

Que l’on traduise le mot « Touch » par le toucher, le contact, la nuance, la façon singulière, ou encore par les verbes émouvoir ou attendrir, il s’agira toujours d’une traduction qui définit parfaitement bien l’univers musical du pianiste et compositeur américain Bill O’Connell.
Ce pianiste virtuose, au jeu à la fois vif, fin et élégant, n’a pas choisi au hasard le titre de son dix-neuvième album en leader, tant son toucher et la singularité de son jeu nous émeut et nous touche droit au cœur. Ce musicien de 71 ans, reconnu aux États-Unis et dans plusieurs pays du monde, ne l’est malheureusement pas encore en France et l’on espère que ce premier album sur le label Jojo Records lui apportera une reconnaissance dans l’hexagone.
Il s’est fait connaître au début des années 1980 en accompagnant en tournée pendant près d’un an le grand Sonny Rollins ! Puis il s’est fait un nom dans le monde du latin jazz en collaborant avec Mongo Santamaria, Dave Valentin ou encore Jerry Gonzalez Le latin jazz, il l’a exploré en long et en large pendant salongue carrière, autour de plusieurs formules instrumentales (du trio au big band), en tant que leader ou sideman, et en tant que pianiste, arrangeur, directeur musical ou chef d’orchestre. Avec Touch, Bill O’Connell a envie de se ressourcer dans la pratique du jazz en tant que pianiste et compositeur, en mettant l’aspect « latin » de côté, autour d’un trio particulièrement organique, où chaque musicien est à égalité.
C’est un retour aux sources, car son tout premier album en leader : Searching, enregistré en 1978, était un album en trio et depuis, il n’avait pas réitéré cette expérience.
Dans Touch, Bill O’Connell est le leader, mais il ne s’agit pas d’un pianiste avec deux accompagnateurs, car c’est un véritable trio qui surgit et prend la forme d’un triangle équilatéral régi par l’interaction, où chacun s’exprime pleinement et rebondit au quart de tour aux propositions des uns ou des autres. Chaque musicien développe son discours au service du collectif et l’on songe bien sûr aux grands trios de l’histoire du jazz, de Bud Powell à Chick Corea en passant par Bill Evans.
Si c’est la première fois que Bill O’Connell enregistre en studio avec le contrebassiste Santi Debriano et le batteur Billy Hart (deux habitués du label Jojo Records), ils se connaissent parfaitement bien et jouent ensemble depuis un moment autour d’une entente et d’une écoute mutuelle parfaite qui produit une alchimie musicale d’un haut niveau. Ils étaient notamment programmés au Hamptons Jazz Festival au sein d’un quartet qui comprenait le saxophoniste Craig Handy (et la présence du trompettiste Randy Brecker sur quelques titres). Un concert enregistré qui est devenu un album intitulé Live In Montauk publié en juin 2023.
A l’écoute du trio, ça joue – dans tous les sens du terme – avec une grande technicité et une magnifique expressivité, sans oublier l’aspect purement ludique et jouissif du jeu. On ressent une belle énergie pétillante qui procure beaucoup de plaisir. Nous avons l’impression que le trio joue en live, comme s’ils étaient portés par l’effervescence d’un public invisible. On éprouve aussi une sensation de relief, comme si cette musique était construite en trois dimensions.
Un album dense et généreux (72 minutes) qui propose onze morceaux fort bien construits et développés avec un grand sens artistique. Les compositions personnelles de Bill O’Connell dominent avec sept titres, où nous apprécions les tempos enlevés, portés par une belle énergie (« Around and Around », « 85th Street » ou un « Cay-Man » sous forme d’hommage à Horace Silver), mais aussi les morceaux lents ets ophistiqués comme « Touch » ou la composition de Santi Debriano « El Junque », sans oublier l’audace et la pertinence d’un blues – déstructuré et chaotique – intitulé « Billy’s Blues ».
Le trio propose également trois belles relectures de standards. A commencer par « Maiden Voyage » d’Herbie Hancock, où il s’amuse à glisser un petit clin d’œil au latin jazz. La belle mélodie de la chanson « Three Little Words » est jouée par le trio dans une version instrumentale dans le style de Thelonious Monk, tandis que l’élégance et l’émotion portent le thème de « I Hear A Rhapsody » avec une belle ferveur.
Bill O’Connell est un pianiste et compositeur au style unique et singulier, qui réussit à organiser avec bonheur, mélodies, rythmes et harmonies, mais aussi compositions et improvisations, exploration individuelle et interaction collective, et enfin tradition et modernité.
Musiciens :
Bill 0’Connell : piano, compositions
Santi Debriano : contrebasse
Billy Hart : batterie
Touch est sorti sous le label Jojo Records, le 17 janvier 2025.
L’album Touch est « HIT COULEURS JAZZ et BEST OF THE MONTH, Couleurs Jazz Radio pour janvier 2025.
Photos ©Anna Yatskevich
L’original de cette chronique se trouve dans le dossier de presse communiqué par Sylvie Durand.
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