Antonio Lizana – Vishuddha

Vishuddha, le nouvel album ainsi qu’Antonio Lizana, l’auteur, saxophoniste-compositeur et chanteur, défient la chronique, tant ils nous étonnent par la modernité, autant que par la fusion dans le respect de deux puissantes traditions musicales, le jazz et le flamenco.

Dans cet album on trouve, l’improvisation, la créativité, la danse, le chant, l’âme du Flamenco andalou, mais aussi le jazz, par le jeu subtil du saxophone et du piano, épaulés par une rythmique de haut niveau. Les parfums de l’Andalousie et ceux de Brooklyn ou de la Nouvelle Orléans se mêlent, fusionnent puis se détachent pour mieux nous embarquer.

A chaque fois, le public pendant les représentations (j’ai eu la chance d’assister déjà à trois concerts de ce groupe) est d’abord médusé, captivé, puis finalement unanime à dire que l’on a rarement assisté à un tel spectacle, car il ne s’agit pas seulement d’un concert, grâce à la danse entre autres, d’El Mawi de Cadiz.

Cet album est l’inverse d’un produit marketing, c’est une création qui vient d’un désir créatif profond. Son excellent accueil, tant du public comme de la presse en général, visiblement, vient de la sincérité du propos comme on le voit dans l’interview exclusive que nous a réservé Antonio Lizana , mais aussi grâce à la virtuosité des musiciens, en particulier l’excellent Daniel Garcia au piano, qui mêle également depuis plusieurs années dans ses propres projets, le jazz et le flamenco. Antonio Lizana et lui ne pouvaient pour Vishuddha, que se comprendre.

À la rythmique, nous avons également découvert, inconnus jusqu’alors de nos services, une paire de magiciens venus d’une autre planète (en réalité l’Iran), Arin Keshishi à la basse et Shayan Fathi, à la batterie.

©Photo Ana Solinis

C’est ce quintet qui enchaine les tournées et qui continue à écumer les Festivals de Jazz et les clubs de jazz des grandes villes, en France comme ailleurs.(voir par exemple le reportage de notre photographe, Philippe Colliot).

Dans l’album, de nombreux invités, et pas des moindres, viennent également ajouter leurs couleurs :

Montse Cortés : chant (03)
Sheila Blanco : chant (07)
Louis Winsberg : guitare électrique (02)

Ana Salazar : chœurs (01, 02, 03, 05, 06, 08), taconeo (6)
José Manuel León : guitare flamenco (03, 06)
Cepillo : palmas (01, 03, 06)
Miron Rafajlovic : trompette (01)
Pablo Martínez : trombone (01)
Juan Carlos Aracil : flûte traversière (01)
Ruven Ruppik : percussions (02, 08)

ITV Antonio Lizana

(11 octobre 2023, dans les locaux de Couleurs Jazz Radio, Paris X)

Couleurs Jazz: Tout d’abord, cher Antonio Lizana ; nous venons d’écouter juste avant de démarrer cette conversation, le 1er morceau de votre nouvel album. Et à l’écoute de Camino, on est clairement à cause des palmaset des voix, en écoutant votre chant, dans la tradition du Flamenco, puis arrivent les phrases au saxophone las palmas qui nous font immédiatement voyager vers les contrées où le jazz est né.C’est ce qui fascine dans votre musique je crois, c’est ce mélange entre le jazz et le Flamenco. une fusion Jazz & Flamenco. Qu’en pensez-vous, êtes vous d’accord avec cette vision ?

Antonio Lizana : Oui, le résultat peut être classé ainsi, mais pour moi et la manière dont je le vis, le jazz est la musique qui me pénètre naturellement, tandis que le flamenco est mes racines, c’est de là d’où je viens. Je suis un musicien de jazz grâce à mes études, donc quand j’essaie de jouer du jazz, il vient avec des rythmes et des mélodies flamenco et quand je pense que ce jazz pourrait devenir une belle chanson, je pourrais dire que c’est du jazz joué avec des éléments flamenco.

Mais dans votre musique, il ne s’agit pas seulement d’un effet ou d’une tentative d’ajouter un parfum Flamenco dans du jazz… Comment pouvez-vous expliquer que ça fonctionne si bien ?

Oui, certainement ! En fait nous n’essayons pas de faire un mélange de jazz et de flamenco, mais ce sont les mélodies qui ont des racines flamenco, cela vient tout naturellement.

Donc, ça vient des tripes, du cerveau ou du coeur ?

Cela vient de mes tripes ! Le premier filtre est le cœur, pour gagner en finesse, puis viennent les arrangements pour que ça sonne mieux et quand le solo arrive, la musique devient plus abstraite et plus créative. Mais lorsque je compose, je ne veux pas perdre l’odeur, les paysages de mon lieu de résidence. Je suis donc toujours conscient de conserver mes sentiments. Je joue du jazz, mais je veux montrer d’où je viens.

Qu’est-ce qui est arrivé d’abord dans votre musique le Flamenco ou le Jazz ?

