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Jazz in Marciac 2016, mes 11 jours de folie…

Cette année encore pour Couleurs Jazz, et depuis 11 ans, je me rends chaque été au plus long festival de jazz au monde.

Jazz in Marciac ne connaît pas la crise : il a battu cette année son record de fréquentation avec 260 000 personnes qui ont donné de la vie à cette petite bourgade de 1350 habitants. Je voulais vous livrer ici mon journal de bord.

Vendredi 29 juillet… Marciac est méconnaissable. La soirée inaugurale.

Nous arrivons à l’heure en avion à Toulouse. La compagnie Hop ! pourtant filiale d’Air France a eu la bonne idée de ne pas se mettre en grève. Direction Marciac, par la route des crêtes. Mon Dieu que le Gers est beau ! Le petit village gascon se profile à l’horizon mais, surprise en arrivant, le village a changé. Un hélico de la gendarmerie vole au-dessus des toits. De jeunes militaires patrouillent par 4, arme et casque lourd accroché au paquetage. Bernard Cazeneuve est là : il est venu lancer le festival avec la ministre de la Culture Audrey Azoulay. D’énormes blocs de béton barrent certaines rues, au cas où, pour empêcher un camion de foncer dans la foule. Très vite les ministres sont repartis et nous nous sommes habitués au nouveau visage de Marciac par temps d’attentat.

La soirée inaugurale : ouverture par le génial et bavard Christian Scott, avec  sa sirenette, un mélange de trompette, de bugle et de cornet. Comme on dit il fait le job et nous explique longuement que le vivre ensemble est nécessaire. D’ailleurs c’est ce qu’il explique à ses enfants.
Vient ensuite Diana Krall, la blonde canadienne. Plutôt triste, au point de devenir ennuyeuse. Elle livre, sans enthousiasme, un concert léché genre « un dimanche après-midi au casino de Bagnoles de l’Orne ». Madame Krall, faites attention, le jazz est en train de changer !

Samedi 30 juillet… Une formidable découverte, le tandem Yaron Herman pianiste et le fameux Matthieu Chedid.

C’est incontestablement la 1ère grande découverte de ce Jazz in Marciac 2016, Panam Panic, ils sont cinq, emmenés par Julien Alour, jeune homme au crâne rasé, terriblement bien dans sa peau, même à Marciac où il a eu accès tout de suite au grand chapiteau, sans passer par la petite salle de concert, l‘Astrada. Ces cinq jeunes gens se sont faits sur Facebook et ils auto-produisent leur premier CD. Panam Panic a fait se lever la plupart des 6 000 spectateurs présents qui sont venus danser au pied de la scène. Commentaire de Julien Adour : « vous êtes vraiment tous sympas, que fait-on pour terminer la soirée ? On va boire des coups et on va kiffer »

Même mouvement de foule pour le 2nd concert : le pianiste Yaron Herman attaque genre classique, avec des morceaux qui traduisent de toute évidence la difficulté d’être Israélien. Mais il change complètement quand arrive son invité « M », Matthieu Chedid, qui admet d’entrée qu’il n’est pas musicien de jazz et qui remercie ses amis jazzmen de l’avoir invité. M attaque son premier morceau en faisant glisser son archer sur sa guitare électrique. Pourquoi pas ? …Puisque le son est bon. Ensuite reefs infernaux nous rappelant Jimmy Hendrix

Sur scène également, Emile Parisien, saxophoniste formé au lycée de Marciac. Enchantement du public jusqu’à une heure avancée de la nuit. À n’en pas douter, une soirée-événement.

Dimanche 31 juillet… Deux découvertes : Gogo Penguin et Snarky Puppy.

 Chris Illingworth de Gogo Penguin, né à Manchester, se fait connaître lors de sa participation au Mercury Price, le Goncourt de la musique Outre-Manche avec Nick Blacka et Rob Turner à la batterie, ils tiennent la scène sans problème pendant une heure et demie.

Deuxième partie, Snarky Puppy (en français chiot narquois) : onze sur scène, nous sommes loin des habituels trios. Le groupe venu de New-York pour jouer de tout, jazz bien sûr mais aussi rock, pop, gospel blues, hip hop. Un malheur, grâce à leurs solistes au top niveau. Ne manquez pas le « Chiot Narquois » si vous passez par New-York.

