Itv Exclusive et texte par Laurent Bataille pour Couleurs Jazz
N’en déplaise à certains, Manu Katché fait partie de ces musiciens que l’on reconnaît en 2 mesures ! « Désolé », me répond-il à la fin de notre entrevue lorsque je lui lance le compliment, assumant néanmoins totalement cette évidence, comme s’il trouvait cela tout à fait normal. Et pourtant, y compris pour un batteur, ce n’est pas évident de marquer ainsi par une sonorité, des couleurs, un style reconnaissable, en un mot par une personnalité. Intelligent, éloquent, élégant, cash dans ses propos, Katché joue comme il est et ça lui réussit.
Comme tout bon leader, il sait ce qu’il veut… et ce qu’il ne veut pas.
Après un passage remarqué chez ECM « qui ne poussait pas assez, selon lui, le développement d’une carrière que l’on sait toujours précaire », il décide de s’affranchir de la production de Manfred Eicher, se dirige vers le label ACT pour un live, et décide finalement de s’auto produire. Comme tout bon leader, il sait ce qu’il veut… et ce qu’il ne veut pas. « Pour « Unstatic », enregistré au studio Ferber à Paris avec un ingénieur d’outre Atlantique, je souhaitais une femme contrebassiste, jeune, qui puisse rester vraiment dans les choses simples que j’ai écrites. La contrebasse d’Ellen (Andrea Wang) s’inscrit dans la couleur du Jazz, agrémentée d’une sensibilité et d’une approche féminine, comme pour un couple, avec tout de même assez de puissance électrique pour s’accorder à mon son de batterie », précise Manu qui frappe effectivement un peu plus fort les fûts et cymbales, et remplit un peu plus l’espace sonore que certains jazzmen drummers. Idem pour « l’orchestration trompette, sax, trombone, qui peut rappeler les quintets ou sextets mythiques des années 1950 ou 60, mais tend plutôt dans ce dernier opus vers un son orienté seventies et soul, sans jouer soul, mais avec une production bien pensée dans cette direction ». Manu n’aime pas forcément réécouter ses disques, mais une chose est sûre, il ne se cherche plus et nous avoue avoir poussé l’artiste qu’il est vraiment au fond de lui, « en essayant et en osant des choses ! ». Il semble s’être trouvé et s’il réagit lorsque je lui parle de jubilé, « normal, je n’ai pas cinquante ans de carrière ! 😉 », on sent une certaine maturité et un cheminement dans l’écriture, la direction des musiciens, « pour en tirer le meilleur », et dans la façon de presque se faire désirer, laissant les lignes de basse et les couleurs s’installer, avant d’habiller chaque plage d’un groove sûr et de nombreuses signatures sonores.
C’est le cinquième disque qu’il assure sous son nom et, « pour installer cet héritage sonore pop/rock/soul/jazz et créer un lien entre les morceaux », nous précise-t-il, Manu s’entoure pour la 3e fois du même pianiste « Jim Watson, avec lequel l’alchimie fonctionne parfaitement, en particulier au Wurlitzer ». Après une expérience sans basse, ce piano électrique « vient succéder à l’orgue Hammond, au piano Fender, ou à la basse électrique de Pino Paladino entendus dans les précédents albums. À cela s’ajoute des sonorités graves que j’ai ici privilégiées pour la batterie et la contrebasse, avec un esprit soulful appuyé par une prise de son typique d’Amérique du nord ». Le résultat donne une synthèse teintée d’influences très diverses, y compris pour une très belle introduction qui évoque la rumba des années 1950 dans laquelle la batterie brille… par son absence : « J’ai laissé la contrebassiste et le percussionniste jouer, et je ne rentre qu’après ». Tout en gardant sa sensibilité, son exigence et son sens de la précision, le batteur « dirige et laisse à la fois assez de liberté pour que la musique se fasse. Cet album correspond à ce que je suis et même si j’ai privilégié les mélodies, sans partir dans une démonstration de batterie, je me suis mis un peu moins en retrait que sur les disques précédents ».
« Un Jazz qui doit continuer à se montrer évolutif en s’imprimant de plein de musiques différentes, sans jamais vendre son âme ni aboutir à des collages… »
Conscient des nouveaux venus « sur un marché devenu beaucoup plus complexe », et d’une « notoriété qui pourrait aussi ennuyer le public », Manu assume pleinement son caractère de leader et « évite de lasser en ne tournant volontairement pas toute l’année ». Il s’efforce de se poser, de se renouveler, et endosse pleinement chacune de ses casquettes : batteur, compositeur « privilégiant des mélodies que l’on puisse facilement reconnaître », producteur… Lorsqu’on lui cite d’autres batteurs leaders étrangers ou français, il retient volontiers André Ceccarelli et Daniel Humair, manifestant un respect sincère pour leur influence essentielle. Si on évoque Hugh Coltman, il se montre dithyrambique, le compare volontiers à Gregory Porter, et continue en évoquant un crossover entre la Folk, la Pop, l’électro, le Hip Hop et « un Jazz qui doit continuer à se montrer évolutif en s’imprimant de plein de musiques différentes, sans jamais vendre son âme ni aboutir à des collages ». Il argumente en citant Ibrahim Maalouf, Tigran Hamasyan ou Eric Legnini qui utilisent intelligemment le Jazz, et tacle gentiment une pop ou un rock qui « restent finalement assez Mainstream, sans finalement avoir beaucoup évolué ».
Ambitieux et plein d’énergie pour communiquer sur ses projets, Manu Katché évoque le concert événement qu’il organise également de main de maître à l’Olympia, le 7 avril. Une soirée où il souhaite réunir une partie de sa famille musicale, dont Sting et Dominic Miller, des musiciens importants pour lui, avec lesquels il se sent bien. « C’est une salle mythique où énormément d’artistes se sont produits, tous styles confondus ! J’aurais aimé que Pino (Paladino) ou même Marcus Miller puissent être là, mais ils ont eu un empêchement, et comme il y aura Richard Bona, je ne pouvais pas faire un truc qu’avec des bassistes ! Peter (Gabriel) est lui aussi malheureusement pris ailleurs », nous confie-t-il une pointe de regret dans la voix. « Il y a eu un authentique partage avec ces musiciens durant 30 ans, or ces choses-là n’arrivent pas par hasard. Si Joni Mitchell avait été en forme, j’aurais beaucoup aimé l’avoir sur ce projet, mais c’est Noa qui apportera cette touche féminine. Il y aura également Raul Midon que je considère comme une vraie révélation, et également Stephan Eicher avec lequel j’ai aussi un réel rapport humain. Il ne s’agit pas de pognon, ni de têtes d’affiche, mais de rencontres entre artistes. Finalement, tu vois, pour moi, c’est réellement ce rapport humain-là qui reste le plus important ! ».
Laurent Bataille.
Laurent Bataille.
Music written and produced by Manu Katché
Manu Katché – Drums, vocals
Jim (James) Watson – Acoustic piano, Keyboards
Tore Brunborg – Saxophones
Luca Aquino – Trumpet
Ellen Andrea Wang – Upright bass, vocals
Nils Langren – Trombone
Abraham, Rodriguez Mansfarrol,
Joël Hierrezuelo Balart,
Inor Esteban Solotongo Zapata – Percussions (introduction –Track1)
COMMENTAIRES RÉCENTS