Cette année 2017, où l’on fête gaiement en fonction de ses intérêts et des ses goûts : qui le centenaire de la révolution bolchevique, qui l’entrée en guerre des États-Unis, permettant un an plus tard de mettre fin à la plus grande boucherie organisée, qui la mutinerie des soldats français dans les tranchées, qui le premier enregistrement de cette musique si fondamentale devenue aujourd’hui classique, le Jazz. (« Livery Staple Blues » de l’Original Dixieland Jass Band)
Christian Scott, ambitieux musicien surdoué, âgé à peine de 34 ans, et déjà une douzaine d’albums en tant que leader à son actif, rend hommage à sa façon aux 100 ans de l’histoire du jazz à travers une trilogie résolument de son temps, transgressive pour certains, géniale pour d’autres.
La « Centenial Trilogy » de Christian Scott aTunde Adjuah est constituée de trois albums essentiels qui marqueront à n’en pas douter un pas dans sa déjà fructueuse carrière et un pas pour l’humanité… de la musique.
Ruler Rebel, sorti en mars dernier,
Diaspora, dans les bacs depuis fin juin
et enfin en octobre, The Emancipation Procrastination.
A 16 ans déjà, Christian Scott qui est est né et a grandi à la Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz, est un prodige qui prétend avoir toujours détesté la trompette. S’il avait adopté le saxophone comme son oncle Donald Harrison Jr, il n’aurait pu quitter la maison pour apprendre dans la rue, dit-il. Mais Il ne se contenta pas d’apprendre seulement sur les scènes, il suivit avec brio les cours du Berklee College of Music dont il ressortit diplômé seulement trois ans plus tard, au lieu des cinq que compte le cursus habituel.
Mais une chose semble pourtant ne pas avoir changé : « Je déteste le son de la trompette, mec. C’est terrible, putain ! »
Artiste politiquement engagé, (cf. Anthem son album consacré à l’ouragan Katrina sorti en 2007) ou bien « Christian aTunde Adjuah« ; dont les morceaux laissent s’exprimer sa conscience politique : le traffic des femmes « Away (Anuradha & the maiti Nepal)« , l’esclavage toujours présent au USA « Dred Scott » ou les sdf américains « Vs the kleptocratic union (ms Mac Dowell’s crime)… jusqu’au titre de son dernier album qui parle de notre procrastination à nous émanciper.
Doit-on s’inquiéter de l’avenir du Jazz ?
Quand on écoute cette trilogie, certainement pas !
On n’a qu’à se rassurer et se réjouir que cette musique ne cesse de se réinventer, de se réécrire. Ici à coup d’hybridations et d’explorations sonores d’avant-garde.
Depuis quelques années, Christian Scott revendique la création d’un nouveau genre, la « stretch music » ou la façon d’étirer les sons, de les distordre tout en gardant un fondamental harmonieux.
On y trouve des influences trap, des remix, du mid-song, des textures pop, un mélange d’improvisations avancées se mêlant à des musiques populaires, une pointe de soul, des rythmes hip-hop, un new jazz fusion en quelque sorte, un cross jazz qui s’affranchit des frontières et des codes, avec naturel et simplicité.
Un savoureux mélange de saveurs, une cuisine réinventée, goûteuse et créative.
« Le jazz est la musique de fusion originale« , dit Adjuah. « Mettre tout cela dedans en est l’essence ; les principes traditionnels sont de rechercher constamment, de chercher de nouveaux terrains, des manières de communiquer vernaculaires et nouvelles. Mais nous étions contre l’idée que cela devait se faire à sens unique. »
Certains pensent que les styles de musiques doivent obéir à des lois, mais d’autres pensent justement le contraire : il faut briser les codes, s’affranchir des lois, afin que le jazz renaisse sans cesse. C’est là son essence. Voici donc érigée une anti-loi universelle pour le jazz : Tout peut être joué ! Tous les sons, du marteau piqueur au chant des cigales peut être transformé en musique. C’est ce que font les artistes techno. Tout peut également être dansé.
Mais une différence fondamentale existe entre le tout et le n’importe quoi. Et c’est justement ce que nous conte à travers sa musique, Christian Scott aTunde Adjuah.
