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Premier soir

Je suis à peine arrivé à Noyon — où je suis venu chroniquer le festival de jazz — que déjà je sens que je tombe amoureux de cette petite ville de l’Oise. Was ?

Mais non, c’que vous êtes bêtes ! Is, pas was, car Jazz à Noyon n’a rien de passéiste ni de ringard ni d’obsolète.

Après une balade dans la ville aux monuments anciens et somptueux (la cathédrale : à tomber par terre !) je vais attendre Philippe Laredo, le boss du festival et les musiciens au restaurant Le Stromboli, où ils doivent jouer ce soir. Retrouvailles avec Baptiste Herbin — que je connais depuis une bonne vingtaine d’années et découverte du trio du guitariste d’origine malgache Andry Ravaloson, que je découvre.

 Je peux ainsi suivre leur balance en fin d’après-midi avant le concert et, comme souvent, ce sound check est très intéressant et l’on sent d’emblée que Baptise et le trio se connaissent bien.

Après un solo de guitare d’une remarquable fluidité, c’est le sax alto qui s’envole. Oui, littéralement prend son essor, négociant virages et dérapages harmonico-mélodiques avec une virtuosité époustouflante, comme d’habitude a-t ‘on envie d’ajouter.

On sait d’ores et déjà qu’on va avoir affaire à une soirée de jazz dense et riche en solos, unissons, drive, groove…

Puis c’est un thème plus lent que la guitare expose en arpèges aériens. Ca ressemble à « Beautiful Love » mais ce n’est pas cela et le lyrisme de l’alto vous fait fondre de plaisir.

 Sobre et en accords, la guitare accompagne un solo de contrebasse d’une grande limpidité. Le solo de six-cordes qui suit montre clairement qu’Ange possède une science harmonique toute personnelle et un phrasé à l’avenant. Le solo d’Herbin est magnifique et pour le morceau suivant il passe au soprano, sur lequel il possède une sonorité doucement aigrelette et fortement timbrée.

Puis la sonorité d’ensemble prend de l’ampleur et de la puissance sous les coups de boutoir d’une batterie tellurique et terriblement efficace.

On se laisse facilement emporter par ce déluge musical où c’est la contrebasse véloce et profonde de Christophe Hache qui prend le premier solo, suivie par la guitare.

Si l’on veut trouver la source d’inspiration d’Andry Ravaloson, c’est du côté de George Benson et de Wes Montgomery qu’on la trouvera, avec un zeste de Pat Martino.

On est donc en plein cœur d’un jazz historique qui n’a pas pris une ride quand il est joué ainsi avec autant de cœur que de savoir-faire.

Et ce n’est pas le stop chorus de Baptiste qui me démentira, avec ses sautes dans l’aigu et son phrasé virevoltant que ses trois comparses observent avec un large sourire réjoui.

Le second set débute par une thème bop-hardbop pris à une allure de TGV et, paradoxalement le solo de Baptiste commence tout en douceur avant de prendre son élan et de slalomer sur la grille harmonique en y introduisant quelques mesures de « L’amour est enfant de Bohème ». Décidément ce saxophoniste n’en finira pas de nous ravir et de nous époustoufler par son inspiration inépuisable et son approche du sax à la fois vintage et parfaitement contemporaine.

Le solo de guitare qui suit, épouse à sa façon les mêmes harmonies en accordant une place au silence, qui, comme chacun sait, fait partie de la musique, sous les crépitements d’une batterie tonique et affutée — qui prendra à cette occasion un premier solo chtonien et bondissant — et le vrombissement de la contrebasse de Christophe Hache.

Le morceau suivant, en tempo médium coule de source et tranquillement, tel une paisible rivière aux méandres sinueux. C’est une contrebasse véloce qui introduit en solo absolu le thème qui suit avec de temps en temps de délicates harmoniques.

Baptiste et Andry y vont chacun de son chorus à la ligne mélodique d’une totale lisibilité cantabile.

Et c’est la paire rythmique qui conclut ce morceau en un duo plein de sève bondissante. Puis de nouveau Baptiste se lance dans un solo absolu où il descend ou remonte la ligne mélodique de « You Don’t Know What Love Is » avant que le trio ne le rejoigne avec un majestueuse lenteur.

