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ActualitéDans les bacs

Marie Kruttli trio – Nouvel album – « Running after the Sun »

Marie Kruttli, pianiste, compositrice de Jazz, vit à Berlin, vient de Suisse et a parfait sa formation jazz à New York. Elle nous propose un deuxième album très personnel et inspiré… Savant, peut-être ?

…Lorsque nous lui faisons part de notre réflexion à ce sujet, elle nous répond clairement, tranquillement mais avec la certitude des vrais artistes qui savent où les mènent leurs courses… vers le Soleil ?

Marie Kruttli : « Je me permets de répondre à votre question. Il s’agit de jazz contemporain, oui ! Le jazz prend beaucoup de directions différentes aujourd’hui. Pour ma part, en tant qu’artiste, je trouve qu’il est de notre devoir de le faire avancer et de ne pas le garder sous cadre.

Miles Davis n’a-t-il pas changé 5 fois le cours de la musique de son temps ? Que ce soit la naissance du « cool » ou le 2ème quintet ou même lorsqu’il a commencé à faire de la pop et à collaborer avec des gens comme Prince…

Je comprends que ma musique laisse certaines personnes perplexes. Elle s’inspire aussi beaucoup de la musique classique du 20ème siècle. A savoir : j’utilise beaucoup de « polytonalités » (plusieurs tonalités superposées). Et ce n’est pas quelque chose de familier, en tout cas pas dans le jazz. 

https://youtu.be/h44x9q5RYp0

Couleurs Jazz – Qu’est-ce qui t’a poussée à faire ce projet « Running After the Sun » ? Pourquoi ? Et déjà ce titre ? C’est quoi cette course vers le soleil, un besoin de lumière ?

Marie Kruttli – Running after the Sun n’est pas le nom du projet mais de l’album. ça a une signification bien spécifique, c’est vrai. J’ai étudié à Lausanne pour mon bachelor puis à Lucerne pour mon master.

J’ai fait un master « performance » ce qui veut dire que je me suis spécialisée dans le jeu de mon instrument. Je n’ai pas choisi de faire un master pédagogie par exemple, ce qui m’aurait rendu les choses plus faciles, en tout cas financièrement car j’aurais pu enseigner, être confortable. Après mes études, je suis partie trois mois à New-York (où j’ai enregistré mon disque en quintet « What Do I Miss ») et j’ai beaucoup aimé cette ville. J’ai ensuite déménagé à Berlin car je ne voulais pas retourner en Suisse. Cela me paraissait trop petit, endormi, pas assez d’énergie, de choses qui se passent partout et tout le temps. Depuis ce moment là, je me suis mis en tête de me concentrer exclusivement sur ma carrière de pianiste de jazz, plus particulièrement avec mon trio, avec qui je

Joue ma musique. Cet état d’esprit et de disposition a eu d’abord pour conséquence que j’étais complètement obsédée par trouver des concerts, des critiques etc.…J’ai un peu perdu pied, je ne trouvais plus de place pour l’aspect créatif, la musique. Je courrais après une sorte de succès, de lumière justement et sans même vraiment savoir pourquoi, comme si j’avais une mission. Cela m’a

Éloigné de l’essentiel. Et peu avant qu’on enregistre le disque, j’ai pris conscience de tout ça et j’ai décidé qu’il me fallait retrouver un équilibre entre le côté administratif et le côté créatif parce qu’aussi j’étais malheureuse… Voilà donc d’où vient le titre de l’album.

CJZ – Qu’aimerais-tu que le public retienne de cette musique ? Qu’est-ce qui te touche en général et là en particulier ?

MK – En fait, je suis souvent partagée par rapport à ça. Comme j’écris une musique que d’aucuns pourraient qualifier de « peu accessible » je me demande toujours dans quelle mesure je dois expliquer les choses, la démarche. Mes parents (qui sont musiciens, mais musiciens classiques) m’ont souvent conseillé d’expliquer plus les choses lors de mes concerts. J’ai beaucoup réfléchi.

Et j’ai essayé de me demander ce que j’aimerais que les artistes fassent si j’étais moi dans le public, sans forcément connaître ce qui était joué, démontré.

Eh bien en fait, moi, je n’aime pas les explications… 🙂 !

Je déteste avoir des guides audio dans des musées par exemple.

C’est comme s’ils me forçaient à ressentir quelque chose.

J’aime aller dans un musée et m’arrêter devant un tableau qui me parle, qui me touche, sans savoir pourquoi. Peu importe que je connaisse l’époque, la technique utilisée, le contexte politique de l’époque où l’œuvre a été créée.

