Un sens de rythme et un swing irréprochable : La version remasterisée de l’album Afro Blue de Dee Dee Bridgewater prouve que la chanteuse maitrisait son art déjà avant qu’elle ne devienne une des plus grandes références du jazz vocal.
Jusqu’à présent, il fallait bien chercher pour obtenir un des rares exemplaires du tout premier album studio de Dee Dee Bridgewater. Afro Blue, enregistré à Tokyo en 1974, était pour la plus grande tristesse des amateurs de la chanteuse américaine, sorti et distribué uniquement au Japon, en 1974 par le label Trio Record et en 1985 par All Art. Le disque, en dehors du Japon réservé aux collectionneurs jusque-là, est enfin réédité en juin dernier sous le label Mr. Bongo dans une version remastérisée, permettant ainsi à chacune et chacun d’admirer ce premier album de l’icône, enregistré alors qu’elle n’avait que 23 ans.
On comprend dès le premier morceau éponyme que Dee Dee maitrise depuis toujours chaque note qui sort de sa bouche. Elle fait partie de ces chanteuses rares dont la tessiture impressionne par sa largeur et dans laquelle elle semble être aussi à l’aise dans les graves que dans les aigus. Elle s’affirme du début à la fin comme leader, tout en laissant à chaque musicien de la place pour s’exprimer et prendre la parole. Elle guide l’ensemble sans créer une quelconque hiérarchie et de beaux passages comme l’introduction du titre Afro Blue témoignent de ce processus de création musicale collective où chacun garde son droit de s’exprimer librement.
Dee Dee Bridgewater s’est toujours distinguée par une compréhension rhythmique créative et maitrisée à la perfection. On entend ainsi des rythmes superposés et une liberté rythmique qui est sans doute innée, mais aussi le résultat d’une longue pratique musicale. Elle utilise sa voix véritablement comme un instrument, prolongeant cette tradition des vocalistes de jazz d’imiter les attaques, les rythmes, le swing et d’autres sonorités propres aux instruments qui les entourent. Et quant aux instrumentistes présents sur ce disque, Dee Dee est plutôt bien entourée : George Mraz à la basse, Motohiko Hino à la batterie, Roland Hanna au piano, Ron Bridgewater au saxophone ténor et Cecil Bridgewater à la trompette et au kalimba. Entre des jolis arrangements du duo sax/trompette et des improvisations parfois autour d’un seul soliste et d’autres fois en collectivité, l’équipe composée de musiciens américains et japonais trouve le bon équilibre pour mettre sa chanteuse en valeur.
La voix chaude et puissante de Dee Dee Bridgewater est au centre du disque. Elle joue avec des sonorités blues, gospel et soul sans jamais s’éloigner de la tradition du jazz vocal des grands chanteurs et chanteuses américains. Sa voix sonne plus mature et expérimentée qu’elle ne le devait pour une jeune femme de 23 ans et impressionne par une grande technique vocale ainsi que musicale.
Dee Dee Bridgewater et ses musiciens nous font comprendre une des choses essentielles du jazz et de la musique plus généralement : Il ne faut pas beaucoup de mots, mais les bons mots pour dire beaucoup de choses. Ou ici, chanter ces notes pleines de couleurs qui changent tout le sens d’une phrase musicale.
Sept titres, ou 40 minutes de musiques, qui annoncent le début d’une des grandes carrières du jazz vocal.
Interprètes :
Dee Dee Bridgewater – voix
George Mraz – basse
Motohiko Hino – batterie
Roland Hanna – piano
Ron Bridgewater – saxophone ténor
Cecil Bridgewater – trompette
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