Et le dernier morceau est encore une semi-ballade hardbopisante qui montre à quel point ces quatre garçons sont à l’aise dans un idiome originellement étatsunien, mais que nombre de musiciens européens ou originaires d’Afrique — Madagascar, en l’occurrence — se sont approprié pour le faire leur. Touhery Ravaloson, le formidable jeune batteur — et neveu d’Andry — est une nouvelle fois mis en valeur et ses toms archi mélodiques font merveille sur le romp que lui fournit la guitare tandis que Baptiste embouche à la fois son alto et son soprano en un chant claironnant et rugueux du plus bel effet.

Deuxième soir

La deuxième soirée débute avec un « régional de l’étape », le groupe amiénois Anagramme. Une musique métissée et électrique qui mixe le lyrisme avec la puissance du jazz rock sans tomber dans les écueils de ce style parfois très (trop ?) daté.

Anagrame

Le sax soprano est éminemment mélodieux. La guitare électrique est rockisante de façon assumée dans ses solos et fournit — en l’absence de claviers — une assise harmonique tout à fait pertinente.

La basse électrique est tantôt fluide en solo, tantôt terrienne en accompagnement et penche davantage vers Jaco Pastorius que vers les speedés de l’instrument.

Quant à la batterie, binaire la plupart du temps, elle fournit un soutien remarquable et drive l’ensemble de belle manière.

Quant aux compos, elles sont généralement originales et intéressantes, cherchant leur inspiration vers l’Albanie ou ailleurs. Il est toujours intéressant de croiser le chemin de groupes issus du terroir « provincial » et qui ont une dimension clairement nationale.

La France, c’est un fait, est un vivier fertile de styles de jazz aussi divers et haut de gamme que ce qui se rencontre à l’étranger, USA compris.

Dommage que ce concert n’ait séduit qu’un public clairsemé — mais enthousiaste. Il est vrai qu’on est en semaine et que les Noyonnais et les habitants des alentours doivent peut-être travailler tôt demain matin.

C’est donc tout à l’honneur de Philippe Laredo d’avoir pris le risque de programmer, un jeudi soir, deux groupes peu connus mais de première bourre. Le bouche à oreille qui suivra sans aucun doute ces deux concerts fera sûrement venir un public plus nombreux l’an prochain pour les concerts en semaine.

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Le trio de Mark Prioré, qui suit, commence très fort avec un thème d’une grande densité où les accords et arpèges répétitifs du piano côtoient le drumming déchaîné d’Elie Martin-Charrière avant de se calmer en une sorte d’hymne serein où la contrebasse de Juan Villarroel se fait mieux entendre.

C’est cette même basse qui entame le morceau suivant en un petit motif guilleret où ses deux comparses le rejoignent avec un jeu d’une légèreté bienvenue.

Une jolie mélodie surgit sous les doigts du pianiste-leader, une mélodie hors d’âge qui fleure bon le bon vieux temps sans être pour cela passéiste.

Un brin nostalgique peut-être, mais en fait ce type de jazz n’a pas d’âge. Le morceau suivant, inspiré de la légende d’Orphée et Eurydice, est de nouveau répétitif et intense et il semble que ce trio base son jeu sur l’énergie autant que sur la mélodie, ce qui se fait rarement en trio acoustique piano/basse/batterie.

Puis retour à un thème serein et gentiment mélodique, suivi d’un autre, nouveau, qui exprime la joie de façon stimulante et… nouvelle.  Ce trio de haut niveau a pour moi le défaut de trop se cantonner dans une esthétique de l’opposition ou de la succession systématique entre thèmes vigoureux et thème chantants. Mais il est jeune et a tout le temps d’évoluer vers davantage de diversité.

Troisième Soir

Comme souvent, la balance des deux concerts de ce soir est passionnante à suivre et elle me permet d’entendre en direct des musiciens que je connais peu tels que le pianiste Françis Lockwood, le violoniste Johan Renard puis Michael Olivera, le fabuleux batteur du trio de Daniel Garcia.

C’est Daniel Garcia qui commence, tout doux d’abord et seul avec un joli petit arpège de piano qui devient vite hispanisant quand la main gauche l’enrichit d’accords somptueux et que la musique enfle, enfle, enfle.

