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Je l’ai déjà souligné dans diverses publications sur papier ou sur le net : la différence d’ouverture entre la France et son grand voisin allemand est phénoménale. Ne serait-ce qu’au niveau des festivals ou lieux de concerts, par exemple.

Voici quelques années Rainer Michalke — un excellent programmateur que j’avais souvent eu l’occasion de rencontrer, entre autres à Jazzahead, le colloque/congrès/festival international qui se tient chaque printemps dans la bonne ville hanséatique de Brême — programmait au festival de Moers (dont il était le directeur artistique) le White Desert Orchestra de la jeune pianiste française Eve Risser.

A l’exception du festival Jazzdor qui se tient à Strasbourg et ses environs et qui traverse allègrement le Rhin quand il ne fait pas traverser le fleuve à des musiciens allemands ainsi que son voisin alsacien le Festival Météo à Mulhouse, peut-on imaginer un seul festival français qui inviterait une jeune musicienne germanique encore peu connue. Une musicienne que les programmateurs auraient eu la curiosité de chercher à découvrir ?

Angelika Niescer ©All rights reserved

Ni la formidable saxophoniste alto Angelika Niescier, ni l’excellente pianiste Julia Hülsman, ni l’altiste et clarinettiste-basse Silke Eberhard, ni même Aki Takase — la pianiste vétérane qui, bien que Japonaise, vit depuis des lustres à Berlin avec son époux Alexander von Schlippenbach — n’ont foulé les scènes hexagonales ces derniers temps, voire depuis longtemps.

©Joachim Kühn by Photo Art Hans Joachim Maqet

Chez les hommes, on constate le même phénomène : à part Joachim Kühn — il réside à Ibiza et a, en France où il a vécu un temps, un agent artistique : la très efficace Geneviève Peyrègne — qui est régulièrement programmé chez nous, les seuls Allemands à figurer dans les programmations hexagonales vivent dans notre pays : le pianiste Frank Woeste et le saxophoniste ténor Daniel Erdmann… Le tromboniste Daniel Casimir, quant à lui, est retourné dans son pays natal et, comme par hasard, on n’entend plus parler de lui ici.

 

©Photo Emile Parisien by Philippe Colliot

Les confrères allemands de ces musiciens, qui résident outre-Rhin, sont quasi inconnus de ce côté-ci du fleuve frontière, y compris une star dans son pays tel que le pianiste Michael Wollny.

©Photo Michaël Wollny by Philippe Colliot

Un de ses confrères pianiste, Florian Ross, a invité sur un de ses disques « notre Stéphane Huchard à la batterie.

©Photo Stéphane Huchard by Patrick Martineau

Avez-vous déjà vu un musicien allemand sur un disque français ? Si : naguère le saxophoniste Michael Riessler puis le trompettiste Claus Stötter au sein de l’ONJ ou plus récemment le tromboniste Nils Wogramdans le nouveau groupe de Michel Portal et Michael Wollny avec Vincent Peirani et/ou Emile Parisien, lesquels publient depuis des années leurs disques sur l’excellent label allemand ACT, de Siggi Loch, grand producteur devant l’éternel.

©Photo Michel Portal by Philippe Colliot

L’Allemagne est le plus grand pays d’Europe avec près de 85 millions d’habitants et plusieurs de ses grandes métropoles (Berlin, Cologne et Munich) hébergent une scène jazz active et créative. Et la France n’est guère curieuse de ce vivier d’outre-Rhin.

Mais parlons un peu de disques et faisons un petit tour des labels allemands ouverts aux étrangers non-américains, et singulièrement aux Français.

©Photo Lou Tavano by Patrick Martineau

Chez Act, outre le saxophoniste Emile Parisien et l’accordéoniste Vincent Peirani, Siggi Loch a signé le guitariste Nguyên Lê depuis des décennies.