On sent l’ombre de Miles Davis au dessus des nuages, on respire. Le souffle et l’air sont essentiels à cette musique O combien aérienne.
Le trompettiste a développé une technique particulière de son : “whisper technique” qui se différencie de la vocalisation courante, en intégrant le souffle de sa respiration à la vibration de l’embouchure.
Dans le premier album de la trilogie, « Ruler Rebel » qui « brise les règles » nous sommes transportés d’entrée par un titre mélancolique « New Orleans Love Song » sur des rythmes construits par des échantillonneurs mélangés à des percussions africaines, puis sur « Phases » par une brillante introduction de la trompette sur des rythmes lancinants sur lesquels vient se poser la voix suave de Sarah Elisabeth Charles. Le dernier morceau de ce premier album « The Reckoning » s’inspire du cliquetis de le drum ‘n’ bass et des envolées soutenues de la trompette.
Ce premier opus de la trilogie nous installe dans l’ambiance de ce qui promet de suivre.
« Diaspora« , le second album, débute par un son de piano vite rejoint par un beat plus décontracté, où se posent les solos de la trompette ou de la flûte d’Elena Pinderhughes. Ambiance stratosphérique relayée par des invités au talent remarquable : le saxophoniste D.C. Braxton Cook, le pianiste Lawrence Fields, ou encore la chanteuse Sarah Elisabeth Charles qui brille dans le dernier morceau de l’album : « The Walk »
Le troisième album de la Trilogie, « The Emancipation Procrastination » enregistré en 6 jours seulement est le fruit d’un long cheminement de Christian Scott, qui débuta sans doute, alors qu’il avait 14 ans et qui se posait déjà la question de savoir comment allait évoluer le jazz dans le siècle à venir. Comment continuer à créer de la beauté et des sons nouveaux ? « C’est alors que j’ai commencé ce travail » affirme-t-il.
Cette démarche part du même principe d’abolition des règles, de fracture des frontières artificielles ou arbitraires entre les hommes et entre les genres musicaux.
Les solos de cet album sont plus longs, comme libérés encore. Les références au jazz ‘d’avant’, à ses éléments fondateurs, sont ici plus évidents. L’utilisation de la guitare électrique nous invite à goûter à ce rock-fusion au parfum vintage, comme l’utilisation du Fender Rhodes par Lawrence Fields nous plonge dans l’univers de Miles Davis des années ’60.
Le dernier morceau de cette formidable trilogie met en scène tour à tour le piano de Lawrence Fields, Corey Fonville à la batterie, la trompette d’Adjuah, la flûte d’Elena Pinderhughes et le saxophone alto de Braxton Cook. Le dernier mot est laissé au maestro, qui dans ce dernier solo, souffle, gémit, pleure, crie dans l’embouchure de sa trompette…
« ‘Je ne suis pas intéressé à faire du mal à quelqu’un. En tant qu’artiste, j’ai la responsabilité de créer un espace où les gens se sentent les bienvenus. Quand je marche à l’extérieur de cette chambre d’hôtel, ce n’est pas la réalité. Il y a une différence quand la musique est faite avec amour. Quand les gens viennent dans mon espace, ils le ressentent. Nous essayons de trouver un moyen de mieux nous traiter les uns les autres. Nous sommes tous responsables de la guérison les uns des autres. »
Il est alors temps de cesser de procrastiner. Emancipons-nous !
Christian Scott aTunde Adjuah – Trumpet, Siren, Sirenette, Reverse Flugelhorn, SPD-SX, Sampling, Sonic Architecture.
Elena Pinderhughes – Flute ;
Lawrence Fields – Piano, Fender Rhodes
Luques Curtis – Bass
Kris Funn – Bass
Joshua Crumbly – Bass
Cliff Hines – Guitar
Corey Fonville – Drums, SPD-SX
Joe Dyson Jr. – Pan African Drums, SPD-SX ;
Weedie Braimah – Djembe, Bata, Congas
Chief Shaka Shaka – Dununba, Sangban, Kenikeni
Label , Stretch Music (via Ropeadope).
COMMENTAIRES RÉCENTS