Puis la basse et la batterie le rejoignent et c’est la magie. Parmi tous les trios de piano qui pullulent aux quatre coins de la planète, celui-ci est de toute évidence un des meilleurs et des plus originaux.

Ses accents ibériques ne sont jamais caricaturaux et la culture du flamenco est de toute évidence aussi ancrée chez ces musiciens que celle du jazz.

Le deuxième thème est d’ailleurs d’origine flamenca et se déroule en souples volutes mélodiques sur un rythme chaloupé, que Reiner « El Negron » assure avec une finesse et une musicalité impressionnantes.

On a rarement entendu ce type de beauté en France, où les musiciens espagnols sont assez rares, et quand Olivera prend un solo en crépitements sur les peaux et rim shots puis en roulements sur les toms et cymbales, il déchaine un tonnerre enthousiasmant.

Suit une belle mélodie méditative aux accents ravelo-debussystes en piano solo que la contrebasse et la batterie n’accompagnent d’un jeu raffiné qu‘au bout de quelques minutes et, à l’archet, le bassiste offre un beau solo d’une splendide sérénité.

Puis la mélodie prend de l’ampleur pour finir par quelques notes piquées du piano. Le morceau suivant est en partie chanté : une tendre mélodie répétitive sur laquelle le batteur prend un solo puissant. Après cela vient un thème guilleret, enjoué, sur lequel la contrebasse vrombit puis bondit dans les graves sur les notes perlées du piano qui cite brièvement le thème du « A Love Supreme » de Coltrane.

Le dernier morceau, basé sur des rythmes antérieurs au flamenco commence par un petit motif rythmique joué conjointement par les trois musiciens, puis il prend du volume, accompagné d’une mélopée profonde chantée par le pianiste avant de revenir à plus de douceur mélodique sur des accords affutés de la main gauche.

Et le rappel — auquel il n’était pas possible d’échapper vu l’enthousiasme du public survolté — est une jolie comptine musicale au charme de laquelle il est impossible de résister et sur laquelle Garcia fait fredonner un auditoire légitimement conquis.

Un début de soirée ma-gni-fique !

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Difficile pour Francis Lockwood et ses deux amis de succéder au triomphe du trio de Garcia. Mais leur petite formation modulable est tellement originale qu’ils n’eurent aucun mal à conquérir le public nombreux du Centre culturel.

Piano, violon et sax (alto ou soprano), décliné en duos piano-violon — sur un excellent « Un jour mon prince viendra » où le violon de Johan Renard s’aventure dans le suraigu sans rien perdre de sa musicalité tandis que son compère malaxe ses 88 touches avec une vigueur réjouissante —, trio sax-piano-violon — sur un « All the Things You Are » où les deux voix aigues (Baptiste au soprano) s’entremêlent de belle façon sur les accords et les basses bondissantes de Lockwood.

Puis « In a Sentimental Mood » en duo soprano-piano où la complicité ente Francis et Baptiste est évidente et produit de petites merveilles de tendresse virtuose.

Puis trio avec le sax alto cette fois-ci sur « The Days of Wine and Roses » interprété de façon enjouée par trois lascars pour qui cette musique n’a pas de secrets.

Le violon alterne pizzicato, façon guitare, et jeu à l’archet tandis que l’alto caracole dans le registre médium de l’instrument.

Suit un thème en piano solo où Lockwood laisse libre cours à la veine rhapsodisante d’un pianiste baigné dans la tradition d’un jazz qu’il a fait sien et où il exprime une personnalité d’une grande générosité.

Suit un fort beau « Nuages », de Django, mais la fatigue gagne votre dévoué chroniqueur qui va faire une p’tiote sieste d’1/4 d’heure en loges. Et quand il revient, semi-comateux et titubant dans la salle de concert, les trois zicos sont en train de slalomer gaillardement sur « Libertango », ce qui constitue l’une des meilleures sonneries de réveil qui soit. Un récital de standards sans contrebasse ni batterie ?

Ca n’existe nulle part. Eh ben si : à Jazz in Noyon ! Et ça fait grand plaisir à entendre.

Quatrième jour

Le samedi, on commence tôt, juste après le repas et dans le Théâtre Le Chevalet au centre-ville, avec un ensemble de saxes issu du conservatoire de Noyon, auquel Baptiste Herbin se joindra après qu’ils auront présenté seuls un thème de leur répertoire.

