Jean-Pierre Como, devenu artiste Steinway, présente au Pan Piper le projet « Infinite » dans le cadre d’une soirée SACEM.
Le disque en lui-même est une réflexion sur l’esprit du jazz, basé sur le désir de transmettre une pulsation fondamentale liée au concept d’improvisation.
Le quartet composé de Christophe Panzani au saxophone, de Bruno Schorp à la contrebasse, et de Rémi Vignolo à la batterie, propose une création née des interactions entre musiciens et public, envisagée comme une entité à la fois réelle et fantasmatique. Dès l’ouverture du concert et l’exercice en piano solo de Jean-Pierre Como, l’imaginaire occupe une place prépondérante dans la musique, et le public présent dans la salle de frissonner dès les premiers accords du « Over The Rainbow » de Judy Garland (un parallèle probable de Wonderland, premier morceau de Jean-Pierre Como joué par le quartet, inspiré par Lewis Carroll).
Si la plupart des motifs mélodiques ayant servi de rampe de lancement aux compositions sont le fait du claviériste, deux d’entre elles sont issues des idées de Rémi Vignolo, contrebassiste réputé devenu un batteur puissant et inspiré, ainsi qu’en atteste le magnifique « La Sorrentina », où l’on perçoit quelques influences exotiques du meilleur goût. Les deux musiciens se connaissent depuis longtemps, et cela s’entend dans l’articulation d’un discours musical qui navigue entre sensibilité et fougue.
La formation touche au sublime lorsque le collectif s’exprime d’un même mouvement, mettant en valeur les qualités propres à chaque musicien plus que l’identité d’un concept (formidable Bruno Schorp qui se met au service de la musique avec une humilité particulièrement convaincante). Ces compositions en temps réel sont comme sculptées au cœur même de la matière sonore, matérialisant le désir sous-tendu par un plaisir né d’une expérimentation qui est l’essence même de la musique jazz.
La poésie inhérente à cette projection semble pour ainsi dire faite pour le live, et Jean-Pierre Como exploite avec un art consommé les contrastes nés de l’interprétation de mélodies délicates sur une architectonique parfois tempétueuse. Le saxophone de Christophe Panzani fait souvent songer à une voix humaine, et le travail d’expression pure réalisé par le groupe rend difficile l’analyse des chorus au moyen de termes techniques. Se dégagent le travail des tempos, des timbres, ainsi qu’un sens du collectif d’autant plus impressionnant qu’il promeut l’expression d’une ipséité musicale.
Cet ensemble holiste jure avec l’idée archaïque du travail de composition en solitaire, comme si le matériau né des échanges entendus ce soir devait tout au moment, au lieu, au public. Du coup, la musique prend des allures de happening, de travail graphique, photographique, pictural, à l’intérieur duquel l’instantanéité d’un morceau devient pure réflexion sur la forme et la spontanéité artistiques.
Les couleurs du jazz sont d’ailleurs restituées avec un sens synesthésique très rimbaldien. Le titre de l’album suggérait déjà une poursuite infinie, intemporelle, matinée d’une évanescence jamais mieux mise en valeur qu’en cette soirée empreinte de chaleur blanche. Parfois, au détour d’une suite de notes jouée à l’unisson par le groupe, l’univers fusion originel du co‐fondateur de Sixun refait surface tel un palimpseste, avec un mouvement premier fait d’un désordre créatif propice aux ruptures. Infinite ou l’amplitude d’un jeu métaphysique avec les frontières, la sérendipité, l’art des hasards heureux. Ce discours sur l’harmonie devrait d’ailleurs déboucher sur un second album, où le travail sur les atmosphères et l’onirisme seront poussés plus avant.
Et, de fait, l’immense énergie contenue propre au projet fait entrevoir des moments de tendresse minuscule, de ceux qui confèrent au label de l’artiste son nom d’âme sœur, et ne font pas grief au tempérament volcanique d’un groupe n’hésitant pas à utiliser des harmonies célestes et cristallines pour communier avec son public. Cet art des nuances est empreint d’une sensualité formidable, sculptant la matière sonore comme un authentique élément temporel, combinatoire savante où toutes les expériences antérieures des musiciens sont mises à profit au même titre qu’un autodidactisme synonyme de quête de soi et de force incoercible. Une soirée mémorable avec la certitude d’avoir vu et entendu quelques-uns des meilleurs musiciens de la scène jazz actuelle « In The Mood For Dreams ».
Jean-Pierre Como : piano et compositions
Christophe Panzani : saxophone soprano et ténor
Bruno Schorp : contrebasse
Rémi Vignolo : batterie
©Photos Patrick Martineau… dit Lucky Luke, l’homme qui shoot plus vite que son ombre.
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