’une formation XXL (12 musiciens) pour interpréter les titres de son troisième album, Magic Hands, et faire vibrer la scène du Sunset-Sunside en invitant le danseur à claquettes et chorégraphe de The Artist, Fabien Ruiz.
Ce mardi 14 mai, l’orchestre nous fait ainsi voyager de Los Angeles à la Corse en passant par le Brésil et Broadway.
Notre voyage s’amorce avec une composition originale, Happy, And… – délicat hommage aux comédies musicales de Broadway aux influences La La Land et Randy Newman – Tullia Morand nous confie l’avoir écrite pour sa fille comme une sorte de mantra de bien-être. Morceau pétillant et léger, l’ambiance fête est sublimée par des solo de Jean-François Deveze (sax ténor), Jean-Christophe Vilain (trombone), Jean Gobinet (trompette) et Vinh Lê au piano.
Nous atterissons ensuite chez notre ami John Coltrane avec Pitou’s Moment, un beau clin d’œil de Pierre Mimran au Moment’s Notice de l’album Blue Train. Pierre Mimran est l’autre compositeur de la formation et joue trois instruments : sax alto, sax soprano et flûte. Au tempo rapide, Pitou’s Moment appelle sur scène Ludovic de Preissac, le pianiste de l’album Magic Hands et nous fait oublier qu’on n’a pas la place pour danser le swing. Sur scène, dexterité et dynamisme au rendez-vous avec des chorus magnifiques de flûte (Pierre Mimran), de sax baryton (Tullia Morand) et de trombone (Jerry Edwards).
Prochaine escale le Brésil et l’émotion avec Nakyia, écrit dans le genre Choro (musique/danse populaire urbaine née à Rio) et dédié pour l’occasion à Coaty de Oliveira, grand compositeur et batteur brésilien-parisien très récemment disparu. Le hasard a voulu que ses obsèques aient lieu le jour même du concert, en présence de Tullia Morand et beaucoup d’autres musiciens, attristés mais heureux d’avoir pu bénéficier de son influence et de sa générosité. Chaleur, joie de vivre et envie de danser le choro. Il est impossible de rester indifférent au solo de bugle remarquable de Joel Chausse.
Outre la formidable maîtrise de ces musiciens – leur précision de jeu n’ayant d’égale que leur décontraction physique (bel exemple de cet état de grâce nommé effortless mastery par Kenny Werner) – on admire le naturel avec lequel Mademoiselle Morand dirige «ses hommes», se levant pour lancer et clore chaque morceau, avec autorité et sourire complice. Son rôle de leader ne l’empêchant pas, bien au contraire, d’effectuer des solos de sax baryton sublimes alliant sensibilité, lyrisme et volupté.
Pour clore le premier set, Joel Chausse et Fabien Ruiz nous élèvent aux étoiles avec des prestations à couper le souffle : Mr. J. serait inspirée des films noirs de Polanski et Coppola. Joël Chausse, à la trompette cette fois-ci, casse la baraque une bonne fois pour toutes avec un chorus qui monte dans des suraïgus extra-planétaires. Quant à Monsieur Fred Astaire’ Ruiz, sa performance étincelante nous révèle que les claquettes, sont à part entière, un instrument de percussion porté aux pieds. Les 8/8 spectaculaires entre Ruiz aux claquettes et Frédéric Delestrè à la batterie nous laissent bouche bée et impatients de découvrir la suite.
Lors du second set, Pray nous emmène à New Orleans dans un esprit de fanfare d’obsèques aux couleurs locales. Blues ternaire et joliment spirituel, le jeu entre la mélodie et les harmonies est si entrainant qu’on oublie qu’il manque les back-up vocaux féminins qu’on entend sur l’album. Les chorus sont empreints de l’âme du blues et réalisés avec aisance et rondeur par Brice Moscardini (Trompette), Vinh Lê (piano), et Jerry Edwards (‘bone’).
Ensuite, envol pour la planète Magic Hands, titre eponyme de l’album et dont le sens n’est plus un mystère : « les mains sont la prolongation de notre pensée » (rires du public). En effet nous sommes témoins des mains magiques de tous les musiciens, et dans ce morceau en particulier de celles de Brice Moscardini, dont le chorus à la trompette fait monter la tension progressivement jusqu’à un sommet jubilatoire.