On est là davantage dans la musique d’un compositeur comme Alexandre Glazounov que dans le jazz.

Mais quand Baptiste se joint à eux, sur le « It Don’t Mean a Thing if it Ain’t Got that Swing » de Duke Ellington, on passe à un autre niveau et ça commence à improviser.

 Sur « Spain », le tube de Chick Corea, le son d’ensemble de l’ensemble est d’un beau velouté puis se tonifie sur la deuxième partie du morceau sur lequel le solo de Baptiste plane en beauté.

Suit le « Misty », d’Erroll Garner : une bien belle ballade où l’alto de l’invité s’envole dès le début de la mélodie. 

Et re-« Spain » en rappel, magnifiquement re-troussé avec un solo terrifiant d’Herbin.

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Puis vint le tour de la chorale Ol’Moses Gospel Choir, de Moïse Melende, quant à elle, assez impressionnante : magnifique ensemble vocal, très belles voix solistes, prononciation parfaite de l’anglais. C’est accompagné par une très bonne rythmique claviers-percussions, ça swingue et ça danse sur scène, et ça claque des mains dans le public…

Et on trouve tout ça dans le deep south du Nord de notre bel Hexagone ! Que demande le peuple, par tous les dieux ?

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La soirée proprement dite commence par le quartet de Médéric Collignon, par ailleurs parrain de Couleurs Jazz Radio.

Médo lance l’affaire au cornet puis part dans un solo vocal proprement ahurissant — comme d’hab’ a-t’on envie d’ajouter — suivi par le piano d’Yvan Robilliard.

La batterie de Franck Vaillant, comme toujours elle aussi, crépite et vrombit dans une exubérance polyrythmique et coloriste tandis que la basse électrique, toute en souplesse et rondeurs graves de chez grave apporte à l’ensemble un soutien inébranlable.

Médéric est passé au cornet de poche puis chante magnifiquement en virevoltant du grave à l’aigu sur un phrasé terriblement casse-cou, sans être pour cela ultra rapide.

Cet instrumentiste de premier ordre et original possède une façon de chanter totalement unique et si inventive qu’elle le place au niveau d’un Bobby Mc Ferrin, d’un Beñat Achiary, d’un Phil Minton.

Ce concert est un enchantement car, outre les performances solistes des membres du quartet, le groupe possède une sonorité de groupe pleine, à la fois subtile et punchy, colorée et joyeuse qui convient parfaitement à l’acoustique du théâtre et comble l’auditoire.

Le solo vocal de Médo en chant, grognements, claquements de langue, éructations gutturales et percussion corporelle est absolument inouï et le solo de cornet qui suit, tandis que Robilliard est passé au clavier électrique, est d’une grande beauté lyrique.

Passant au funk, le groupe déchire tout, comme on dit maintenant, mais le fait avec une douce violence qui est totalement bluffante.

Collignon est un grand leader, un rassembleur de sidemen et un organisateur de sons hors pairs : un Duke Ellington post moderne aux racines profondément irrigués par le langage du jazz acoustique comme électrique, qu’il maîtrise de façon magnifiquement inédite.

Son répertoire de ce soir est censé être un hommage à John Scofield.

A vrai dire, on ne reconnaît guère l’esthétique du guitariste américain mais on s’en tamponne le coquillard tellement c’est beau.

Par contre on aimerait que Sco entende un jour cette musique et, bien que je le connaisse peu personnellement, je suis convaincu qu’il en serait ravi et — qui sait ? — songerait à embaucher ces petits Frenchies archi doués dont les mangeurs de hamburgers, ordinairement, ne se soucient guère.

Le dernier morceau commence par un solo de batterie africanisant et déjanté où alternent roulements de toms, crépitements de cloches et de pads, et peu de cymbales.

Ca dépote un max et quand le reste du band rejoint le vaillant Vaillant on tutoie les sommets pentus et tout sauf enneigés tant ça chauffe sur scène.

Ovation debout, évidemment, et tonitruante demande de rappel, té, pardi!

