David Virelles – Carta – Couleurs JAZZ

Cuba est clairement un pays de pianistes, du moins ce sont essentiellement des spécialistes des 88 touches issus de cette île des Caraïbes que l’on découvre les uns après les autres aux USA et en Europe, où ils font carrière.

Du vétéran Chucho Valdés (lui-même fils du pianiste Bebo Valdés) au cadet David Virelles (il aura 40 ans en novembre 2023) en passant par le sexagénaire Gonzalo Rubalcaba, ses cadets de quelques années Ramon Valle et Omar Sosa et les quasi quinquas Aruan Ortiz et Roberto Fonseca, Cuba nous offre une large palette de stylistes tous très différents les uns des autres.

Ce qui relie ces musiciens entre eux, hormis leur origine caraïbe, est le fait qu’ils ont généralement appris à jouer de leur instrument parallèlement à une étude des percussions, traditionnelles et/ou classiques. Rappelons à ce propos que dans les classes de percussion classique des conservatoires le piano, au même titre que le marimba par exemple, est considéré comme un instrument à percussion, ce qu’il est effectivement techniquement parlant. Nos pianistes cubains sont donc généralement de grands rythmiciens, ce qui ne les empêche pas d’être aussi pour la plupart de grands mélodistes.

David Virelles a par ailleurs comme particularité — à l’instar d’Aruan Ortiz — d’avoir étudié aux USA avec des aînés tels que le batteur Andrew Cyrille, le saxophoniste/flûtiste Henry Threadgill ou le saxophoniste Steve Coleman, tous également compositeurs.

Virelles possède donc une solide culture jazz et n’est pas de ceux qui donnent dans les clichés du latin jazz : pas de « Besame Mucho » ni de « Peanut Vendor » (« el manisero » en espagnol) à son répertoire !

Le présent CD, son premier pour le label zurichois Intakt (après deux autres chez l’Américain Pi Records et trois chez les Allemands d’ECM), est donc composé de thèmes de sa plume à l’exception d’un titre d’Enrique Bonne Castillo, un compositeur de musique traditionnelle originaire, comme Virelles, de la ville de Santiago de Cuba et son aîné de plus d’un demi-siècle. C’est aussi le premier disque de Virelles en trio, et pas des moindres puisqu’il a choisi de se faire accompagner par Ben Street et Eric McPherson, une paire rythmique de premier ordre dont les deux membres font partie de l’élite des musiciens newyorkais.

Ce qui frappe d’emblée dans « Carta » c’est donc l’assise rythmique impressionnante du piano et plus généralement du trio. Virelles plaque ses accords au fond du temps et ses deux partenaires le soutiennent avec vigueur et subtilité.

Autre caractéristique de ce trio : un grand sens de l’espace qui laisse une place importante aux brefs silences qui ponctuent les envolées lyriques. Le pianiste occupe majoritairement le médium du clavier sur le premier morceau en s’autorisant parfois des incursions véloces dans l’aigu.

Le second, le seul thème qui n’est pas de sa plume, déploie une mélodie aux harmonies luxuriantes où les contrastes de dynamique sont constants. Suit un court morceau aux allures rêveuses, puis en vient un où la batterie mène la danse sur une tournerie répétitive en tempo moyen où affleurent des bribes mélodiques et rythmiques typiquement cubaines. « Carta », le thème titre, explore des territoires où domine un travail sur le son des percussions et sur la lenteur majestueuse du jeu de clavier.

Puis viennent deux mélodies guillerettes en tempo moyen puis lent d’inspiration franchement latine, comme une respiration caraïbe aux trois quarts du programme.

Virelles est clairement un mélodiste inspiré et ses deux partenaires le suivent de fort belle manière, tirant de leurs instruments des sonorités chatoyantes.

L’avant dernier thème au déroulé mouvant voit le clavier alterner accords plaqués et arpèges aventureux, tantôt piano tantôt forte, sur un fond de batterie foisonnante et crépitante.

Et le CD se clôt sur une ballade majestueuse qui accorde une large place aux silences.

Au total c’est un enregistrement plein de contrastes et d’une grande maturité que nous propose ce trio.

Un CD qu’on aura plaisir à mettre souvent sur la platine tant son charme obsédant s’accentue à chaque réécoute.