Encore une fois, la programmation du dernier Festival Estival Parisien conclut la saison 2024. Un été indien aux couleurs chatoyantes, avant l’heure.
01/09/2024
Démarrage en beauté et en jeunesse, le premier jour de septembre, avec un groupe issu du CNSMP voisin, le célèbre conservatoire par lequel sont passés nombre de musiciens français de renom depuis quelques décennies.
Le quintet d’aujourd’hui réussira-t-il à se faire un nom et à conquérir un public fidèle ou curieux ? On le leur souhaite car ses membres sont des instrumentistes de premier ordre, aussi bien au sein du son d’ensemble qu’au niveau des solos. On y remarque avant tout le trombone fluide et charnu de Jules Regard, le leader et compositeur du groupe, qui se taille la part du lion en termes de chorus.
Si la première composition qu’ils interprètent est gentiment jolie mais sans grandes aspérités harmoniques ou rythmiques, elle est jouée avec une belle maîtrise des dynamiques et de l’interaction.
On attend un peu le solo de guitare, mais Loan Buathier reste assez discret et ne propose que de brèves interventions où on sent une nette influence de John Scofield.
Le pianiste, de son côté possède un jeu raffiné et, en introduction de l’arrangement du « Footprints » de Wayne Shorter — pris à un tempo d’une majestueuse lenteur — il égrène des arpèges délicats avant de se lancer dans un stop chorus d’une grande richesse.
Un soliste à suivre, donc.
Quant à la paire rythmique, elle accompagne le tout de façon parfaitement convaincante. Cette reprise montrera au public nombreux que ces jeunes musiciens connaissent leurs classiques.
Le troisième morceau interprété lors de ce court set mettra de nouveau en vedette le piano d’Oscar Teruel et le trombone véloce du leader, sans oublier le guitariste qui aura ici l’occasion de montrer de quel bois il se chauffe avant que la batterie ne booste avec une vigueur fortement polyrythmique ses quatre acolytes sur le final.
Un jeune groupe déjà en possession de ses moyens et dont on se plaira à suivre l’évolution.
Après les « gamins », le vénérable vétéran — qui, au passage — dirigea le CNSMP à sa création voici une trentaine d’années : on reste donc plus ou moins dans la famille. Cela fait un bout de temps qu’on n’avait pas vu François Jeanneau sur scène à Paris, ce me semble, et c’est bon de pouvoir se faire rappeler quel grand musicien est ce saxophoniste qui — en l’occurrence pour ce concert — se cantonna à jouer du soprano, un instrument sur lequel il possède un des plus beaux sons de la Planète, ce que fit entendre un fascinant et virevoltant stop chorus sur les harmonies du « Lush Life » de Billy Srayhorn, où Emil Spanyi le rejoignit bientôt avec dans sa besace de somptueux accords et arpèges avant que la rythmique ne vienne ponctuer le tout en finesse.
Entouré d’une garde rapprochée dont au moins le pianiste et le batteur lui sont fidèles depuis des lustres, Jeanneau proposa un jazz libre et solidement charpenté qui sonnait — paradoxalement, dira-t-on — plus jeune que celui des cadets qui l’avaient précédé.
Dotés chacun d’une forte personnalité, les membres du quartet — dont trois auraient l’âge d’être les fils du leader octogénaire — donnèrent une magistrale leçon de musique sans jamais paraître scolaires ou pédants.
D’ailleurs qui, dans sa génération, Jeanneau pourrait-il choisir comme accompagnateurs ?
Ses anciens acolytes de son âge — Daniel Humair, Henri Texier, Michel Portal… sont tous des leaders à l’emploi du temps chargé. D’autres ne sont plus parmi nous. Le saxophoniste est donc réduit — comme les vétérans précités — à recourir à des sidemen quadra ou quinquagénaires de haut niveau qui, tous, ont pour lui un respect mêlé de sympathie due aux nombreuses années passées à ses côtés.
Si le jazz de Jeanneau sonne par endroits plus « abstrait » que celui des représentants de la nouvelle générations présents juste avant lui sur la scène de l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, il n’en reste pas moins riche de propositions harmoniques, mélodiques et rythmiques séduisantes et accessibles, tel ce calypso enjoué qui surgit vers la fin du concert ou ce « On Green Dolphin Street» en rappel après une ovation debout largement méritée.