Et c’est un cornet rugueux et claironnant qui lance le thème avant de s’adoucir pour un solo serein qui laisse une large place au silence tandis que le clavier électrique groove sa reum épaulé par une basse et une batterie économes et intelligemment binaires.

Le chant de Médo conclut tout cela de façon parfaitement limpide. Fichtrement ma-gis-tral !

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Encore de l’inédit à Jazz in Noyon : un trio sans guitare qui joue la musique de Django Reinhardt ! Baptiste — encore lui ?

Mais il est le parrain de Jazz in Noyon, non ? Il Padrino massimo, comme disent à l’aise les mafiosi de l’Oise.

Ce type est multicartes, protéiforme et ubiquitaire, ma parole !

Sax alto fluidissime, contrebasse pulpeuse de Sylvain Romano et André «Dédé» Ceccarelli aux balais : un art qu’il maîtrise, voire domine juste à côté de my man Man feu Ed Thigpen.

La mélodie de « Night & Day » — arrangée par Baptiste en y incluant des bribes de solos de Django — coule et sinue comme une putain de rivière dans un paysage vallonné où les couleurs de l’automne vous ravissent les mirettes, et en l’occurrence le creux des tympans.

Ils ne sont pas nombreux — contrairement aux saxes ténors — les altistes qui osent le trio sans instrument harmonique (piano ou guitare).

Baptiste, lui, a osé sur une musique a priori réputée plutôt guitaristique qu’il revisite et se réapproprie avec un savoir-faire redoutable et une inspiration extra-ordinaire.

Il faut dire qu’il est épaulé par une rythmique cinq étoiles au guide Michelin du couple basse/batterie.

Et sur les deux valses qui suivent — dont la fameuse « Indifférence » — avec Dédé aux mailloches puis de nouveau aux balais, il embouche son soprano d’où coule un capiteux nectar mélodico-mélodieux qui vous atteint droit au coeur et au creux des portugaises.

La mélodie du « Django » de John Lewis est exposée avec une belle sérénité par le Maestro Sylvain Romano, que Baptiste accompagne d’un discret contrepoint d’alto, puis reprise par le trio avec toujours Ceccarelli aux balais.

C’est magnifique et ce très beau standard est magnifié par une interprétation inattendue qui lui va comme un gant.

Solo de Sylvain, essentiellement dans les graves de l’instrument, comme le font tous les contrebassistes intelligents et sensibles.  

Sur le morceau qui suit on peut entendre une série d’échanges (on appelle ça des 4/4 car ils durent chacun quatre mesures) entre l’alto de Baptiste et la batterie de Dédé, où on peut apprécier la pertinence et la précision du jeu en solo du percussionniste aussi vétéran que gaillard, tous deux soutenus par une contrebasse à l’assise d’une inébranlable solidité.

Après « Anouman », de Django, Baptiste propose une de ses compos : un choro brésilien qui imagine le guitariste manouche dans le plus grand pays d’Amérique du Sud.

Ce « Choro Django » est tout simplement magnifique, illuminé par un soprano véloce et fruité, des balais (mais combien Dédé en a-t’il ? 78, me semble-t-il — oui, septante huit, disent les métis belgo-suisses — et ces balais, il en use pour jouer de courts solos ou une sorte d’accompagnement-solo parallèle au chorus deBaptiste tandis que Sylvain les observe, muet d’admiration et contrebasse en main avant de les rejoindre).

Ce qui est sidérant et génial à Jazz in Noyon, c’est la coexistence de styles de jazz variés qui cohabitent parfaitement et proposent au public l’arc en ciel chamarré des modes de jeu de cette musique richissime et plus que centenaire.

Peu de festivals se permettent cela et Jazz in Noyon ne va pas chercher des stars de la chanson, du rap, de la pop ou d’autres musiques périphériques — qui ont, bien sûr, droit de cité dans leurs propres festivals — pour chercher à tout prix à remplir ses salles.

Baptiste débute le morceau suivant en stop chorus et c’est de nouveau une valse. Puis Dédé se fend d’un solo magistral en intro d’un « Tea for Two » guilleret.

C’est clair, si Django avait vécu plus longtemps il aurait adopté le saxophone alto comme second instrument !

Ovation debout de nouveau ? Bien sûr, té peuchère, cong ! Comme on dit là-bas loin au sud de l’Oise.