Changement de paysage et escale en Corse avec Guagalé, valse à ambiance sombre, du moins contemplatif, comme les mots du poète Prosper Mérimée ; ça sent bon le maquis corse mais il y a une part de mystère troublant, tout comme pour le morceau qui suit, In The Car Park, composée par Tullia Morand sur commande, pour une scène de crime glauque de court métrage. On a remarqué notamment le chorus exceptionnel de Rubens Lévy sur sa basse custom-made à six cordes et celui de Jean Gobinet (trompette) – à la fois puissant et épuré – sans oublier le dynamisme quasi surhumain de Jean-François Deveze au sax ténor.
Dernière escale de ce fabuleux voyage musical – et seule et unique reprise de l’album : Plus Je T’embrasse, composée par Ben Ryan en 1926 et rendue célèbre par Blossom Dearie la chantant en français. Nous sommes ravis de cet arrangement destroy à partir duquel Fabien Ruiz nous offre un solo de claquettes déjanté, au point où l’on se demande si ses articulations ne sont pas en caoutchouc. Ce n’est pas un hasard si Fabien Ruiz a réalisé les chorégraphies de claquettes que l’on a pu admirer dans The Artist, film de 2011, et que Jean Gobinet a fait les arrangements / orchestrations. Le bis, réclamé par un public fou de joie, sera un morceau jungle phare tiré du film oscarisé, avec Fabien Ruiz en soliste et de nouveau en duo 8/8 avec Delestrè aux baguettes.
Le socle commun de tous les morceaux, en dehors de l’extrême précision de jeu et la complicité évidente entre les musiciens et le danseur, est la fluidité avec laquelle l’improvisation et la composition se chevauchent et se complètent. L’orchestration de Tullia Morand est composée de telle sorte qu’elle agit comme le tronc d’arbre solide à partir duquel les branches s’étendent vers le ciel pour permettre l’envol des solistes d’une part et de l’ensemble d’autre part. La frontière entre les deux est si fine qu’elle est imperceptible. Un peu comme le call-and-response des origines du jazz, où le call ne serait rien sans le response, et vice et versa. Chez le Tullia Morand Orchestra, le collectif et l’individu se complètent merveilleusement dans une danse amoureuse qui donne naissance à une musique fraîche, vivante et en permanente ébullition.
Ceux qui imaginent que la musique des big band fait partie du passé, se trompent. Le Tullia Morand Orchestra est là pour le prouver. Grâce à des compositions originales aussi délicieuses que variées qui dégagent une force vitale, une fraîcheur ludique et une maîtrise décontractée. Que demande le peuple ? Je vais vous le dire : le peuple en demande davantage. Cet orchestre fait de chaque morceau un tour de magie musical, ravissant petits et grands du début à la fin. Couleurs Jazz Magazine souhaite une longue et heureuse vie au TMO !
Interprètes, le 14 mai 2019 au Sunset-Sunside :
Tullia Morand– sax baryton, flûte ;
Pierre Mimran– sax alto & soprano, flûte ;
Jean-François Deveze– sax ténor, clarinette basse, flûte ;
Jerry Edwards– trombone ;
Jean-Christophe Vilain– trombone ;
Didier Havet– trombone basse ;
Jean Gobinet– trompette, bugle ;
Joel Chausse– trompette bugle ;
Brice Moscardini– trompette, bugle ;
Rubens Levy– basse ; Vinh Lê– piano ;
Frederic Delestrè– batterie ;
Guest : Fabien Ruiz – claquettes
Prochaine date : 7 novembre 2019 au Jazz Café Montparnasse.
L’album ‘Magic Hands’est sorti le 1erfévrier 2019 sur le label Clapson Records.
Il est « Hit Couleurs Jazz » et fut à sa sortie, « Vinyle de la Semaine », sur Couleurs Jazz Radio.
©Photos Patrick Martineau pour Couleurs Jazz Digital Magazine
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