En effet le jazz de Jeanneau fait entendre des voix majeures et uniques de cette musique qui, de tout temps, s’est jouée sans tenir compte des catégories d’âge.
Souhaitons donc aux jeunes musiciens sortis des conservatoires et autres écoles de jazz de rencontrer des mentors de la trempe de François Jeanneau qui pourront les aider à élargir leur vision et leur champ d’action.
L’autre conseil qu’on peut leur donner est d’aller voir au-delà des frontières de l’Hexagone ce qui s’y mijote dans des scènes locales foisonnantes et diversifiées. Jeanneau a bien déniché Emil Spanyi et Joe Quitzke en Hongrie (ou presque puisqu’en fait ce sont eux qui sont venus explorer la scène française et s’y faire un nom il y a une trentaine d’années).
Rien n’empêche ses cadets d’aller à leur tour confronter leur pratique à l’arc en ciel des tendances et mouvances du jazz européen.
06/09/2024
En première partie de Kenny Garrett, c’est le 4tet de Muriel Grossmann qui ouvre le bal.
Au sax soprano, la leadeuse du groupe possède une sonorité dense et acérée et un phrasé tranchant. Mais le son de groupe est trop envahissant, ce qui est le problème de La Philharmonie qui n’est pas faite, acoustiquement parlant, pour la musique électrifiée — qui a été choisie comme lieu de concert jazz par défaut, la Grande Halle étant réquisitionnées pour les J.O.
Au sax alto, Grossmann possède un son et un phrasé plus fluides et la guitare n’est pas en reste, qui délivre des solos bluesy d’une grande limpidité quoiqu’un peu trop longs à mon goût.
Quant à l’orgue et la batterie, ils ronronnent et crépitent assez lourdement. On est là dans un jazz grooveux sans grande originalité mais bien ficelé et qui se situe bien en dessous de ce que faisaient les omniprésents organ combos des années 60.
Kenny Garrett, on l’attendait au tournant, après cinq années qu’il n’était pas venu à Jazz à la Villette.
C’est tout de blanc vêtu qu’il se présenta sur scène et d’emblée son alto trancha dans la masse sonore du quintet.
La sono trop forte, gâcha un peu le solo du pianiste et l’alto s’en tira mieux… Mais on ne reconnut pas bien la magnifique sonorité qu’on lui connaît. C’est enfin la basse qui pâtit le plus de cette sonorisation brouillonne, surtout en solo.
Quant à la chanteuse-percussionniste, elle est carrément inaudible, tandis que le couple basse-batterie évolue dans une épaisse brume sonore.
Le public nombreux, qui est rapidement invité à claquer des mains, semble pourtant apprécier ce concert décevant, tant au niveau de la musique que de la sonorisation, tandis que le gars Quénum et son collègue de Jazzmag quittent les lieux, sans se concerter, après le troisième morceau.
Et votre dévoué serviteur trace la route dans le Paris nocturne sur son fidèle scooter Honda « Swing » (il n’y a pas d’hasard !) pour aller se nettoyer les oreilles à la péniche Le Son de la Terre, où Jean-Pierre Como et son combo mi-Rital mi-Frenchy déchire sa reum chaud bouillant ou coolissime, en configuration totalement acoustique, avant de faire des bisous et autres papouilles — hante ou bien tout tonnerre et au-dessus de la ceinture — à l’un de leurs jazz writers favoriz (Olé !).
07/09/2024
Du trio de Brad Mehldau, le moins qu’on puisse attendre, c’est qu’il se produise avec une sonorisation acoustique correcte.
Ce fut le cas dans la Grande Salle de la Cité de la Musique.
Le pianiste commence avec un ostinato dans les mediums-aigus du clavier, bientôt rejoint par une main gauche et une contrebasse économes, accompagnées par une batterie discrète. Quel bonheur d’entendre cette sonorité de trio fluide et vibrante qui prend son temps pour asseoir une atmosphère d’une plénitude intimiste remarquable.
Le morceau suivant est plus enjoué avec une ligne mélodique bondissante exposée conjointement par le piano et la basse. Plus lyrique, le thème qui suit — « Blue Impulse » — est traité avec un grand classicisme où la mélodie est mise en avant avec une rigueur et une lisibilité cantabile du meilleur effet.