Cinquième journée

Comme toujours my main Woman Rhoda Scott fait le quasi-plein.

Et en cette après-midi légèrement brumeuse c’est au Théâtre Le Chatelet que ça se passe pour la dernière journée de Noyon in Jazz. Ca groove d’emblée — et il ne manquerait plus que ça ne groovasse point !

Lisa Cat-Berro, qui a composé le morceau, prend la première un solo d’alto d’un lyrisme touchant, suivie par la cheffe dont l’orgue pulpeux déverse son lot de sonorités grasses et swingantes.

Les arrangements sont très intéressants, avec un alto qui complète le son de groupe par de subtils contre-chants.

Pour la valse qui suit, Julie Saury déploie le rythme à trois temps sur sa batterie et c’est Rhoda qui prend le premier chorus avec une invention mélodique d’une totale limpidité et une sonorité qui s’enfle ou décroit telles les vagues d’une mer à peine agitée.

Sophie Alour délivre sur ces harmonies un fort beau solo de ténor, souvent véloce et plein d’une paisible énergie.

Le thème suivant est aussi de Lisa Cat-Berro est c’est à nouveau elle qui prend le beau premier solo, suivie par sa consoeur, plus punchy au ténor.

Et c’est Sophie seule qui expose le thème de « Que Reste-t-il de nos Amours » avec un phrasé d’une magnifique sérénité et une sonorité de ténor d’une grande plénitude tandis que Rhoda derrière elle, glisse des accords feutrés avant de prendre à son tour un solo tout aussi mélodique et tendre.  

Puis vient une compo de Julie Saury (oui, les batteurs/euses ça peut aussi composer, CQFD. Vous ne le saviez pas ?) et on sent qu’on va avoir droit à un solo de batterie tant Julie pousse ses compagnes d’un drive à la fois tonique et non survolté.

Et ce seront en fait de micro solos que nous offrira la batteuse, judicieusement placés entre les interventions des trois autres.

Puis c’est au tour de Lisa Cat-Berro de se produire en soliste sur une belle ballade appelée… Lisa où elle déploiera tous les fastes d’un phrasé inspiré et d’une sonorité subtilement aiguisée.

Et c’est au tour d’un tube — Moanin’, de Bobby Timmons— de ravir le public qui claque des mains tandis que le ténor expose le thème avant que l’orgue ne déchaine sa foudre sonore épaisse et mélodieuse.

 Et qui voit-on soudain apparaître sur scène ? My main Man (j’ai pas mal de main Men et je vous les prête quand vous voulez… si vous le valez bien, comme on dit chez L’Oréal quand on est au parfum) Baptiste Herbin qui baptise la salle de son goupillon alto.

Amène-toi, Baptiste ! Amen et halleluyah !

Et il restera sur scène pour le morceau suivant, archi funky, introduit par un court solo de Julie Saury, et où il fera un solo du tonnerre de Zeus qui aurait contraint — l’eussent-ils entendu — feu Dave Sanborn et Maceo Parker à se réfugier en coulisses, honteux et confus.

Le long solo de batterie, qui suit est admirablement construit, percutant et mélodique, ancré dans le sol des toms et recourant ponctuellement aux cymbales.

Ovation debout et rappel obligatoire, tu parles !

Et ce rappel est un tube de Ray Charles qui appelle les claquements de mains et sur lequel les trois sax partent en une sorte de chase délirant avant que le public ne soit amené à chanter Oh et Ah.

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Ceux qui suivent sont tout simplement un tentet de tueurs en série démoniaques et patibulaires que — si vous ne connaissez pas leurs noms — vous allez vouloir découvrir sans tarder.

J’énumère : trois claviers : on ne fait pas à moins ! Deux batteries (qui dit moins ?). Trois souffleurs, d’anches ou d’embouchure, plus une basse et une guitare, le tout pour la modique somme de… Je vous laisse deviner. Pas de trombone(s) ? Non, et si ça vous peine, allez en acheter un !

Tout ce fatras instrumental improbable a été mûri et concocté par Monsieur Laurent Cugny, compositeur-arrangeur et claviériste émérite.

