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A l’entracte, en sirotant son Coca, il me salue chaleureusement et dit à un ami : « Comme c’est un public différent, on va faire la même chose qu’au 1° set ! ». Il m’a inscrit sur la guest list pour le second set et je préfère ça car ils ont eu le temps de se chauffer en première partie. Ce quartet « américain » de Clovis Nicolas j’en attends beaucoup car selon moi, avec my main man Tom Harrell, il est un des plus passionnants exposants d’un néo-hard bop qui, joué par beaucoup d’autres musiciens sonne nettement inférieur et passablement guindé par rapport à sa version originale des années 60.

Ce néo-hard bop, qui a eu le vent en poupe à partir des années 90, il a parfaitement droit de cité parallèlement à d’autres idiomes du jazz vivant quand il est réactivé et renouvelé par des musiciens inspirés qui ont cette esthétique chevillée au corps. Et Clovis est de ceux-là. Avec des musiciens tels que Leon Parker à la batterie, Jeremy Pelt à la trompette et Simona Premazzi, une pianiste que je ne connais pas, il est difficile de faire de la musique ennuyeuse et le set démarre très cool avec Pelt qui expose la mélodie sur une rythmique chaloupée que drivent le piano, la basse du leader et la batterie discrète de Parker.

Ce dernier n’a plus le set hyper réduit et hyper performant de ses débuts avec Jacky Terrasson en trio mais il se contente toujours d’une batterie assez économique dont il tire le maximum sans le moindre effort apparent. Après le solo de Pelt la pianiste entonne un chorus tout en douceur dans le médium du clavier et on sent qu’on a affaire à une sérieuse cliente. La contrebasse suit avec un chorus dans les graves qui balance souplement sans chercher à faire trop d’effet. C’est judicieux de commencer ainsi car on sent que la tension va s’accentuer au fil des thèmes.

D’ailleurs sur la fin du morceau Parker fait monter la pression par un drumming subtilement polyrythmique du meilleur aloi. Il est clair qu’on va se régaler et le second morceau en tempo médium le confirme d’emblée. Parker joue ici avec une baguette dans la main gauche et un balai dans la droite. Ce batteur, non content d’être un formidable rythmicien, est un fin mélodiste et l’écouter accompagner ses compares est toujours un régal, sans parler évidemment de ses solos. La pulsion discrète et les contrastes de dynamique n’ont pas de secrets pour lui et on sent que Nicolas se régale d’avoir un tel partenaire dans la paire rythmique qu’il constitue avec lui. Le solo de la pianiste est cette fois-ci totalement convaincant et Clovis le soutient d’une solide et souple pulsation.

C’est la basse qui démarre le morceau suivant, soutenue par les arpèges du piano en un duo paisible que le batteur soutient avec une mailloche et un balai en friselis sur la cymbale. Puis Pelt entre avec une magnifique sonorité bien timbrée et un phrasé aéré qui laisse une large place aux silences. C’est très beau et le morceau se construit en prenant de l’ampleur tout en restant d’une souveraine tranquillité. Le public apprécie chaleureusement ce « Shadow of Adagio » qui porte bien son titre et qui, comme tout le répertoire, est de la plume de Nicolas qui l’a enregistré sur son dernier disque « The Contrapuntist ».

Le morceau suivant groove grave avec une walking bass véloce du leader et un Leon Parker qui monte en puissance et propulse les solistes de splendide manière, variant les accents sur sa batterie qui — je viens de le remarquer — n’a pas de pédale charleston, ce qui ne l’empêche pas d’être d’une efficacité redoutable voire terrifiante par moments. Sur cette rythmique hautement dynamique Jeremy Pelt envoie un superbe solo d’ne grande vélocité, puis Simona Premazzi donne toute sa mesure avec un phrasé de toute beauté à la main droite et des accords tantôt discrets tantôt touffus de la gauche. Parker prend ensuite son premier solo et explore ses toms et sa cymbale d’une manière follement aventureuse tout en maintenant un groove puissant. C’est renversant d’inventivité mélodico-rythmique.

Ce batteur est clairement un des plus grands percussionnistes actuels, et ce depuis longtemps ! Simona Premazzi entame le morceau suivant en solo et montre magnifiquement ce dont elle est capable. En présentant les musiciens Clovis nous a dit qu’elle était une des rares Européennes à avoir joué sous son nom au Village Vanguard de New York, et on comprend pourquoi. Cette musicienne est vraiment une grande pianiste et sa sonorité comme son phrasé sont totalement convaincants. Sur cette ballade paisible Jeremy Pelt déploie un son d’un moelleux remarquable. Jouer un morceau lent après un rapide en public, tout en maintenant l’attention et la tension, n’est pas donné à tout le monde et le solo de contrebasse dans le medium du manche est si mélodique qu’il s’intègre parfaitement à l’ensemble. Clovis Nicolas est un merveilleux contrebassiste et un compositeur inspiré. Il conçoit son instrument de façon orchestrale sans jamais chercher la virtuosité démonstrative. Tous les morceaux qu’il joue ici sont tirés du disque « The Contrapuntist » qu’il a écrit à l’origine pour un quatuor à cordes puis transposé pour un quartet de jazz. La musique classique et le contrepoint sont donc constamment sous-jacents dans ce qui est conçu comme une suite. Maintenant Leon Parker introduit le nouveau morceau en body percussion, en se frappant la poitrine avec les mains puis en se lançant dans un scat échevelé avant de coupler les deux pratiques. C’est assez sidérant et on se demande ce qui va suivre quand les autres musiciens entreront en scène. Une nouvelle ballade, tout simplement !

Un morceau d’une tranquille splendeur où la trompette déploie la mélodie avec une belle sonorité, suivie par un solo de piano d’une grande sérénité et enthousiasmant d’inventivité harmonique et mélodique. Clovis et Leon accompagnent le tout d’une pulsation subtile et tonique. On est clairement dans la beauté et la trompette réexpose la mélodie avant de prendre un solo intense et inspiré. On n’en finirait pas de chanter les louanges de ce quartet de première bourre ni de lui tresser des couronnes de laurier. Clovis Nicolas et ses partenaires confirment ici ce que je disais en introduction de cet article : sous leurs doigts le jazz palpite et vibre à son plus haut niveau et le terme « néo-hard bop » paraît même réducteur pour qualifier leur musique. C’est tout simplement de la très bonne musique qui transcende les classifications stylistiques et qui réjouit les oreilles, les corps et — oserai-je le mot ? — les âmes de tout mélomane avisé qui se régale à l’entendre live, au point qu’on a presque envie de se passer d’écouter autre chose pendant un moment après une prestation d’une telle qualité. Bravo, donc, et merci à eux pour cette soirée inoubliable !

Thierry Quénum

Personnel :

Clovis Nicolas : contrebasse, composition, lead

Jeremy Pelt : trompette

Simona Premazzi : piano

Leon Parker : batterie, percussion

©Photo Header Ingrid Hertfelder

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