42 ans, la maturité !
On pourrait penser que Jazz sous les Pommiers ayant atteint sa vitesse de croisière il se contenterait de maintenir l’acquis et de garder le cap. Ce n’est visiblement pas l’option choisie. L’envie d’ouvrir de nouveaux horizons est évidente, comme de proposer des directions innovantes.
On peut citer à titre d’exemple pour cette 42ème édition :
–Les Jazz Export Days
Co-organisées avec le Centre National de la Musique (CNM), ces journées avaient pour objectif de présenter la diversité et la qualité de la scène jazz française à 30 professionnels, originaires de tous les continents, et susceptibles d’inviter ces formations dans leurs pays respectifs. Un marché du Jazz !
Huit showcases ont été programmés : Nout, Laurent Bardainne et Tigre d’Eau Douce, Théo Girard trio, Ishkero, Red Desert Orchestra, Camille Bertault, Rouge et Arnaud Dolmen quartet. Et dans le rôle de « Monsieur Loyal », l’animateur de l’émission Open Jazz chez notre confrère France Musique, Alex Dutilh.
Au cours de ces Jazz Export Days, il faut noter un moment exceptionnel auquel étaient conviés les organisateurs internationaux : une soirée à l’abbatiale du Mont-Saint-Michel, dans le cadre des festivités de son millénaire avec le duo Vincent Peirani/Emile parisien. L’impression fut très forte !
– La confirmation comme Pôle de référence nationale jazz : les collectivités participeront au financement de l’accompagnement d’artistes.
Quant aux concerts auxquels a pu assister Couleurs Jazz Média, impossible de rendre compte de l’ensemble : 36 formations vues et écoutées sur les 61 concerts proposés.
Aussi, je vous propose un échantillon tout à fait subjectif, mais revendiqué.
En ces temps de festival de Cannes, pas de classement, mais une Palme d’Or attribuée tout de même, à ce qui fut, pour moi, l’évènement majeur de l’édition 2023 du festival : la rencontre de deux grandes personnalités du jazz , le pianiste cubain Gonzalo Rubalcaba et le saxophoniste alto Pierrick Pédron, sur la scène du Théâtre.
Une première mondiale à Coutances !
Après avoir enregistré en 2005 à Brooklyn avec Mulgrew Miller, Pierrick Pédron croise cette fois-ci son alto, en duo, avec le pianiste cubain. Cette rencontre donne lieu à un enregistrement qui a pour titre leurs deux seuls noms. (un album par ailleurs, Hit Couleurs Jazz à sa sortie)
Et c’est le public de Jazz sous les Pommiers qui a l’honneur de cette première sur scène.
Concentration extrême des musiciens, émotion palpable qui ne bride en rien l’inventivité, le swing, le lyrisme et la fluidité du jeu des musiciens… Tels sont les ingrédients qui vont faire de ce concert un moment exceptionnel de très haut niveau.
Des reprises complètement revisitées, allant notamment d’un morceau de Sydney Bechet « Si tu Vois ma Mère » à des morceaux plus modernes comme « Ezz-Thetic » de Georges Russell, et cette superbe ballade de Carla Bley « Lawns ».
Une rencontre au sommet, un moment de grâce ! L’accolade que se donneront les deux musiciens à l’issue du concert est révélatrice à la fois de leur communion musicale et de leurs relations humaines.
D’autres concerts raviront pleinement mes oreilles :
– Le premier concert auquel j’ai pu assister pour cette édition : celui du guitariste Julian Lage avec Jorge Roeder à la contrebasse et Dave King à la batterie. Énorme ! …tout simplement. C’était une première fois pour moi. Je pris comme on dit, une claque !
–
– L’énergie communicative de Papanosh et leur maîtresse à danser Amélie Affagard.
– Steve Coleman : …s’installer dans la rythmique et se laisser porter.
– Dee Dee Bridgewater & The Amazing Keystone Big Band : pour Dee Dee !
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Triumviret : l’osmose familiale dans la cathédrale.
– Elie Martin-Charrière : le « poète des baguettes » accompagné par quatre jazzwomen dont Olga Amelchenko au saxophone et à la flûte que l’on commence à voir et entendre de plus en plus. Elie Martin-Charrière en grande forme et bouillonnant de créativité.
– Erik Truffaz et le Choeur Emelthée : des chants grégoriens composés par le trompettiste et interprétés dans l’écrin de la cathédrale. « La voce della Luna ».
– Sixun : pour ses 40 ans, une rythmique énorme (Michel Alibo, Stéphane Edouard, Paco Séry) qui transcende Louis Winsberg, Alain Debiossat et Jean-Pierre Como.
– Dans le cadre des Jazz Export Days :
– le trio du contrebassiste Théo Girard l’emporte par la qualité des compositions.
– Camille Bertault pour son aura, son sens du rythme.
– Arnaud Dolmen quartet, un must de la batterie et des compositions résolument jazz et modernes.
Quelques concerts n’ont pas répondu complètement à mes attentes :
– La carte blanche à Birelli Lagrène : une virtuosité impressionnante, mais l’émotion n’est pas passée. Son duo avec Ulf Wakenius a été un modèle du genre où les 2 compères guitaristes conversent à merveille.
– La prestation de Youn Sun Nah, (qui malheureusement s’est éloignée du jazz depuis qu’elle n’est plus chez Act) mais dont évidemment on ne peut remettre en cause, ni les qualités vocales, ni celles des musiciens l’accompagnant, dont la trompettiste Airelle Besson et le violoncelliste Guillaume Latil. Mais sa propension à minauder à quelque peu selon moi, terni la promesse d’assister à un grand concert.
– Je formule les mêmes remarques pour le concert d’Ana Carla Maza.
Il y a d’autres concerts auxquels je n’ai pu assister. Mais un petit tour au soundcheck de deux d’entre eux me l’ont fait regretter :
– Daniel Humair trio invite le tromboniste Samuel Blazer avec Stéphane Kerecki et Vincent Lé Quang.
– Antonio Lizana (chanteur, saxophoniste)avec le danseur flamenco, également aux choeurs El Mawi de Cadiz.
Résidences.
Deux artistes terminent leurs résidences de trois années, fin 2023 : Théo Ceccaldi et Fidel Fourneyron. Chacun a proposé de nombreuses actions au cours de ces résidences : concerts chez l’habitant, travail avec les écoles, près des publics empêchés (prison) ou éloignés (Ehpad), créations pendant le festival… Un concert de fin de résidence aura lieu le 18 novembre au Théâtre de Coutances. Les prochain-e-s résident-e-s ne sont pas encore connu-e-s.
Et pour clore ce festival en beauté, Marcus Miller avec comme invité de son quintet de feu, le jeune et talentueux guitariste français Tom Ibarra -qui avait déjà été son invité en 2016 alors qu’il n’avait que 17 ans !- nous offrirent un final survolté, pendant lequel Marcus Miller distribuait les chorus, s’en gardant tout de même quelques-uns.
Le festival, c’est également les spectacles de rue, les concerts promenades, le dimanche en fanfares, la scène « Avis aux amateurs »…
Un premier bilan établi à chaud par le pôle communication du festival fait état d’une fréquentation de 70 000 personnes, d’un taux de remplissage des salles de 93 %, de 47 concerts complets sur 61 !
Cette 42ème édition a retrouvé, pour le moins son souffle d’avant pandémie et Jazz Sous Les Pommiers n’est pas pour rien le 3ème festival de jazz le plus important au niveau national.
Alors, rendez-vous du 04 au 11 mai 2024 pour la 43ème édition !
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