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Pour sa 40ème édition, le Festival Radio France Occitanie Montpellier, du 6 au 19 juillet 2025, nous a offert dans sa programmation Jazz & more, concoctée par Pascal Rozat et Patrice Héral, un plateau d’artistes contrastés de Brad Mehldau à Feu ! Chatterton aux côtés de Baptiste Trotignon en passant par David Krakauer, Airelle Besson, Jowee Omicil et Jeanne Added.

Retour sur ces quatre derniers concerts qui ont lieu dans l’ancien couvent des Ursulines qui fut prison puis caserne avant de devenir l’Agora, Cité internationale de la Danse.

David krakauer & Kathleen Tagg’s Good Vibes explosion

C’est sous l’ocre du ciel occitan que l’ami Alex Dutil nous présente le clarinettiste et chanteur David Krakauer qu’il suit depuis 25 ans. La clarinette basse nous propulse très vite dans un voyage sonore qui semble nous faire tanguer sur les flots des origines du monde. Avec ce premier rap de Sarah MK, Jammin’ with Socalled, le groove nous installe dans les Good Vibes, les ondes positives, recherchées par David pour « partager notre humanité dans ce monde dégueulasse ». Cette humanité s’exprime à la première écoute de ce groupe venu des quatre coins de la planète. Du Canada pour la rappeuse Sarah MK, d’Afrique du sud pour la multiinstrumentiste Kathleen Taggs, d’Iran pour Martin Shamoonpour au Daf et à la guimbarde, des États-Unis pour Brad Shepik à la guitare, Jérome Harris à la basse et John Hadfied à la batterie.

Toujours à la recherche de son héritage juif est-européen David Krakauer nous distille des traits harmoniques klesmer dans quasiment tous ses titres. De la polka Krakky’s Rainbow créée par Sarah MK au Bella’s Calypso en hommage à Harry Bellafonte en passant par le Synagogue Wail for solo clarinette. Ovni dans la playlist de ce concert, la ballade I am a poor wayfarin stranger chanté par l’ancien bassiste de Sonny Rollins, Jerome Harris nous plonge dans la nuit montpelliéraine et nous transporte dans les champs de coton lointains sous le bourdon mélancolique du violoncelle de Kathleen Tagg. Puis, quand David Krakauer nous interprète Love song for Lemberg/Lvov en mémoire à sa grand-mère, un vol de colombes survole le Théâtre de l’Agora pour souligner cette prière pour la paix aux envolées lyriques d’une clarinette aux intonations de Goran Bregovic. La soirée se termine par un rap klesmer endiablé Moskovitz and Loops of it qui met tout le monde debout sous les étoiles. Good Vibes, pari tenu. Merci David.

Besson Sternal Burgwinkel

Une seule trompette suffit pour se convaincre de la renommée du théâtre de l’Agora comme lieu incontournable pour y écouter du Jazz pur et délicat et ce sera celle de la trompettiste Airelle Besson entourée du pianiste Benjamin Moussay (qui remplace au pied levé Sebastian Sternal) et du batteur Jonas Burgwinkel.

Dès The Sound of your voice une harmonie particulière s’installe entre les trois musiciens qui nous offre une entente rare malgré l’absence de Sébastian Sternal pianiste du trio depuis l’origine en 2013 et retenu en Allemagne pour raisons familiales. Mais Airelle et Benjamin sont de « vieux » complices, notamment avec leur « Ballade avec Miles » et le trop rarement joué Fendez Rhodes prend toute sa place dans l’alcôve du théâtre.

Surprise, tel pourrait être le mot d’ordre de ce concert. Surprise quand Airelle prolonge un trille facétieux pour couvrir le bourdonnement des pales de l’hélicoptère de la sécurité civile qui survole le théâtre et lui laisse le temps de sortir du champ pour reprendre la suite mélodique. Surprise quand Airelle évoque une nouvelle fois Sébastian qui lui avait dit il y a dix ans « Let’s surprise ourself » à l’entrée d’un concert. Ce qui donnera le titre à leur premier album « Surprise » en 2024. Surprise quand le son des cigales et les cris des martinets, c’est le bonheur des théâtres en plein air, introduisent le solo de piano subtile de Calgary. Des surprises on en voulait encore et les concerts sont parfois trop courts quand s’égrènent les notes de Time to Say Goobye. Celui-ci l’était.

