Très actif dans le monde du jazz, récipiendaire du Prix du Jazz Européen 2019 de l’Académie du Jazz, le saxophoniste Daniel Erdmann se consacre aussi à ses propres formations, Das Kapital, trio qu’il codirige depuis 2002, et Velvet Revolution. J’ai découvert tardivement “A Short Moment of Zero G” le premier des deux albums que le groupe, un trio également, a enregistré à Budapest en 2016. “Won’t Put No Flag Out” qui paraît aujourd’hui est tout aussi attachant. Créée en 2015, Velvet Revolution réunit autour d’Erdmann le violoniste Théo Ceccaldi et le vibraphoniste britannique Jim Hart. Saxophone ténor, violon et vibraphone, son instrumentation inhabituelle réserve bien des surprises.
Emprunté à la révolution non-violente que connut la Tchécoslovaquie en 1989 et qui précipita la chute du régime communiste, le nom du trio, Velvet Revolution, la Révolution de Velours, définit assez bien sa musique, novatrice et douce, intimiste et profondément expressive. C’est sur le plan des timbres que le trio innove. Ces instruments n’ont pas l’habitude de se retrouver ensemble. Le violon et le piano font depuis longtemps bon ménage, mais réunir un violon ou un alto – Théo Ceccaldi se sert des deux – , un saxophone ténor et un vibraphone est beaucoup plus rare. Une sonorité de groupe originale et distincte en résulte.
Associer deux saxophones ténor (ou un saxophone ténor et une clarinette) à un violoncelle n’est pas plus fréquent. Vincent Courtois le fait avec son trio dont Daniel Erdmann est l’un des membres. Les deux formations ont des points communs. Toutes deux utilisent des cordes dont la pratique s’est aujourd’hui répandue dans le jazz européen. Le violoncelle est plus grave et sa tessiture plus étendue, mais il est parfois difficile de distinguer un alto d’un violoncelle lorsque les deux instruments sont joués en pizzicato, les cordes aiguës du violoncelle étant alors sollicitées. En outre, le saxophoniste possède un son propre au ténor, un moelleux, chaleureux et non dénué d’une certaine raucité.
Les deux trios n’ont toutefois pas les mêmes timbres. Au sein de Velvet Revolution la sonorité brillante et cristalline du vibraphone de Jim Hart apporte une couleur spécifique au savant maillage que tissent les instruments, un libre entrelacement harmonique et rythmique dont profite la musique. Hart est aussi un percussionniste et les cadences de certaines pièces (Except the Velvet Flag, La Tigresse) peuvent être très appuyées. En outre, Théo Ceccaldi marque aussi les rythmes sur son violon, en frappe les cordes avec ses doigts.
Composés par Daniel Erdmann, les thèmes sont aussi d’une grande richesse mélodique. Give the Soul Some Rest, un morceau triste et lent, mêle un choral de Bach à un motif mélodico-rythmique ouest-africain. Rythmé par les notes aériennes du vibraphone, Outcast associe les plaintes du violon à celles du saxophone, Erdmann se montrant particulièrement lyrique dans Kauas pilvat karkaaat, la plus longue pièce du disque. Pour être complexe, cette musique de chambre non dénuée d’humour, a de nombreuses sources d’inspiration. Le Berlin de l’entre-deux guerres de Kurt Weill et de son “Opéra de quat’sous” est l’une d’elles. The Fuel of Life, une ritournelle un peu canaille, et le seul standard de l’album, une version d’Over the Rainbow ensorcelante par la nonchalance et le romantisme désuet de son interprétation, en subissent probablement l’influence.
Interprètes :
Daniel Erdmann, tenor saxophone
Théo Ceccaldi, violin, alto
Jim Hart, vibraphone, percussion
Won’t Put No flag Out est un album BMC Records
Enregistré à Budapest dans les studios BMC du 6 au 8 janvier 2019.
Cette chronique est publiée originellement dans le Blog de Choc de Pierre de Chocqueuse.
©Photos by Krisztina Csendes
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