Lilies est fait d’ombres et de lumière, d’une matière vaporeuse dans laquelle on se plonge. Il s’écoute dans le noir, enveloppé dans la vibration.
Mélanie de Biasio avait produit en 2016 un EP à titre unique, « Blackened Cities », morceau de 25 minutes au style métissé. À peine un an plus tard, elle nous délivre un nouvel album qu’elle a enregistré seule au fond d’une cave ; la couleur de l’enregistrement est empreinte de cette atmosphère souterraine. « J’ai voulu me retirer dans ma cave avec Pro-Tools, mon ordinateur et un micro SM58 acheté à 100 euros. (…) Je voulais revenir à l’essence même de la créativité. J’étais dans cette pièce où il n’y avait pas de lumière, où je ne faisais pas la distinction entre le jour et la nuit. Une situation particulièrement inconfortable, mais je me sentais libre. Je n’avais pas besoin de plus. » L’album n’est crédité que de son nom. Seul un poète américain, Gil Helmick, l’aide à corriger ses textes. Quand elle contacte finalement la maison de disques, l’album est déjà un produit fini.
Mélanie de Biasio commence la musique à l’âge de 8 ans, d’abord avec la flûte traversière, instrument dont elle continue de jouer et qu’elle intègre dans ses créations, puis avec le chant. Adolescente, elle est mordue de rock — l’influence de groupes comme Pink Floyd ou Portishead continue d’ailleurs à enrichir sa musique. Plus tard, elle entre au Conservatoire Royal de Bruxelles : c’est à ce moment-là qu’elle rencontre le jazz. Dès ses premiers pas, son interprétation des standards met en évidence sa singularité, une présence sonore et scénique, une façon de produire le son. Son deuxième album, No Deal, a déterminé son succès ; il fut la première étape d’un cheminement musical dont Lilies est la continuation.
Comme tant d’autres, elle est séduite par la liberté que procure le jazz et la possibilité qu’il offre de se renouveler sans cesse. L’enregistrement pose alors problème, puisqu’il saisit le mouvement musical et l’ancre dans une forme immobile : « Ce n’est pas simple de figer les choses. Comment est-ce qu’on peut laisser encore du vivant dans quelque chose qui est figé à jamais ? » La réponse à cette question, Mélanie de Biasio la trouve dans une certaine conception de l’album comme récit, une histoire qui s’écoute d’une traite — à la manière des albums-fleuves de Pink Floyd, typiques du rock des années 1970. Il s’agit donc pour elle de créer un récit riche, dans lequel on découvrirait toujours des choses nouvelles, sur lequel on prendrait plaisir à revenir, où l’on voudrait sans cesse se replonger.
L’univers de Mélanie intègre de nombreux styles musicaux différents. Lilies se balade quelque part entre le jazz, le rock, l’électro minimaliste, le trip-hop et le blues… Elle dit ne pas ressentir le besoin d’être classée, ni de s’épancher dans de longues interviews : parfois, elle préférerait ne pas avoir à mettre de mots sur sa musique. C’est bien pour cette raison qu’elle a choisi de s’exprimer à l’aide d’accords et de mélodies. En 2002, elle fut affectée par une sérieuse inflammation pulmonaire qui la laissa aphone toute une année. Ce silence imposé donna naissance à une longue réflexion sur la voix et le son. Lilies est aussi le fruit de cette expérience. L’album est sobre, la voix grave et profonde, enveloppée d’un halo, mise au centre de l’espace sonore. Peu d’instruments peuplent les pistes. La respiration et de puissantes infrabasses sont les principaux outils rythmiques. Le résultat est un album au ton mystérieux. « Gold Junkies » est vibrant et lumineux, mais de « Your Freedom Is The End Of Me » elle dit : « Ce morceau s’adresse à mon ombre, à toutes les névroses qui m’accompagnent du matin au soir. » Lilies est un travail profondément personnel, c’est une fleur noire qui séduit, qui parle tout bas, du son et du silence.
Écoutons l’album:
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