L’œuvre me touche aujourd’hui et maintenant. Elle a un lien direct avec moi et mon histoire, un lien abstrait certes, mais bien là… Puissant.

Je crois que c’est pour ça que j’explique peu ma musique.

Parce que je veux laisser les gens libres de ressentir ce qu’ils veulent.

Je vous donne un exemple : ma musique peut parfois avoir des rythmiques « complexes ». Par exemple en 5, en 7, en 11, etc.  Ce sont des métriques auxquelles nous ne sommes par habitués, car nous sommes habitués au 4. Cependant je prétends que toutes ces métriques sont « dansables » à partir du moment où il n’y a pas quelqu’un qui nous ait dit juste avant… Que c’était

Compliqué, qu’on ne pouvait pas taper du pied dessus. A l’époque, dans les clubs de jazz, les gens dansaient sur le morceau « Take 5 » sans aucun problème. Un morceau en 5 justement. Dans certains pays, ces métriques dites « complexes » sont plus naturelles que le 4. A nouveau il faut

laisser une chance à l’auditeur de prendre les choses avec fraîcheur et de se laisser porter, simplement.

J’ai eu beaucoup de fois la chance de parler avec des auditeurs après mes concerts qui m’ont dit des choses comme « j’ai rien compris mais j’ai adoré » ou alors « je ne connais pas le jazz mais c’était magnifique ». Ces gens là restent ouverts, ne se sentent pas offensé dès qu’ils ne « comprennent » pas quelque chose. Ils lisent, au delà de ce qu’ils connaissent, un moment de

poésie, un moment dense, lourd en énergie, un moment léger et doux… Tout ça c’est du langage universel.

CJZ – Que penses-tu du jazz actuel ? de la musique en général ? de sa diffusion ?

MK – Je pense que le jazz actuel peut aller dans beaucoup de directions différentes et je trouve que c’est très bien. En tout cas moi je m’intéresse aux choses qui interpellent. J’ai du mal avec les gens qui voient le jazz comme une musique intouchable, qui fait du sur place, qu’on doit garder « intacte » et mettre sous cadre. Comme je l’ai dit plus haut, Miles Davis a changé cinq fois le cours de la musique de son temps…

Il a fait évoluer le jazz et je trouve que c’est notre devoir en tant qu’artistes de réfléchir à ça. Mais je pense que ces questions raisonnent différemment pour chacun d’entre nous. En règle générale je dirais que ce qui fait qu’un projet sonne bien, c’est son authenticité. J’aime les gens authentiques.

Dans la vie et dans la musique. J’aime les artistes qu’on reconnaît après trois notes, les gens qui ont une forte personnalité musicale.

CJZ – Peux-tu nous parler aussi de tes collègues musiciens sur cet album ?

MK – Nous jouons depuis cinq ans avec Martin Perret et depuis 3 ans avec Lukas Traxel. Je crois qu’on a vraiment construit un son de groupe avec le temps. Quelque chose de très uniforme. On commence à se connaître très bien aussi. J’ai l’impression que plus on joue avec un même groupe, plus on devient sans peur. On se fait confiance. On est capable de prendre des risques, d’oser, car on sait que l’un ou l’autre sera là pour nous « rattraper ». C’est un peu comme une danse… Certaines fois c’est un des musiciens qui « tient le truc », reste très clairement dans la forme, dans la structure d’un solo, pendant que l’autre prend plus de liberté, joue avec le tempo, le rend élastique… Puis il revient, permettant au premier de sortir du cadre à son tour… Puis de se

retrouver. Si on devait le dessiner cela donnerait quelque chose comme ça :

©Marie Kruttli

CJZ – D’autres musiciens dont tu voudrais dire un mot en général ?

MK – En ce moment j’écoute beaucoup le disque de Matt Brewer « Unspoken ». C’est magnifique et c’est avec Aaron Parks, mon pianiste préféré. Presque à chaque fois qu’il joue une ligne mélodique, cela me fait un effet dans le ventre.

CJZ – Un dernier mot ?

MK- J’ajouterais peut-être encore que je compose ma musique de manière très intuitive. Je recherche au piano des couleurs, des rythmes, des patterns qui me plaisent, qui m’intéressent.  Je ne réfléchis jamais en terme de ce qui fonctionne, en terme de cadence ou autre. Je me sers rarement de la théorie que j’ai apprise à l’école pour écrire. Je me fais confiance : ce sont des choses qui sont là de toute façon, que j’ai digérées. Tout comme toute la musique classique que j’ai entendue depuis que j’étais bébé.

Et c’est tout, je crois 🙂

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Running After the Sun est un album QFTF

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