©Photo Nguyễn Lê by Philippe Colliot

Il a récemment recruté la chanteuse Lou Tavano. La saxophoniste baryton Céline Bonacina a enregistré pour lui.

Céline Bonacina ©Photo Philippe Colliot

Le batteur Manu Katché également, de même que l’altiste Pierrick Pédron et le pianiste Grégory Privat.

©Photo Pierrick Pédron & Gregory Privat by Philippe Colliot

Chez son compère munichois, le label Enja du producteur Matthias Winckelmann (malheureusement décédé voici quelques mois), on rencontre aussi plusieurs Français : le contrebassiste Renaud Garcia-Fons, le tubiste et joueur de serpent Michel Godard, la harpiste Isabelle Olivier, le pianiste Jobic Le Masson

©Photo Michel Godard by Philippe Colliot

©Photo Jobic Le Masson by Patrick Martineau

Avant d’aller frapper à la porte du prestigieux label ECM, arrêtons-nous un instant chez Neuklang, (pas si) petit label indépendant des environs de Stuttgart. On trouve sur son catalogue les disques du big band français Ping Machine (que son leader, Fred Maurin, a mis en sommeil pour diriger la dernière mouture de l’ONJ).

On y trouve aussi les CDs de musiciens issus de Ping Machine comme l’excellent duo contrebassiste Rafael Schwab et de l’altiste Julien Soro ainsi que deux disques du trio de souffleurs atypique et décapant Journal Intime (Fred Gastard : saxophone basse, Mathias Mahler : trombone,  Sylvain Bardiau : trompette) qui invite sur l’une de ses galettes Vincent Peirani et le guitariste Marc Ducret

©Photo Vincent Peirani & Louis Sclavis by Philippe Colliot

ECM, enfin, propose sur son catalogue depuis des lustres différents groupes du saxophoniste/clarinettiste Louis Sclavis.

ECM a également accueilli  ou accueille encore les CDs de Manu Katché, du pianiste François Couturier, du violoniste Dominique Pifarély, du guitariste Kevin Seddiki, du bassiste Michel Benita, de l’accordéoniste Jean-Louis Matinier, du tromboniste Yves Robert

©Photo Michel Benita by Philippe Colliot

Certes, on pourra arguer du fait qu’en France il n’existe aucun label de la taille d’ECM, ACT ou Enja. C’est vrai. Mais la surdité des labels français par rapport aux artistes d’outre-Rhin reste une question ouverte.

Festivals, salles de spectacles, labels… la France ne regarde clairement pas vers l’est alors que nos voisins allemands sont à la fois curieux et hospitaliers envers les artistes de chez nous.

Un jour, un programmateur allemand m’a fait cette remarque qui n’a rien à voir avec la musique en elle-même mais qui me semble assez pertinente : « Tu sais, Thierry, quand je vois qu’on annonce un concert de Louis Sclavis ou de Manu Katché chez moi, je pense aussitôt à la France avec ses plages ensoleillées, ses restaurants gastronomiques, ses villages pittoresques entourés de champs de lavande… Ca me fait rêver ! Par contre je ne crois pas que les musiciens de jazz allemands fassent rêver le public Français. »

©Photo Manu Katché by Patrick Martineau

Triste constat mais grande lucidité chez ce professionnel de la musique qui a compris que l’art qu’il défend et soutient n’existe pas dans une bulle où seuls les critères musicaux auraient droit de cité.

Est-ce moi qui, dans un élan d’idéalisme assez naïf et éloigné des réalités du terrain, rêve d’un monde où la musique n’aurait pas de frontières ?

Sans doute.

Mais je continuerai à défendre, entre autres sur Couleurs Jazz Media une écoute ouverte et décloisonnée des musiques que nous aimons, et singulièrement du jazz allemand dans toute sa richesse et sa diversité.

©Cover Photo. Daniel Erdmann by Patrick Martineau.

©Header Photo. Manu Katché by Patrick Martineau

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