Mehldau a de toute évidence renoncé à épater, se contentant d’inscrire son jeu dans la grande tradition du beau piano jazz. Et s’il possède les moyens techniques de sidérer son public, il ne les met jamais en œuvre pour de mauvaises raisons.
Maturité ? Certes, mais aussi attitude d’un artiste qui n’a plus rien à prouver et qui puise dans un répertoire personnel accumulé au fil des ans, émaillé de quelques standards.
Avec un nouveau, jeune et fort bon bassiste, Felix Moselholm, et le batteur de ses débuts, Jorge Rossy, Mehldau est moins aventureux qu’avec sa rythmique majeure composée des excellents Larry Grenadier et Jeff Ballard, mais il creuse ici un sillon fertile où il peut exprimer ce qu’il est devenu à 54 ans.
Mehldau avait intitulé voici quelques lustres, une série de CDs « The Art of the Trio » et il a continué à cultiver cet art parallèlement à des disques en solo ou autres.
Dans la formule actuelle, le triangle n’est pas équilatéral et le pianiste est clairement le boss, même si ses sidemen sont de haut niveau, entre autres sur un standard tel qu’« Impression » (de John Coltrane, traité en 5/4) où le bassiste et le batteur s’octroyèrent chacun un copieux solo.
Mais Mehldau — qui, voici quelque temps, pouvait sembler morose, nostalgique voire dépressif et heureux que Ballard et Grenadier le poussent vers le plaisir de jouer — irradie aujourd’hui une resplendissante sérénité qui fait plaisir à entendre.
Trois autres standards, un « Estate » d’une majestueuse lenteur, un « From this Moment on » joyeusement tranquille — où la contrebasse et la batterie eurent à nouveau l’occasion de s’illustrer brillamment — et un « Young and Foolish » du même acabit vinrent confirmer cette esthétique du less is more. Et c’est avec une vision lumineuse du piano et du trio que Mehldau égrena le répertoire d’un concert où il avait de toute évidence autant de plaisir à retrouver le public parisien, que ce dernier éprouva de bonheur à écouter un de ses musiciens favoris.
- Atelier du Plateau : Paul Jarret Acoustic Large Ensemble
Contraste total — quoi que la musique, comme son nom l’indique, soit également acoustique — avec l’ALE de Paul Jarret. Là c’est elle, dira-t-on. Et effectivement elle est bien là !
Du solo de violons introductifs aux parfums celtiques à l’ensemble de cordes, anches et embouchures, on est dans le haut du panier d’un jazz européen assumé dans ses sonorités et dans un flux qu’on ne trouve que sur le Vieux Continent.
« Vieux » est d’ailleurs impropre tant l’écriture touffue est innovatrice, sans parler de l’instrumentation unique. Ce son dense et touffu s’enfle et décroît majestueusement, laissant percevoir les subtilités des timbres de chaque instrument qui s’imbrique ou s’individualisent de façon tout, sauf aléatoire. Car pour diriger une telle phalange il faut une plume acérée et une grande science des alliages sonores et des dynamiques. Tantôt fluide, tantôt épaisse, la sonorité d’ensemble est magnifique et innovante, puisant allègrement dans la musique minimaliste et les franges de la contemporaine répétitive voire les musique folk et baroque. Pas de batterie ici, ni de longs solos.
D’aucuns demanderont : « Est-ce encore du jazz ?
En fait on s’en fout, envoûté qu’on est par ce flux tranquille ou tempétueux et cette masse sonore imposante et ductile au sein de laquelle deux contrebasses peuvent dialoguer sur un motif répétitif réitéré dans les aigus et les médiums.
La guitare peut entonner une délicate mélopée popisante tandis que l’Ensemble, disposé en cercle, lui fournit un contrepoint harmonique et mélodique de toute beauté.
Navigant souvent dans las graves du spectre sonore (2 basse & 2 tubas !), la sonorité de l’Ensemble vous prend aux tripes tout en sollicitant fréquemment votre oreille harmonique. Cette sorte de basse continue, héritée de la musique baroque, est d’une efficacité redoutable et, utilisée finement, elle apporte un substrat d’une grande beauté aux instruments qui évoluent dans les aigus et les médiums (violon alto, harpe). Une telle utilisation de la conduite de voix est absolument sidérante et participe amplement au charme envoutant d’une musique qu’on espère entendre souvent sur les scènes hexagonales et européennes.
©Photos Jazz à La Villette
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