
Carlos Don Byas (1912-1972) figure parmi les grands saxophonistes de l’histoire du jazz comme l’attestent la qualité d’ensemble et la variété de sa production discographique.
Ses collègues le considéraient comme une référence incontournable en matière de saxophone ténor et son jeu virtuose a influencé des personnalités du calibre de Lucky Thompson, Johnny Griffin et Benny Golson.
Pourtant sa popularité auprès du public, bien que réelle, ne fut jamais à la hauteur de son talent qui en faisait un des jazzmen les plus évolués de son temps.
S’appuyant sur une bibliographie imposante et confrontant ses sources aux témoignages des acteurs de l’époque, Con Chapman présente ici, avec la compétence, l’objectivité et l’érudition qui avaient assuré le succès de ses précédents ouvrages*, une mise en perspective objective de la trajectoire d’un jazzman d’exception.
Les premiers chapitres du livre évoquent les débuts de Don Byas lorsqu’il jouait de l’alto, à la fin des années 20, au sein de l’ensemble de Benny Moten, et son séjour en Californie où il parfait son art au saxophone ténor en compagnie des groupes de Lionel Hampton (1933), Eddie Barefield et Buck Clayton (1936).
Don Byas est donc un musicien expérimenté quand il débarque vers 1937 à New York pour accompagner Ethel Waters avec la formation d’Eddie Mallory. S’imposant très vite sur la scène locale, il fréquente assidument les jam sessions du Minton et les clubs de la 52e rue et enregistre son premier disque à l’initiative du baron Timme Rosenkrantz qui jouera un rôle important dans sa carrière.
Devenu un acteur apprécié de la scène locale, il intègre, en 1941, l’orchestre de Count Basie dont il devient l’une des vedettes et signe, le 17 novembre, un solo d’anthologie dans Harvard Blues. Très sollicité, Byas collabore alors avec des musiciens de toute obédience et produit pour des petits labels de nombreux disques de qualité. On y trouve une superbe interprétation de These Foolish Things avec Hot Lips Page et une version magnifique de Laura, une ballade tirée du film éponyme d’Otto Preminger qui lui est depuis associée.
L’auteur analyse ensuite l’influence de Coleman Hawkins sur le style de son héros, particulièrement apparente dans sa manière voluptueuse de jouer les ballades et de swinguer avec fougue en tempo rapide, mais aussi dans sa façon de signer une improvisation sur une séquence d’accords sans relation apparente, du moins à première vue, avec la mélodie initiale du morceau, le tout porté par une technique de virtuose.
Viennent ensuite l’invention mélodique héritée d’Art Tatum dont il reproduisait au saxophone les solos de piano, et l’importance du son fort justement soulignée par Pierre Voran : “Don Byas privilégiait à toute chose le son : il soufflait une seule note, il la tenait, il la gonflait, ample et magnifique. Chaque note était belle comme une cathédrale.”
Cependant, le fait d’être considéré comme le disciple le plus doué de Coleman Hawkins fait que Don Byas restera toujours dans son ombre, ce qui entraînera une sentiment de frustration qui ne le quittera plus. Ne s’estimant pas reconnu à sa juste valeur dans son pays, il part en 1946 pour l’Europe avec Don Redman et son orchestre. Séduit par l’accueil qui lui fut réservé, il y restera.
Après un séjour en Espagne, Don Byas s’installe à Paris où il se sent comme chez lui. Boris Vian lui a d’ailleurs consacré un chapitre plein d’humour dans son manuel de Saint-Germain-des-Prés où l’on lit : “…coureur impénitent est facilement la proie du sexe faible pour lequel il a trop de faiblesse...”. L’été, il est à Saint-Tropez où il pratique la chasse sous-marine. On le voit aussi beaucoup dans les studios d’enregistrement avec la fine fleur des musiciens français et en compagnie de compatriotes de passage sur le Vieux Continent comme la grande Mary Lou Williams rencontrée chez Andy Kirk et la séduisante pianiste-chanteuse Beryl Booker.
En 1955, il vit à Amsterdam avec Johanna “Jopie” Eksteen, son épouse, et participe à la tournée Jazz at The Philharmonic de 1960 qui fait salle comble à Pleyel. La suite est moins heureuse. En 1970, un retour dans son pays natal se révèle décevant. Celui que Johnny Griffin surnommait l’Art Tatum du saxophone ténor, s’éteindra le 24 août 1972 d’un cancer du poumon. Rédigé avec soin, cet ouvrage comble une lacune de la littérature jazzistique en rendant un juste hommage à un grand musicien. Il est donc indispensable.
Voir Vidéo ‘I Remember Clifford’ Live at the Village Vanguard – 1970
Con Chapman – Don Byas, Sax Expat
University Press of Mississippi, 15 avril 2025
258 pages, 25 illustrations
* “Rabbit’s Blues: The Life and Music of Johnny Hodges”, Oxford University Press Inc (2019), et “Kansas City Jazz: A Little Evil Will Do You Good”, Equinox Publishing Ltd (2023) de Con Chapman.
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