Lundi 1er août… Stéphane Belmondo et Ibrahim Maalouf

Soirée trompette avec Stéphane Belmondo qui joue son hommage à Chet Baker, l’inventeur du cool jazz qu’il avait rencontré en 1987 au New Morning, disparu un an plus tard. Avec ses 2 complices Thomas Bramerie bassiste et Jess Van Ruller à la guitare, Stéphane assure, laissant flotter dans l’immense chapiteau un son parfaitement pur.

Deuxième trompette : dès le début, Ibrahim Maalouf brouille les pistes en jouant du piano qu’il maîtrise parfaitement. Il s’empare du micro et transforme la salle en un gigantesque happening, demandant au public de chanter et de danser encore et encore. Il fête à Marciac ses 10 ans de Live et l’un de ses derniers albums « Red and Black Light ». Un hommage aux femmes, notamment à celles de sa famille qui ont su préserver le lien entre tous ses membres, dispersés dans le monde entier, lors de la guerre civile au Liban. Ibrahim qu’on peut écouter partout en France cet été et qui achèvera son parcours le 14 décembre à Bercy. Merci à lui pour cette merveilleuse soirée.

Mardi 2 août… John Scofield et John McLaughlin

C’est encore un trio : Steve Swallow à la basse et Bill Stewart à la batterie entourent le maître John Scofield à la guitare. Ces derniers recherchent aussi de nouvelles formes de jazz, ils nous enchantent en interprétant des thèmes très mélodiques inspirés par la fréquentation des grands du jazz comme Charlie Mingus ou Miles Davis. Quant à l’élégant John McLaughlin, il n’oublie pas qu’il a fait des albums de musique indienne. Il met en avant le batteur Ranjit Barot qui improvise du scat en hindi alors que le bassiste Etienne M’Bappé gratte sa guitare avec des gants. Au bout du compte, le concert sera de très haute qualité, John McLaughlin étant considéré comme l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du jazz.… 

Mercredi 3 août… Place aux filles !

Cyrille Aimée, jeune femme franco-américaine  fait impression avec sa robe moulante dorée et largement décolletée. Elle chante des morceaux de jazz dans un style proche du Jazz manouche de Django Reinhardt. Elle a passé son enfance dans le village de Samois, où le plus célèbre des gitans repose en paix. Sa mère dominicaine lui a appris les rythmes de son pays d’origine, quand elle était petite. Disons le tout net, Cyrille vous étiez un peu juste pour commencer par le chapiteau, mais votre fraîcheur nous a séduits.

Lisa Simone enchaîne et l’on se dit immanquablement : « mais qu’est-elle allée faire dans l’US Army, alors qu’elle chante si bien ?! » 

Lisa joue avec le public de Marciac, posant cette question : « de qui suis-je la fille ? » Tout est là, dans cette relation contrariée avec sa mère, Nina Simone. La fille a tout d’une grande, elle est aussi comédienne et danseuse. Elle quitte même la scène, toujours en chantant, pour aller danser dans la foule, un moment très fort pour la chanteuse à voix, une voix qui se joue des graves et des aigüs.

Jeudi 4 août… Ahmad Jamal et son protégé Shahin Novrasli

Shahin Novrasli arrive  à Marciac dans les bagages d’Ahmad Jamal ce qui est pour lui un très bon point. Vous vous penchez sur sa bio et vous découvrez que le jeune homme est né à Bakou en Azerbaïdjan. Voilà de quoi exciter votre curiosité ! Vous découvrez ensuite qu’il a fait de remarquables études de musicien classique ; et c’en est fini de la  bio officielle de l’état communiste. Voilà que Shahin se met à aimer le jazz ! le « frondeur » joue un morceau de 55 minutes, seul au piano. On sent chez lui la plaie ouverte de l’exil. Ce Jazz incantation interpelle, il est tout fait  original.

Il est temps maintenant d’accueillir l’immense Ahmad Jamal. Nous l’avions rencontré il y a 2 ans à Marciac. 86 ans et toujours son sourire de jeune homme. Ses doigts immensément longs volent sur les touches du Steinwey et donnent l’ordre à ses musiciens de jouer. Ils jouent depuis si longtemps ensemble qu’ils s’exécutent avec enthousiasme. Mention spéciale pour le percussionniste Manolo Badrena qui ne se sépare jamais de sa collection d’objets à faire des bruits. Ce soir Ahmad Jamal qui a composé une chanson sur Marseille partage la scène avec la chanteuse franco-béninoise Mina Agossi et le slameur Abd Al Malik. Deux apports importants dans l’évolution du jazz. Un très beau cadeau offert par le maître du piano qui a accepté de sortir de sa propriété du Connecticut pour venir une nouvelle fois à Marciac.