Et voici ce que ça donne en live on ze bloody stage @ Jazz in Noyon : C’est le sax soprano (Martin Guerpin) qui chorusse le premier avec un phrasé ductile sur le fond sonore sans fond des claviers (Laurent Cugny,Laurent Marode, Laurent De Wilde ­— en remplacement de Pierre de Bethmann, souffrant, et trois Laurents, ça le fait grave !), des batteries (Stéphane Huchard, Antoine Paganotti), de la contrebasse (Jérôme Regard) et de la guitare (Manu Codjia).

La trompette (Quentin Ghomari) vient ensuite le relayer et son timbre d’une grande clarté est un régal.

Puis c’est au tour de la clarinette basse (Stéphane Guillaume, également au sax ténor) qui émaille son solo de petites plages de silence.

 Sur le morceau suivant vient un solo de guitare électrique électrisant et d’une sinuosité magnifiquement reptilienne, et c’est de nouveau la guitare qui — après les feulements de l’orgue Hammond — est en vedette, avec le même à-propos, dans le thème qui suit.

Cette musique est en partie basée sur des compos jazz et pop des années 60/70/80 qu’elle revisite avec une intelligence, une pertinence, une sensibilité impressionnantes.

Cette musique est faite pour la guitare et les claviers électriques, et Laurent Cugny a bien fait d’y inclure deux batteries et une contrebasse plutôt qu’une basse électrique.

Quant aux souffleurs, qui sont clairement jazz-jazz, ils apportent à l’ensemble une fraîcheur et une fluidité qui fait grand bien à ouïr.

Par ailleurs tous les membres de ce tentet de luxe sont, ou ont été, par ailleurs leaders de leur(s) propre(s) groupe(s). S’ils ont accepté de se réunir sous la houlette de Laurent Cugny, c’est évidemment parce qu’ils ont vu là une occasion de participer à une aventure inédite qui fait faire un nouveau tour de piste à des musiques jeunes de quelques décennies et qui n’ont pas pris une ride, en leur ajoutant quelques compos du leader.

Le morceau suivant, « Freedom Jazz Dance », d’Eddie Harris, exige des souffleurs une mise en place ultra précise pour l’exposé du thème et ce sont eux qui se partageront les solos, offrant une palette de couleurs sonores magnifique et fort convaincante.

La guitare les suit en un solo halluciné et spatial, puis les deux batteries font résonner leurs toms et crépiter leurs cymbales avant la reprise du thème.

Sur le morceau final (« Carry on » de Crosby, Stills & Nash totalement métamorphosé) le tentet se déchaine et Stéphane Guillaume offre le solo de ténor qui tue raide, épaulé par des comparses qui tous tutoient les sommets d’un funk qui n’a absolument rien à envier à ses cousins d’outre-Atlantique.

Et pour le rappel, c’est — devinez qui ? — Baptiste, bien sûr, qui vient compléter le trio de souffleurs sur le « Mood Indigo » de Duke Ellington.

 C’est dans les vieux pots…, comme chacun sait, et cette bande de jeunes potes laisse une large place à leur invité qui nous gratifie d’un splendide solo d’alto que ses comparses qui ne l’accompagnent pas observent et écoutent avec autant de plaisir et de ravissement que le public avant que les autres souffleurs puis la guitare ne viennent le relayer avec chacun son timbre et son phrasé propre.

Beauté, générosité, partage, qualité et quantité… n’en jetez plus !

Jazz in Noyon ça aura été tout cela et plus encore. Et l’après-midi du dimanche six octobre 2024 fut une sorte de concentré de tout cela. Un grand moment de jazz à marquer d’une pierre blanche.

Et pourquoi seulement une, direz-vous ? Je vous laisse à l’aise répondre à cette question épineuse posée dans l’Oise cet automne.

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PS : Chapeau bas à Philippe Laredo, directeur de Jazz in Noyon, et à son fils Lucas, grand cuisinier végétarien qui en a converti plus d’un à la dégustation sans viande ni poisson.

PPS : Le co-programmateur de Noyon in Jazz n’est autre que mon lider maximo préféré : Jacques « Jack » Pauper, par ailleurs patron de couleursjazz.fr, sans lequel vous ne sauriez rien de Noyon in Jazz vu qu’aucun autre journaliste ne s’était présenté pour en rendre compte, Auguste !

©Photos Jacques Pauper pour Couleurs Jazz

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