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Andy Emler & Jean-François Zygel @ Le Triton (Les Lilas) 11/02/23

C’est toujours impressionnant de voir deux pianos à queue tête bèche surtout sur une petite scène. Et quand on sait que leurs tabourets seront occupés par Andy Emler et Jean-François Zygel on devine que les entendre sera également impressionnant.

Le concert commence tout en douceur par une petite mélodie sur un rythme répétitif qui s’enfle au fur et à mesure que le thème se déploie. C’est Emler, un vieil habitué du Triton, qui reçoit son confrère qui vient pour la première fois dans ce lieu et on sent que la convivialité entre les deux musiciens — qui se connaissent bien — est très présente.

Emler se cantonne au début dans le rôle de rythmicien, laissant Zygel improviser mélodiquement et rapidement les deux voix se mêlent sans qu’on puisse clairement distinguer le rôle de chacun. On a rarement l’occasion d’entendre Emler jouer des mélodies aussi chantantes et il y est de toute évidence très à l’aise.

Pour le second morceau c’est Zygel qui lance la mélodie sollicitant toute l’étendue du clavier avec un toucher somptueux et une assise rythmique tellurique sur laquelle Emler le rejoint. C’est ici le rythme qui domine et les deux claviers grondent en chœur avant qu’une petite mélodie alerte surgisse qui vient calmer le jeu. L’écoute réciproque des deux pianistes est impressionnante et on sent que chacun ménage à l’autre un espace pour s’exprimer.

Emler précise que c’est une rencontre sans filet et lance une rythmique enjouée sur laquelle Zygel vient poser une mélodie dansante puis les deux instruments se lancent dans un duo fortement cadencé où c’est de nouveau sous les doigts de Zygel que nait la mélodie. Même si les rôles ne sont pas clairement définis on sent que c’est chez Emler que se situe la préoccupation rythmique tandis que Zygel est davantage porté vers la mélodie.

C’est sans doute lié à la formation de chacun : plutôt jazz pour Emler, plutôt classique pour Zygel. Mais ces deux langages ne sont pas limitatifs et la possibilité de dialoguer est évidente. Sur un tempo lent lancé par Zygel, Emler greffera ainsi une main droite éminemment mélodique et les regards qu’échangent les deux pianistes disent assez comme ils s’attendent, se cherchent et se rejoignent.

On sait l’admiration d’Emler pour Maurice Ravel et c’est à lui qu’on pense à plusieurs reprises sur ce beau morceau. Un terrain où les deux musiciens partagent la même influence. Puis ils vont chercher des sons dans la table d’harmonie, délaissant momentanément les claviers. C’est ludique en diable et très répétitif voire bruitiste.

C’est ensuite une gamme indienne qui sert de prétexte à l’improvisation qui débute par une ritournelle sur cinq notes. Le morceau prend progressivement forme avec des nuances du piano au forte et des envolées lyriques sur cette base minimaliste qui débouchent sur une sorte de danse chaloupée et entrainante où la mélodie reprend le dessus.

Zygel propose ensuite une mélodie et dit à Emler « Tu en fais ce que tu veux ».

Après avoir laissé Zygel jouer seul, Emler reprend cette mélodie en l’harmonisant et en en déployant la beauté. Puis c’est à un jeu à quatre mains sur le même piano  que se livrent les deux pianistes avec des clins d’œil à « J’ai du Bon Tabac » et en se répartissant le clavier, chacun prenant à tour de rôle les graves et les aigus.

Quand ils reviennent chacun à son piano c’est pour un morceau lent qui fait penser à Bach par sa construction en canon avant de prendre un virage rapide qui le rapprocherait de la musique répétitive puis de revenir à sa base.

Au total une salle comble a assisté à la rencontre de deux musiciens que tout rapproche et qu’il est rare d’entendre ensemble. Le plaisir était de toute évidence partagé sur scène et dans le public.

©Photo couverture, Jean-François Zygel par Denis Rouvre/ Naïve.

©Photo Andy Emler, All Rights Reserved.

Le Triton est situé aux Lilas , aux portes de Paris.

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