En cette année de commémoration du 50è anniversaire de la disparition de John Coltrane, il revenait à l’édition 2017 de Jazz à Juan – où le légendaire saxophoniste avait donné un concert historique en 1965 – de mettre l’accent sur les saxes en programmant deux légendes – Wayne Shorter et Archie Shepp – une pointure familiale – Branford Marsalis – et une révélation de la nouvelle génération – Shabaka Hutchings.
A bientôt 84 ans (il les aura le 25 août prochain), Wayne Shorter est un jazzman qui défie le temps et la musique. Chacun de ses concerts est un mystère : tantôt hermétique dans lequel chaque note est comptée voire économisée ; tantôt débridé avec l’émission de grandes et belles phrases musicales. Ce qui fut le cas lors de cette soirée de juillet donnée en hommage à l’un de mes trois pères spirituels récemment décédé, Michel Delorme, journaliste, label manager et ami des jazzmen.
D’entrée, entouré de sa garde rapprochée, la même depuis plus d’une quinzaine d’années – Danilo Perez (piano), John Patitucci (contrebasse) et Brian Blade (batterie) – Wayne Shorter, assis près du piano, se lance, au saxophone-soprano, dans des long chorus qui prennent le large face à la mer. Et très vite, il repousse les limites de l’improvisation grâce à un discours foisonnant d’idées innovantes, énergiques et abondantes. Aidé en cela par cette magnifique section rythmique qui appuie chacune des démarches et des recherches d’un leader habité – tantôt au soprano, tantôt au ténor – parfois à la limite du mystique, pour qui chaque note est choisie, pesée, soupesée, étudiée pour atteindre une sorte de nirvana du jazz à l’état pur ! Ce maître es-saxophones est aussi le maître du tempo.
Du jazz à l’état pur, il en fut également question cette même soirée avec Branford Marsalis et son invité de luxe, le vocaliste Kurt Elling. A la tête de sa formation très soudée d’où émerge un pianiste absolument exceptionnel dans le jeu parfaitement abouti, volubile et extraverti, en la personne de Joey Calderazzo, le leader s’est lancé dans de longues et séduisantes improvisations où le swing était omniprésent. Avant d’être rejoint par Kurt Elling. Véritable chanteur de jazz, pas nécessairement crooner, il est le digne héritier des Mel Tormé, Mark Murphy ou encore Johnny Hartmann. Avec lui, nous sommes dans la tradition des standards chantés et scattés avec brio et d’une voix au timbre clair et musclé. Pas de fioriture, ni de notion d' »entertainment », le jazz vocal dans son esprit et son essence.
Une légende et une révélation
Après des soirées données à guichets fermés et dominées par Macy Gray, Gregory Porter et Sting, le jazz était de retour – devant un public clairsemé ! – avec une autre légende, Archie Shepp, et deux révélations de la nouvelle génération, le claviériste Robert Glasper et le saxophoniste Shabaka Hutchings.
Né au Royaume-Uni mais appartenant à l’imposante diaspora originaire des West Indies (les Caraïbes anglo-saxonnes), Shabaka Hutchings, 33 ans, est un des membres très actifs de la scène jazz underground londonienne. Désormais à la tête d’un groupe baptisé « The Ancestors« , composé de nombreux musiciens sud-africains et d’un récitant, le jeune homme pratique une musique colorée, rythmée et variée, alliant de multiples racines avec des accents free, qui n’est pas sans rappeler dans l’esprit la période post-coltranienne.
Volontairement, je passerai sous silence la prestation de Robert Glasper et de son Experiment qui n’était qu’une avalanche, une déferlante, un raz-de-marée de sons et de rythmes binaires et hip-hopant hyper électrifiés et amplifiés jusqu’à la nausée !
A désormais 80 ans, Archie Shepp est toujours une légende du jazz moderne et contemporain. Même s’il n’a plus les capacités physiques et le souffle de sa jeunesse au sein des précurseurs du Free Jazz et de la New Thing, il possède toujours cette sonorité reconnaissable entre toutes, écorchée vive, rugueuse, qui bouscule et heurte. Loin du tumulte sonore des années de braise, il égrène aujourd’hui ses propres compositions apaisées et les standards, rendant ici hommage à Billie Holiday ou au pianiste de bebop et hard-bop Elmo Hope.
Juste un mot pour dire que la 57è édition de Jazz à Juan a pris fin dans la joie et la folie avec l’étonnant concert donné par le chanteur et pianiste britannique Jamie Cullum, qui a transporté le public par sa vivacité, son énergie débordante, son don de soi, ses tubes et sa communication débordante.
La prochaine édition de Jazz à Juan aura lieu du 14 au 22 juillet 2018.
© Photos Gilles Lefrancq pour OTC Antibes Juan-Les-Pins
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