…ou que l’on entend peu, si vous préférez.
Dans les bacs « jazz » des disquaires — ceux qu’il reste encore dans ce monde où la musique est de plus en plus dématérialisée — les voix féminines tiennent le haut du pavé. Que ce soit celles des divas ou des voix mineures d’autrefois par le biais des rééditions ou celles des chanteuses qu’on présente, à tort ou à raison, comme leurs héritières : Madeleine Peyroux, Melody Gardot, Norah Jones… pour les plus jeunes, Dianne Reeves, Cassandra Wilson, Diana Krall… pour leurs aînées. Sans parler de nos voix hexagonales : Anne Ducros, Elisabeth Kontomanou, Laïka Fatien… ou plus récemment Mina Agossi, Lou Tavano, Cyrille Aimée, Leila Martial…
Et les hommes dans tout ça ? Pour les vétérans, morts (Mel Tormé, Mark Murphy, Andy Bey, Kevin Mahogany…) ou vivants, à part Frank Sinatra, Nat « King » Cole et peut-être Tony Bennett, leur prestige reste toujours en-deçà de celui de leurs consoeurs.
Quant aux plus jeunes, trois têtes d’affiches émergent du lot : aux USA, Gregory Porter et Kurt Elling, que j’ai d’abord considéré comme un sous-Mark Murphy mais qui a fini par me convaincre qu’il méritait quelque peu mon estime.
Sur le Vieux Continent parade en tête le plus jeune des trois : Jamie Cullum, qui flirte souvent avec la pop mais qui reste un vocaliste jazz remarquable quand il le veut.
Ce n’est donc pas de ces trois stars largement médiatisées que je me propose ici de vous entretenir mais de la cohorte — car ils sont nombreux — des voix mâles peu ou mal entendues, particulièrement de celles qui fleurissent en Europe.
David Linx, Thierry Péala, Loïs Le Van, Kevin Norwood, Manu Domergue… dans l’Hexagone, Ian Shaw outre-Manche, feu Gabor Winand en Hongrie, Grzegorz Karnas en Pologne, Michael Schiefel en Allemagne, Andreas Schaerer en Suisse… autant de noms dont pas un n’atteint la notoriété des chanteuses précitées.
Pourquoi cet ostracisme envers les voix mâles ? La raison principale me semble être que les voix aigües ont toujours attiré davantage l’oreille humaine que les voix graves, toutes musiques confondues.
A l’époque baroque la vogue des castrats en est l’exemple le plus frappant et leur « résurrection » par le biais des haute-contres contemporains en est la confirmation. D’Alfred Deller à Philippe Jaroussky en passant par James Bowman ou René Jacobs, on ne compte pas les voix aigües dont la notoriété dépasse celle de leurs confrères barytons ou basses. Dans le domaine du bel canto, les ténors ont toujours été plus appréciés par le public que les voix plus graves et les stars dans ce domaine sont davantage Luciano Pavarotti, Placido Domingo, Alfredo Kraus ou Roberto Alagna que les barytons Dietrich Fischer-Diskau ou Hans Sotin.
Chez les femmes, de même, les sopranos sont les plus célèbres et aucune contralto — sauf peut-être la regrettée Kathleen Ferrier — ne peut rivaliser de renom avec Maria Callas, Marylin Horne, Montserrat Caballé, Jessye Norman ou Barbara Hendricks.
Que cette appétence envers l’aigu se retrouve dans le domaine du jazz n’a donc rien d’étonnant. Dans ce contexte, la voix masculine peut sembler « fragile » et peu spectaculaire. De fait, si l’on excepte les blues shouters qui fleurissaient par exemple au sein des orchestres de Count Basie (Big Joe Turner, Joe Williams…) les vocalistes masculins avaient plutôt tendance à cultiver une certaine délicatesse de timbre.
Jimmy Scott, Johnny Hartman, Chet Baker ou Andy Bey en sont de bons exemples et tous officiaient davantage dans de petites formations que soutenus par les big bands où leurs consoeurs tenaient la vedette.
Les voix masculines, en jazz, ont donc quelques obstacles à surmonter pour s’imposer et ont intérêt à afficher une forte singularité afin de se démarquer dans un paysage où dominent les instrumentistes virtuoses et les voix féminines aux timbres et aux phrasés souvent spectaculaires.
Quel mâle vocaliste peut ainsi rivaliser avec le scat ou la tessiture impressionnants d’une Sarah Vaughan, d’une Ella Fitzgerald, d’une Anita O’Day, d’une Betty Carter, d’une Dianne Reeves ou d’une Cécile McLorin-Salvant ?
Chez les voix mâles, c’est donc à autre chose qu’à la virtuosité qu’il faut être sensible et c’est par leur sensibilité que ces messieurs se distinguent particulièrement, la plupart du temps.
Sur un de ses nombreux disques (« One Heart, Three Voices »/E-Motive—2005), David Linx est flanqué de la Hollandaise Fay Claassen et de l’Italienne Maria Pia De Vito. Tous trois interprètent a capella le standard de Cole Porter « Ev’ry Time We Say Goodbye ».