Vendredi 5 août… 2 contrebassistes qui dirigent leurs formations, ce qui est rare. Kyle Eastwood quintet et Avishai Cohen trio

Kyle Eastwood a déjà sorti 7 albums. Le contrebassiste a composé plusieurs musiques pour les films de son père. Il vit aujourd’hui en France et travaille depuis plusieurs années avec de jeunes musiciens anglais. Et il ne manque jamais une occasion de rendre hommage aux grands du jazz comme Miles Davis ou les Jazz Messengers de Art Blakey. Nous avons tous apprécié son beau sourire.

Autre beau sourire, celui d’Avishai Cohen qui était accompagné cette fois-ci par un pianiste virtuose, Omri Mor. En plus du chapiteau de Marciac, il a joué sur les plus grandes scènes du monde. Il dit de son jeu et de sa mission : « je ne suis pas là pour diffuser un message spécifique. Je transmets juste ce que j’aime en fonction de mes envies. Le seul message est la musique en elle-même. C’est de l’émotion pure. »

Samedi 6 août… Volcan trio puis Roberto Fonseca

Passons vite sur Volcan trio qui, de mon point de vue, devait être dans un mauvais jour…

En revanche, Roberto Fonseca le pianiste cubain et ses 11 musiciens ont déclenché des tonnerres d’applaudissements et ont fait danser des afro-mambos endiablés à tous les spectateurs. En choeur, tous ont repris le langoureux Besame Mucho, puis nous avons pu entendre les meilleurs morceaux du futur CD Abuc (Cuba à l’envers) de Fonseca, attendu le 24 octobre prochain. Nous avions découvert Roberto tout jeune en 2005. Il était alors le pianiste d’Ibrahim Ferrer. Depuis, il a collectionné les succès, il est devenu la coqueluche de Marciac… et est resté fidèle à son petit chapeau !

Dimanche 7 août… Cyrus Chesnut et son trio et Wynton Marsalis and The Young Stars of Jazz

Cyrus Chesnut est un grand du piano que l’on compare volontiers à Art Tatum et Bud Powell. Il est l’un des rois dans la composition de mélodies. « Ce que je fais peut paraître simple mais quand vous écoutez ce n’est pas aussi simple que vous le croyez… » Nous avons surtout goûté la simplicité de ses arrangements.

Wynton Marsalis, qui règne sur Marciac depuis 15 ans -il a même sa statue sur la place- a parié cette année sur le renouveau qu’apporte la jeunesse. Pour l’accompagner, 12 jeunes musiciens issus des meilleures écoles américaines de musique dont un Français le pianiste Mathis Picard. Et une danseuse de claquettes, Michela Marino Lerman. Au milieu de son orchestre, comme d’habitude, le maître veille et son œil frise, même lorsque Michela vient danser devant lui. Bravo pour votre choix Wynton, les Young Stars of Jazz promettent et sont déjà tous au niveau professionnel.

Un simple constat : à la question, comment va le jazz ? Il est facile de répondre après avoir écouté 22 groupes dans le grand chapiteau de Marciac, le jazz va bien et même très bien. Le jazz a changé. Il ne craint plus d’intégrer des séquences de blues, de rythm and blues, de hip hop (mais si !). Il est totalement métissé.  Appelons-le new jazz, cross jazz ou total jazz, car il est bien mondial. Il suffit de regarder les nationalités des musiciens dans les groupes : ils viennent de partout et c’est rudement bien ainsi. Ce qu’il faut garder et vous le faites, mesdames et messieurs, c ‘est la part d’improvisation, essentielle dans un concert de jazz !

Bravo à Jean-Louis Guilhaumon de nous avoir fait découvrir cette année des jeunes gens qui sont l’avenir du jazz, comme Panam Panic et Snarky Puppy. Et maintenant, préparez-nous, s’il vous plaît, un somptueux 40ème anniversaire !

 

 

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