Quand j’étais enfant, j’ai commencé à écouter toutes sortes de musiques parce que mon père avait une énorme collection de musiques, mais mon environnement était 100% flamenco : Paco de Lucia, Camaron de la Isla, qui est un chanteur flamenco héroïque… Je suis originaire de la même ville. (San Fernando, à Cadix, au sud de l’Espagne).

Abordons un autre sujet. Le titre de l’album Vishuddha, m’a un peu surpris. D’où ça sort ?

Vishuddha m’a inspiré à cause du fait qu’il s’gait du 5ème shakraqui se situe dans la gorge. Il s’agit de faire ressortir sa propre voix. Après avoir réalisé plusieurs albums en collaboration avec d’autres personnes dans des styles différents, je voulais créer cet album avec le son de la musique qui est en moi, sans les grandes influence extérieures, sans les pensées que j’ai. Cela m’a donné la force de me connecter à cela. Cet album se devait d’être honnête avec ce que je suis, sans crainte, sans retenue.

Mais musicalement, rien à voir avec la musique indienne, si riche par ailleurs… n’est-ce-pas ? …

J’adore l’Indian music , c’est certain. Aussi le Vishuddha shakra m’a inspiré.

C’est mon cinquième album… Nous jouons en quintet, nous jouons en quintet, vishudha est le 5ème shakra. Le nombre 5 a une signification…

Comment faire cohabiter ces deux cultures fortes : Flamenco et Jazz ?

Personnellement, j’aime les deux. Dans le flamenco, il y a les palos, nous avons des dizaines de rythmes différents que nous pouvons faire avec les mains. Différents palos. Par exemple, je veux utiliser un rythme de Buleria. Ensuite, je cherche quel type de mélodie peut s’adapter à ce rythme, et quand je suis satisfait, je cherche des chansons de bulerias traditionnelles. Et parfois, quand je réalise que je n’ai jamais composé de chanson sur un rythme en 11, alors j’essaie de le faire : mettre des paroles flamenco sur ce rythme qui n’appartient pas à la tradition flamenco et jouer du saxophone sur ce rythme par exemple.

Donc c’est un peu comme un jeu ?

Sûr, c’est complètement un jeu ! Parfois, les gens viennent me voir et sont étonnés parce que j’ai l’air heureux de faire ça. Je peux vous assurer que c’est moi qui m’amuse le plus !

C’est vrai, ça se voit ! C’est ce que l’on ressent en vous écoutant. C’est parfois profond, mais on sent que vous appréciez vraiment et que vous communiquez ces sentiments aux gens.

Oui, le Flamenco possède cette forte énergie. On peut vivre de profonds moments.

Comme le Blues ?

Oui, exactement ! Le Flamenco possède son blues propre et soudain vous pouvez apporter sans honte aucune, un flot de joie.

Dans un environnement intellectuel, il est parfois curieux d’apporter de la joie. En général, les intellectuels n’aiment pas les chansons joyeuses, non ? Mais avec le flamenco, on peut utiliser ces deux énergies opposées, sans complexe…

(Et Antonio se met à chanter un flamenco qui démarre avec profondeur, un complainte comme un blues, puis soudain se transforme en chant joyeux et optimiste, plein d’espoirs…).

Super ! j’adore ce genre de fusion. Mais je me fais la réflexion que le Flamenco n’a pas besoin du jazz pour être superbe, comme le jazz n’a pas forcément besoin du Flamenco, bien sûr. Qu’en pen sez-vous ?

Oui, c’est vrai, mais laissez-moi vous expliquer comment cela s’est passé pour moi. Je voulais étudier le jazz dans une école de jazz. Mais à partir d’un certain moment, si vous voulez être un musicien de jazz, vous devez composer. Il vous faut composer certaines mélodies de jazz, puis improviser des solos. C’est ce que j’essayais de faire, conformément aux traditions du jazz. Mais pour moi, c’était comme une limitation. Toutes mes compositions finissaient par ressembler à du flamenco, ou à une mélodie espagnole. J’essayais d’éviter cela…

Ah ! vous n’auriez pas dû, vu le résultat !

Oui mais je souhaitais d’abord être un bon musicien de jazz ! C’était vraiment mon truc.

Le Jazz possède cette capacité d’absorption de tout un tas de genres de musiques, venues de n’importe où. C’est juste la façon de les jouer qui compte, non ?

Oui, c’est ce que j’ai appris plus tard. Et de ne pas tenter d’aller contre ma nature…

Pouvez-vous nous dire un mot sur votre fabuleux groupe ?

J’ai un quintette régulier avec lequel je tourne la plupart du temps. Tout a commencé lorsque je jouais à Madrid. Je les ai rencontrés là-bas, car ils appartenaient à la scène jazz de la capitale. Je suis originaire du sud de l’Espagne et dans le groupe, il y a deux Iraniens, deux gars de Cadix, dont je fais partie, l’autre étant le danseur. Et un autre de Salamanque, au nord de Madrid : Daniel Garcia, notre pianiste. Un pianiste fabuleux qui connaît les traditions du flamenco. Il a comme moi ces deux facettes : Flamenco et jazz. Donc l’improvisation jazz et les traditions flamenco.