Il est délectable de savourer la compatibilité de ces trois timbres qui alternent avant de clore le morceau à l’unisson. Passionnant également de comparer leur version avec celle de Sarah Vaughan (« After Hours »/Roulette—1961) en petit comité (seules la guitare de Mundell Lowe et la contrebasse de George Duvivier l’accompagnent) ou avec celle de Betty Carter et Ray Charles (« Ray Charles and Betty Carter »/ABC—1961), deux versions en tempo lent que nos trois Européens connaissent, bien évidemment.
Linx a ici choisi de porter l’attention sur le timbre des voix en privilégiant un phrasé d’une lenteur inhabituelle et bienvenue. A l’opposé, quand il chante en compagnie de la vocaliste portugaise Maria Joao à la personnalité extravertie et au phrasé capricant (« Follow the Songlines »/Naïve—2008), le chanteur belge déploie une puissance plus évidente et utilise davantage sa remarquable tessiture. Soit une palette expressive dont peu de ses confrères sont capables, ce qui explique sans doute pourquoi Linx se confronte davantage qu’eux à des voix féminines et ne craint pas de se faire accompagner par de grandes formations comme l’Orchestre National de Porto sur l’enregistrement précité ou ailleurs par le Brussels Jazz Orchestra. Il a par ailleurs enregistré récemment en duo avec le bassiste belge Michel Hatzigeorgiou (« The Word Smith »/Sound Surveyor—2018) : un exercice périlleux dont il se sort magnifiquement et qu’aucun chanteur n’avait à ma connaissance tenté avant lui. Seules quelques rares chanteuses s’y sont risquées, mais avec des contrebassistes : Sheila Jordan avec Harvie Swartz, Karin Krog avec Red Mitchell et NHØP, Maria Pia DeVito avec Silvia Bolognesi et plus récemment Jen Shuy avec Mark Dresser, Rebecca Martin avec son mari Larry Grenadier !
Jeune quinquagénaire, David Linx fait figure de vétéran parmi les chanteurs de jazz européens dont certains ont été influencés par lui voire ont été ses élèves.
https://www.youtube.com/watch?v=FyUcPek2Lr4&list=RDEMbqUiSznG3IaSF3PMovwmzA&start_radio=1
Faisons donc un tour d’horizon de ces voix mâles du Vieux Continent en commençant par un autre jeune vétéran (qui fut entre autres le prof de Jamie Cullum) : le Gallois Ian Shaw, né en 1962.
De trois ans l’ainé de Linx, Shaw présente plusieurs similarités avec ce dernier : d’une part il aime se confronter à des consoeurs telles que les Britanniques Claire Martin ou Liane Carroll, d’autre part il n’hésite pas à s’acoquiner avec des big bands.
Par contre il est, davantage que son confrère belge, attiré par les accompagnateurs d’outre-Atlantique comme les pianistes Billy Childs ou Cedar Walton (« In a New York Minute »/Milestone—1999 ; « Soho Stories »/Milestone—2001).
Shaw compose également moins fréquemment que Linx et son répertoire de standards s’étend à des compositions pop contemporaines, de Joni Mitchell par exemple. Il va même jusqu’à inclure le hit « Human Nature » rendu célèbre par Michael Jackson, dont il a donné une interprétation nettement plus acoustique que celle de Miles Davis (« The Abbey Road Sessions »/Splash Point—2011).
Ian Shaw possède un timbre chaleureux, un phrasé flexible et un charisme indéniable et j’allais oublier de mentionner le fait qu’il lui arrive de s’accompagner au piano. On se demande pourquoi les programmateurs hexagonaux ne lui font pas plus souvent prendre l’Eurostar pour venir ravir les oreilles des auditeurs Français !
Un autre Britannique (d’origine, puisqu’en fait il est né à Avignon et a passé sa vie en France) c’est Kevin Norwood. Pour le présenter, je passe momentanément le micro à mon vieux pote David Linx, qui est l’auteur des notes de pochette de son premier disque (« Reborn »/Ajmiséries—2015) : « Voici Kevin Norwood, nouveau venu dans le paysage du jazz vocal français avec la voix chaudement haut perchée, une rondeur dans le son très agréable qui nous rappelle la douceur et le swing d’une jeune Betty Carter. La souplesse est surprenante et l’approche de l’improvisation nous ramène à un jazz vocal masculin un peu délaissé depuis un temps, à la fois actuel et empreint d’une certaine mélancolie. Il est accompagné par de jeunes musiciens hautement accomplis et créatifs qui rendent le tout très cohérent. Un vrai son de groupe dont le vocaliste Kevin Norwood fait partie à part entière » écrit David, qui s’y connaît plus qu’un peu.
