Skip to main content

Pierre Favre n’est pas le premier venu. Pourtant sa venue à Paris — et même plus largement en France — est un événement majeur tant sa rareté sur les scènes hexagonales relève du scandale.

Alors, quand Hélène Aziza — qui est une de ses fidèles — vous informe qu’il se produira dans sa magnifique salle du 19 rue Paul Fort, dans le 14° arrondissement de Paris, en duo avec le violoniste Dominique Pifarély puis avec un des ensembles de percussions dont il a le secret depuis des décennies, on ne lésine pas : on accourt.

Pour ma part j’ai eu le privilège de voir Pierre — que je n’avais pas entendu depuis des lustres — m’accorder une longue interview sur le balcon du 19 rue Paul Fort en fin de matinée.

Les lecteurs de couleursjazz.fr la découvriront sous peu en surfant sur le net.

Ce qui frappe (c’est le cas de le dire) avec Pierre Favre c’est la multitude des toms et des cymbales qui constituent son set de batterie. Et quand ce set est multiplié par quatre pour la prestation de son ensemble, l’étonnement confine à la sidération. D’où une attente fébrile (que nous a-t’il préparé ?) car on sait qu’avec lui il faut toujours s’attendre au meilleur.

Favre débute au gong tandis que Pifarély pince ou frotte les cordes de son violon de façon méditative alors que le batteur est passé aux balais sur la caisse claire et les cymbales et envoie de temps en temps une bombe sur la grosse caisse. L’écoute mutuelle est intense et quand le violon alterne sons filés et pizzicati Favre passe aux baguettes, privilégiant les toms sur les cymbales qu’il sollicite de façon aléatoire avant de faire monter la tension par des roulements de balais sur la caisse claire.

Le violon se lance alors dans de petites mélodies du plus bel effet qu’il poursuit par un ostinato d’une grande légèreté dans l’aigu de son instrument.

Le morceau suivant commence par des gazouillis de violon sur des roulements dans les graves de la batterie. C’est une sorte de danse que le batteur installe derrière les volutes mélodiques de son partenaire. Une danse à la fois rythmiquement un peu folle et très rigoureuse au niveau des choix de sonorités. La batterie chante sa mélodie parallèlement au violon. Favre n’a-t’il pas appelé un de ses enregistrements « Singing drums » ?

C’est en percussionniste-coloriste qu’il débute le morceau d’après avec des sortes de longs haricots pleins de fèves qui frétillent sur la caisse claire et les toms. Pifarély se lance ici dans une mélopée rubato dans les aigus, laissant à la batterie le rôle de gardienne du rythme.

Sur l’espèce de lamento qui suit, au violon, Favre fait discrètement résonner les cymbales avec les mailloches puis revient aux toms avec la même délicatesse, passant d’un fût à l’autre avec un grand sens de la mélodie et une douceur extrême tandis que le violon déploie sa propre mélopée en parallèle, faisant lui aussi monter la tension dans les forte.

Puis les trois percussionnistes de l’ensemble viennent prendre la place du violon et c’est à un festin sonore et rythmique qu’on se prépare. Ca commence dans les graves avec une sorte d’unisson sur les toms que ponctuent des frappes plus aiguës.

Le son d’ensemble est énorme et à la fois doux et il s’enfle et désenfle comme une vague mélodico-rythmique qui emporte tout sur son passage. On entend beaucoup l’Afrique dans ce flux généreux et collectif où chacun a sa place tout en s’intégrant à l’ensemble dont les ondulations sinuent sans qu’on puisse bien identifier d’où viennent les changements, accélérations ou ralentissements.

Cette « bête à quatre têtes, huit bras et huit pieds » ne laisse pas d’être fascinante à voir et à entendre dérouler son ballet.

C’est en solitaire que Favre débute le morceau suivant en faisant résoner ses gongs et ses cymbales avant de frapper des lamelles métalliques posées sur la caisse-claire. Là c’est une sorte de gamelan indonésien primal et primitif qu’on entend tandis que la grosse caisse ronfle et ronronne.

C’est là encore extrêmement construit sur le plan mélodique et les réitérations de patterns scandent la mélodie qui s’accélère jusqu’à une sorte de transe à la fois furieuse et contrôlée. C’est Markus Lauterburg  — un des jeunes partenaires de Favre — qui débute seul le morceau suivant sur une batterie presque classique n’était le nombre de toms. Roulements telluriques puis jeu sur les cerclages métalliques des toms tandis que les trois autres le rejoignent en greffant de petites cellules mélodico-rythmiques sur l’ostinato de départ.

C’est la diversité dans l’uniformité (ou le contraire) sous son meilleur jour et de la répétition nait l’invention.

Ce qui est magnifique chez Pierre Favre c’est que tout ce qu’il compose et joue peut se chanter. C’est pour cela que son jeu et celui de ses comparses nous touchent tant.

Outre l’intérêt qu’on peut porter à la construction de ses morceaux et à leur aspect mélodique et rythmique, ils ciblent en nous la fibre cantabile que porte en lui tout auditeur qui a déjà chanté sous sa douche ou pour bercer son enfant.

Et c’est cette fibre primale, enfantine et mature à la fois qui est le substart de tout ce que compose ou improvise ce magicien des sons.

Par ailleurs Favre est un excellent leader qui sait canaliser l’énergie de ses comparses comme les laisser s’exprimer individuellement sans qu’il intervienne.

Ainsi c’est Valeria Zangger et Chris Jaeger qui prennent en charge le morceau suivant, y déroulant un orage de roulements qui finissent en murmure.

Les balais sont à l’honneur dans le thème qui suit, secondés par une grosse caisse grondante. Ce n’est pas tous les soirs qu’on entend quatre paires de balais danser leur danse sur des caisses-claires et des toms, et c’est fascinant.

Le duo batterie/percussion qui suit l’est également dans son déroulement et l’alternance de piano et de forte qui le caractérise. Favre possède un grand art de la nuance et chez lui rien ne ressemble jamais à un étalage de virtuosité gratuite ou ostentatoire.

Faire de la musique est son crédo et les percussions sont simplement le moyen au service de cette fin.

Le morceau qui suit en est un parfait exemple. Débuté par un ostinato dans les graves sur les toms et les grosses caisses il évolue progressivement vers une coloration foisonnante en rimshots sur les cerclages des fûts avant de revenir à l’ostinato original qui débouche sur des friselis de cymbales avant de revenir à nouveau en mêlant graves et aigus dans un grondement chtonien qui semble ne devoir jamais finir. Et c’est ce que l’on souhaite.

Musiciens :

Pierre Favre : batterie, percussion

Dominique Pifarély : violon

Valeria Zangger : batterie, percussion

Chris Jaeger : batterie, percussion

Markus Lauterburg : batterie, percussion

 

Laisser un commentaire