

Emmanuel Bex – pourtant à l’avant-garde sur l’orgue Hammond B3 – revient sur les classiques du géant français Eddy Louiss. Bex accommode un disque où l’esprit, l’inventivité, les compositions et des musiciens en grande forme, portent un album au plus haut degré de beauté pure.
Concert de sortie, le mardi 6 mai au New Morning.
L’organiste Emmanuel Bex se présente spontanément sous le terme d’ « enfant de 1968 ». Il ajoute « avec un ascendant OVNI ». OVNI?. « Oui, Objet Volant Non Identifiable ». Nous sourions tous deux de la trouvaille.
Croisé dans le hall de Radio Solidarité (Paris 19e), au sortir d’une émission début avril, la personnalité embraie sur ses traits : « rebelle, révolté, collectif, bouillant».
Bouillant, on le savait. En concert, Bex ne reste pas cloué comme l’organiste de la paroisse sur la coursive. Lui malmènerait plutôt l’instrument, mitraillant le public de mille feux, le buste au-dessus de l’orgue Hammond B3, comme jadis Jon Lord, le fondateur du groupe de rock des seventies Deep Purple. Le corps se tord de tous les côtés. Se donne. À fond. Les yeux, les doigts, la mâchoire, toutes les parties du corps suivent. Avec un engagement total, si bien que les premiers rangs s’attendent, en plein solo, à le voir plonger vers la foule.
Habité, selon ses termes, par « l’obsession d’abolir le quatrième mur de la scène : celui qui sépare l’artiste des gens ». Les prestations de l’« enfant de 68 » tournent immanquablement au spectacle total. On le classe dans les rangs des jazzmen reconnaissables instantanément à la posture. Parmi les premières places de la catégorie…
La musique de Bex enveloppe l’auditeur par tous les canaux, ainsi qu’en son temps s’y employa celle de son aîné, Eddy Louiss, dont la présence magnétique mettait en transe. Touché à dix-huit ans par la grâce lors d’une prestation à Uzeste d’Eddy Louiss, pape consacré de l’orgue jazz, Bex tient depuis un moment le haut du clavier.
Mon interlocuteur s’émeut : « Le disque de Stan Getz avec Eddy (« Dynasty« , dont Bex reprend le titre « Our Kind of Sabi » sur le CD « Eddy m’a dit » (Label Pee Wee), m’a retourné« .
Pas compliqué à comprendre.
Écoutez sur Youtube le trio de Getz jouer Dynasty en 1971 au Ronnie’s Scott de Londres.
Fabuleux, non?
Malgré les atomes crochus musicaux, la communication entre les deux géants de l’orgue se résumera à quelques brefs échanges. La situation a perduré durant la totalité de leurs deux (appréciables) trajectoires. Chacun déroulant le sillon de sa popularité. Bex se réclamerait plutôt de l’influence de l’organiste américain Larry Young.
Aujourd’hui cependant, Bex reprend le flambeau d’Eddy, avec un coup de chapeau supérieur à son prédécesseur français. Teinté d’une pointe d’effarement. La raison? Bex déplore ceci : « dix ans après sa disparition (en 2015), personne n’a encore marqué le coup. Personne – à part son fils Pierre Louiss – n’a manifesté de volonté de le célébrer. C’est triste. ». Encouragé par Vincent Mahey, fondateur du label Pee Wee, Bex poussera une œuvre en avant. À la force du poignet. On ne se refait pas.
Le contestataire-né me brosse dans une formule l’esprit qu’il a voulu imprimer au disque, une pépite intitulée « Eddy m’a dit ». Une heureuse rencontre entre les musiques populaires et les musiques savantes. Relancé dans un premier temps sans relâche par Vincent Mahey (déjà préposé aux consoles d’une quinzaine des disques de l’improvisateur), Bex valide, puis mûrit l’impulsion. Mahey, également ingénieur du son d’Eddy durant les dix dernières années de ce dernier, travaille avec Bex. Le matériel? Une brassée de compositions d’Eddy couvrant des univers riches et diversifiés. Trois de Bex, dont un morceau co-signé Minvielle (« Eddy m’a dit »).
Vincent Mahey remet l’ouvrage sur le métier sans relâche. L’idée de transmettre l’héritage d’Eddy prend forme sur la seule célébration.
Finalement, Bex rebondit corps et âme sur la proposition du producteur. S’anime alors en studio la danse collective du disque, ensorcelante, veinée d’émotions, virtuose.
Un sans-faute. Pas un accroc.
La cohérence de l’ensemble séduit. La réalisation abasourdit.
Car le personnel (soyons précis : la fine fleur du jazz français), change à chaque pièce. Les musiciens redoublent de feeling. Se surpassent. Que l’on juge à l’affiche : André Minvielle (primé il y a deux mois à l’Académie du Jazz); Dominique Pifarely (quel duo délicat avec Simon Goubert sur « Colchiques dans les Prés« ). Une rythmique de tous les diables : Arnaud Dolmen; Michel Alibo. La Fanfare du Carreau; le trombone de Fidel Fourneyron qui s’envole avec un lyrisme inouï; et bien d’autres figures du jazz hexagonal. Tous lâchent la bride avec gourmandise et sautent la rampe.
Les morceaux? Des pièces de lave jaillis du fond du cœur. Le talent des pointures organise cette ronde organique, entre animalité du vaudou, imagination du jazz actuel, déchirement du blues, et complicité du folk. Bex, lui-même, n’en est pas revenu. Il reconnaît : »l’enregistrement relevait d’un combat. Jamais je n’aurais su donner de consignes aux invités sur le développement d’un morceau« . Ainsi irradie le projet, fleuri par l’inspiration enthousiaste de chacun. Eddy Louiss conduisait les formations avec un charisme indiscutable. Pour des albums phénoménaux.
Le très bel album de Bex nous injecte un bonheur du même tonneau.
S’il était encore là, Eddy aurait sûrement voulu lui parler. Longuement. Cette fois.
Eddy m’a dit est sorti sous le label Pee Wee, le 11 avril 2025. C’est un Hit Couleurs Jazz et il fait partie du « Best of du Mois » (voir ici la sélection)
Le concert de sortie est prévu le mardi 6 mai 2025 au NEW MORNING.
En bonus, vous pouvez voir le « Making of » de l’objet.
©Photo Header Puls’ Action
COMMENTAIRES RÉCENTS