Poets of the forest Arnaud Dolmen / Michel Alibo / Jowee Omicil

 Tout commence par un murmure venu du fond d’une forêt tropicale peuplée d’animaux aux cris étranges dans laquelle nous suivons nos guides Jowee Omicil aux saxophones, Michel Alibo à la contrebasse et Arnaud Dolmen à la batterie. Les trois poètes sont venus réveiller les âmes de la forêt urbaine montpelliéraine pour nous offrir un concentré de culture caraïbe.

D’une prière à tous les enfants du monde à un hommage aux personnes qu’on n’oublie pas, les gardiens de la forêt nous ont invité à une méditation sonore où la clarinette basse se fait procession, ou le solo d’un sax déjanté semble faire écho aux vibrations déjà lointaines du saxophone d’Albert Ayler à la Fondation Maeght, et où les origines martiniquaises, guadeloupéenne et haïtienne des trois musiciens s’entremêlent entre les notes. Nos trois poètes ne nous transportent pas seulement dans une exploration sonore mais vont revivre cette forêt théâtre où les ombres des moniales semblent planer côté cour, où le clairon d’une caserne fait tomber les murs en poussière, où le hurlement de prisonniers se font murmures, où le battement des chaussons de danse qui effleurent le plancher, marque le rythme de la nuit et du vent fantôme qui souffle. Un concert cathartique.

Jeanne Added – The Joni Mitchell songbook

Parfois tout n’est que fragilité. Fragilité d’une météo estivale qui inonde la scène du théâtre l’Agora quelques minutes avant l’entrée des artistes et qui oblige l’organisation méticuleuse de ce festival à repousser l’horaire du concert à 22h alors qu’il devait se jouer à guichets fermés à 20h30.

Fragilité d’un public, qui parfois venu de loin, ne pourra pas attendre la reprise.

Fragilité de la voix de Jeanne Added, fille de l’orage, qui, voyant la salle aux trois quarts pleine, nous émeut : « vous êtes revenus ! ». Fragilité d’une pénombre qui s’installe et qui va si bien à cette musique de nuit que nous offre Jeanne Added en revisitant les plus grandes chansons aux rythmes parfois si complexes de Joni Mitchell. Et que c’est beau la fragilité quand elle est soutenue par des artistes comme Bruno Ruder au piano, Vincent Lê Quang au saxophone et aux arrangements subtils, Marc Ducret au toucher toujours aussi étonnant à la guitare, Vincent Courtois au violoncelle et Sarah Murcia à la contrebasse.  Jeanne Added nous a offert un moment hors du temps et j’en étais presque à remercier la pluie d’avoir créé ce climat tendu propice au dépassement et à l’apaisement musicale. Tout s’est terminé par le titre sans doute le plus connu de Joni Mitchell : Both sides now qui évoque l’interprétation des nuages et la fragilité de la vie. « I really don’t know coulds at all « . Un titre pour la soirée.

Une soirée et une merveilleuse Jeanne Added qui m’a fait penser au poème écrit par James Baldwin pour Lena Horne : Le Sporting-Club de Monte-Carlo[1].

La dame est une vagabonde
une terre
une lampe

La dame est une vision
un pouvoir
une lumière

Cette dame a dévasté
Une allée ou deux
Réverbérées dans la vallée
Qui conduit jusqu’à moi et jusqu’à toi

Cette dame est la prunelle
De l’œil de Dieu :
Il la joue cool mais
Il a tendance à se pavaner
Quand elle se pointe

Cette dame est un mirage
Fille de l’orage
Broyant les cages
Réglementant les rages
De sa voix venue d’autres âges
Qui chantent à travers nous.

Jeanne Added, fille de l’orage qui chante à travers nous une voix venue d’un autre âge. C’était bien ça.

Ces quatre concerts ont été enregistrés et seront cet été à l’écoute sur France Musique.

Photos Christian Cascio

[1] Dans Le nom du son de Franck Médioni & Tom Burton – Edition Le Castor Astral 2024

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