La rythmique avec Sahyan Fathi, notre batteur, qui vit en Espagne depuis dix ans maintenant. Il est venu en Espagne pour étudier le flamenco. Auparavant, il jouait du jazz fusion.

El Mawi à mes côtés, un vrai élément du flameco. Il vient comme moi de Cadix. Nous avons toujours été ensemble. Il chantait, dansait… Nous avons toujours été de très bons amis.

Et enfin notre bassiste, également Iranian, Arin Keshishi.

Il me fut recommandépar Sahyan, Ils forment une bonne paire tous les deux. D’ailleurs ils adorent jouer ensemble.

Et les invités du disque ? Une super liste !

D’abord il y a Luis Winsberg, un grand guitariste français. Il est tellement sympa et généreux. nous l’avons rencontré lors d’un de mes concerts dans le sud de la France. Comme nous jouions pas loin de chez lui, il est venu nous écouter. Ensuite, lorsque nous avons voulu enregistrer l’album, nous l’avons invité et il a accepté ! Le second grand guitariste, est un maestro du flamenco, José Manuel Leon. C’est aussi mon pote, Je le connais depuis des années maintenant. Il est un des grands guitaristes de flamenco.

And Et vous avez aussi une section de vents ?

Oui, nous avons Miron Rafajlovic, trompettiste, il vient de Bosnie. Ce sont tous des leaders qui ont leurs propres projets. Nous avons également dans l’album Pablo Martinez qui est tromboniste. Il connait le chant flamenco même si il n’est pas impliqué comme chanteur, comme moi. J’essaie toujours de l’encourager à chanter avec nous…

Aux percussions, nous avons Ruben Robic. Un percussionniste de Flamenco allemand. Il est incroyable, car il connait les rythmique flamenco. Mais quand je lui dis qu’on va jouer ce morceau en 11, il dit simplement : Ok, no problem ! Nous avons également Sheila Blanco qui est invitée sur un titre. C’est une chanteuse incroyable ! Et nous avons également l’une des meilleures chanteuses de flamenco qui d’ailleurs a chanté par le passé avec Paco de Lucia, Montse Cortez. Elle est aussi dans l’album.

Finalement, vous pouvez avoir n’importe qui, non ?

Bien, je ne sais pas, mais je suis chanceux d’avoir tous ceux-là dans le projet.

Maintenant, comme à nos habitudes : Quel est votre propre définition du jazz ?

Ma définition du jazz est que c’est la musique contemporaine qui définit le mieuxqu’il est le langage communiqué nous permet de communiquer partout dans le monde. C’est ça la beauté du jazz. Le Jazz est le langage de la musique moderne termes d’harmonie et de rythmes. Si tu comprends l’harmonie et que tu saisis ce qu’est le rythme, alors tu peux converser avec n’importe qui. C’est ça la beauté du jazz.

C’est aussi ce que nous pensons. Cela est visible dans le nom de Couleurs Jazz : communiquer avec les différentes cultures du monde entier à travers le jazz. Super ! Et maintenant une question spéciale pour vous ! Quelle est votre définition du flamenco ?

Le flamenco est une façon de vivre sa vie. Il définit la façon dont vous vivez. Je ne pense pas que l’on puisse apprendre le flamenco sur Youtube… Je fais du flamenco le matin en préparant le petit-déjeuner dans la cuisine tout en tapant dans mes mains… Lorsque je déjeune ou dîne avec des amis, c’est une super manière de terminer le repas ! Nous prenons la guitare et nous chantons… ou nous jouons des percussions sur la table… Et nous commençons à chanter, et nous recommençons à jouer. Le flamenco est une façon d’être présent ici.

(Et Antonio commence à frapper dans ses mains différents rythmes… Et à chanter…)

C’est juste génial ! Merci pour ce super moment ! Profitons de sa présence dans nos bureaux pour demander à Vincent Thomas, votre manager, quelles sont les prochaines dates des concerts du 5tet…

Vincent Thomas: Voici quelques dates à venir :

30/11 Festival Villanos del Jazz Festival, Madrid (SP)

2024
25/01 Toulon
26/02 Chiclana (SP)
01/02 Festival Au Fil des Voix Festival, Paris
02/02 Scène Nationale de Bourges
07/02 Tournefeuille
08/02 Île d’Oléron
09+10/02 Pau
(Antonio Lizana 5tet + Chano Dominguez)
11/02 Eauze
23/02 Dubai (UAE)
09/03 Murcia (SP)
17/03 Théâtre des franciscains Béziers
05/04 le Thors
06/04 Digne-les-Bains

Thank you so much guys ! d’être venus nous rendre visite. Ce fut un vrai moment de plaisir pour nous de vous accueillir.

Merci beaucoup également !

Tout le meilleur pour Couleurs Jazz!

NB : L’interview fut réalisée pour Couleurs Jazz Radio, en Anglais et transcrite ici avec l’aide de DeepL

PS : Antonio Lizana nous offrit en plus comme cadeau, d’enregistrer un jingle à sa façon, que vous pouvez écouter régulièrement sur Couleurs Jazz Radio.

L’album Vishuddha est sorti en octobre 2023 sous le label Cristal Records