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Hit Couleurs JAZZ

Dans le moment.

Le pianiste Franck Amsallem signe un très bel album tout au long duquel il déploie avec maestria cet art subtil de l’interplay en trio : The Summer Knows. Entretien.

Venant d’une famille nombreuse originaire d’Algérie, nous nous sommes établis à Nice en 1962, mon père ayant insisté pour rapatrier le piano familial. Malheureusement, les cours de piano dispensés par la vieille professeur amie de la famille ne furent pas du meilleur millésime.

C’est à l’adolescence que j’ai, plus ou moins tout seul, repris l’apprentissage du piano en passant par le jazz cette fois, donc je suis ce qu’on pourrait appeler un autodidacte « glorifié », car j’ai beaucoup écouté aux portes sans passer par le conservatoire en piano (j’y ai étudié le saxophone classique). Rapidement, j’ai joué pour différents évènements sur Nice et Monaco, notamment la Jam « officieuse » de la Grande Parade du Jazz en 1980. J’y ai rencontré de grands musiciens qui m’ont encouragé à aller étudier aux USA, au Berklee College of Music, où j’ai suivi principalement une formation de compositeur tout en devenant le pianiste du Big Band de Herb Pomeroy qui représentait l’école.

New York New York 

New York, c’est l’Art pour l’Art. À NY, la vie est tellement dure et impitoyable que l’on comprend pourquoi on traîne dans cette ville : pour mieux jouer, point-barre. Les considérations matérielles passent au second plan, on est ici dans une université permanente où l’on peut, bien mieux qu’en École de Musique d’ailleurs, écouter, absorber, et se comparer aux plus grands. On va être membre de projets avec certains des meilleurs musiciens du moment dans leur domaine qui vont nous porter vers d’autres horizons, c’est captivant mais cela demande beaucoup de contrôle dans tous les domaines de sa vie. Beaucoup abandonnent rapidement d’ailleurs.

Hank Jones, Thelonious Monk, Hampton Hawes & Ahmad Jamal

Tous les pianistes de l’histoire du jazz m’ont influencé, je n’ai jamais cherché à en imiter un seul en particulier. Mais, mis à part les cinq grands pianistes des années 60 que tout le monde a disséqué de près (Bill Evans, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Chick Corea et Keith Jarrett), je me suis aussi concentré sur Hank Jones, Thelonious Monk, Hampton Hawes et Ahmad Jamal. D’autres pianistes m’ont également marqué à un degré moindre, comme Victor Feldman ou Roger Kellaway.

J’ai essayé d’absorber les plus grands sans me rattacher à une école. Pour moi, cette grande école pianistique post-bop allant de Bud à Jarrett sera la source infinie de références inépuisables, comme Haydn-Mozart-Beethoven-Brahms le sont en classique. En faire quelque chose de personnel restera donc un défi plus ou moins bien compris par mes collègues, selon qu’ils ont une personnalité propre ou pas.

Dans le moment

L’interplay, c’est une façon de jouer exactement DANS LE MOMENT, où chaque phrase est influencée à divers degrés par ce que jouent mes collègues contrebassistes et batteurs. Ce n’est bien évidemment rien de bien nouveau en soi, mais c’est l’essence même du jeu en trio, ou du jeu de l’improvisation jazz tout court. Nombre de pianistes, le piano étant l’instrument virtuose par excellence, ne peuvent pas vraiment jouer dans l’instant et s’aident de formules ou d’arrangements qui lassent rapidement les auditeurs. C’est d’ailleurs pour cela que certains pianistes sont au final plus à l’aise en solo qu’en trio…et inversement !

The Summer Knows

J’ai conçu l’album The Summer Knows en écoutant la chanteuse Cecile McLorin Salvant et son magnifique trio. J’ai réalisé que David et Kush conviendraient parfaitement à mon jeu. Comme ce sont de jeunes musiciens souples et qui connaissent parfaitement l’histoire du jazz, je leur ai alors demandé autour d’un verre quand pourrions-nous enregistrer ensemble ? Vues les contraintes d’emploi du temps de tout un chacun, cela s’est résumé à une seule longue séance, où nous étions tous dans la même pièce, sans casques, et sur un répertoire de deux/trois de standards et un/trois originaux. Cela s’est parfaitement déroulé, avec un bon studio, un bon piano et un bon ingénieur.

Nous étions tous dans la même pièce, sans cabine. C’est tellement libérateur pour éviter de se regarder le nombril dans une session d’enregistrement et réduire ainsi au minimum vital toutes sortes d’ingérences venant des ingénieurs du son. En gros pour jouer comme l’on joue en session ou en live. J’ai toujours aimé enregistrer comme cela, d’ailleurs mes premiers CDs étaient produits de cette façon. Mais cela dépend bien sûr du studio et du talent de l’ingénieur, comme de celui des musiciens lors de la session, et cela peut facilement devenir ultra délicat.

David Wong & Kush Abadey

Que dire de David Wong, sinon que son swing d’une souplesse extrême, ainsi que sa justesse proprement incroyable, sont le rêve de tout pianiste. Et Kush semble connaître à l’avance mes propres compositions ! Ses oreilles, sa sonorité, et son écoute d’une parfaite adaptabilité font qu’il changera toujours, quelquefois imperceptiblement son jeu en fonction du contexte, du tempo, et du morceau.  

Le répertoire du disque, ce sont deux mélodies venant de compositeurs français de musique de film, deux standards souvent chantés par Nat King Cole, d’autres un peu plus obscurs mais qui me tournaient dans la tête depuis longtemps. J’y ai ajouté trois compositions personnelles, pour se rappeler que composer est une chose essentielle dans le but d’imprimer sa marque de fabrique parmi tous les musiciens de jazz en activité. 

De Out a Day à The Summer Knows

Trente-cinq ans séparent Out a Day, mon premier album, à The Summer Knows. Comment mon jeu a-t-il évolué ? Je me pose assez souvent la question. Dans ma vie musicale, je travaille encore et toujours mon instrument lorsque j’en ai l’énergie, et continue donc à progresser. Je cherche aussi, de façon humble, à aller toujours plus directement à l’essentiel de ce qui me plaît, ce swing, ces mélodies éternelles et des improvisations qui ont un début et une fin organique. Ce ne sera bien sûr jamais fini.

Propos recueillis par Franck Médioni

Musiciens :

Franck Amsallem : piano, compositions

David Wong : contrebasse

Kush Abadey : batterie

 

The Summer Knows est sorti  sous le label Continuo Musique le 23 mai 2025.

Il s’agit sans conteste d’un Hit Couleurs Jazz et d’un Best of The Month (mai 2025).

©Photo Header Jean-Baptiste Millot

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