Pas grand chose à ajouter à cela sinon que Norwood compose l’intégralité du répertoire, paroles et musique, ce qui est d’autant plus remarquable que ces paroles et cette musique sont… remarquables ! Voilà un musicien autant que chanteur (il est par ailleurs instrumentiste de formation, saxophoniste pour être précis) qui mérite largement le détour d’autant plus que le groupe qui l’accompagne est de première bourre. Son second album (« Hope »/Onde music—2021) avec la même équipe, qui utilise ça et là l’électronique de façon plutôt pertinente, affiche une belle maturité car la voix a gagné en profondeur et en nuances. Par ailleurs Norwood laisse au trio qui l’accompagne de belles plages pour improviser. Ce n’est donc pas un disque où le chanteur se met en avant. Il est intégré à un quartet soudé dont l’empathie est palpable. Chaudement recommandé donc !
Grzegorz Karnas, lui, est un phénomène. Pour vous situer le gaillard, quand il est venu se présenter au concours de chant jazz du Festival de Crest (dans la Drôme), voici quelques années, il a fait le trajet depuis sa Pologne natale… en auto stop ! Plutôt couillu, non ? Il a gagné le concours, évidemment. Depuis il a enregistré pas mal, en Pologne (« Karnas »/Hevhetia—2011) ou en Hongrie (« Vanga »/BMC—2014), tourné en Europe ou en Chine, créé un festival et un concours de chant jazz dans sa ville natale de Zory, près de la frontière slovaque. Une ancienne ville minière que rien ne prédisposait à voir/entendre débarquer des foules jazzophiles et chantantes.
Bref, Grzegorz est un débrouillard. Et sa voix ? Un timbre assez haut perché, d’une grande douceur ou d’une grande puissance, une voix surprenante, envoûtante même par sa capacité à créer la surprise et à se mêler aux instruments qui l’accompagnent dont le violoncelle d’Adam Oles ou le cymbalum de Miklos Lukacs. Grzegorz est musicien-chanteur qui vaut vraiment le détour et on commence heureusement à l’entendre en France et partout où Voicingers a essaimé grâce à son énergie créatrice et organisatrice.
Allez, on passe quelques frontières pour aller en Hongrie où résidait un autre vocaliste, lui aussi saxophoniste de formation et malheureusement décédé il y a peu : le singulier Gabor Winand. Singulier car quand il ne chante pas de paroles, il module en scat des sons parfois inouïs avec un phrasé d’une grande souplesse et des plus intéressants. Sur le plus ancien disque de lui que je possède (« Agent Spirituel » — en français dans le texte — publié en 2003 sur le label BMC), il est accompagné d’une flopée de compatriotes magyars, dont l’excellent guitariste Gabor Gado.
Sur le second (« Different Gardens »/BMC—2004), idem, mais le troisième (« Fabulas », toujours sur BMC, qui veut dire Budapest Music Center, en 2009) le voit flanqué de deux musiciens étrangers : le pianiste cubain Ramon Valle et le trompettiste hollandais Eric Vloeimans, deux pointures de niveau international que je ne vous ferai pas l’insulte de vous présenter. Dans ce contexte — comme d’ailleurs sur les CDs précités — Gabor Winand fait montre d’une belle inventivité, magistralement secondé par ses comparses cubano-batave sur un répertoire composé par lui-même ou par Valle. Un sérieux client, donc, que ce Hongrois qu’on a pu entendre à quelques reprises en France, mais pas assez souvent à mon goût.
Après ce petit tour derrière l’ex-rideau de fer, retournons vers l’ouest ! En Suisse, plus précisément où sévit un autre phénomène : Andreas Schaerer, dont le gosier et le larynx recèlent l’un des potentiels vocaux les plus diversifiés qui se puissent trouver.
Qu’il chante des paroles, qu’il scatte ou qu’il fasse le human beat box, Schaerer a toute les chances de vous étonner et de vous enchanter. Ce magicien helvète — qui est également compositeur et fut guitariste à l’adolescence — se produit dans une multitude de contextes : avec son groupe régulier Hildegard Lernt Fliegen (Hildegard apprend à voler en VF), en duo avec son compatriote le percussionniste Lucas Niggli (« Arcanum »/Intakt—2014), en grand orchestre (arrangé par ses soins), et plus récemment au sein d’un quartette européen de très haute volée complété par « nos » incomparables Emile Parisien et Vincent Peirani et par le fabuleux pianiste allemand Michael Wollny (« Out of Land »/ACT—2017). Difficile de dire du mal d’une seule de ces formations : Andreas Schaerer et ses comparses y sont irréprochables, inventifs, enthousiasmants ! Par ailleurs Schaerer a collaboré avec nombre d’autres artistes, de Bobby McFerrin au saxophoniste britannique Soweto Kinch en passant par le guitariste finlandais Kalle Kalima. C’est peu dire qu’on se l’arrache ! Quiconque passe à côté de l’art de cet helvète à la fois sage et fou ne sait pas ce qu’il rate et est franchement à plaindre. Se priver du régal qu’est l’écoute de ce vocaliste exceptionnel relève proprement du masochisme le plus pitoyable.
Allez, on passe en Allemagne !
En RFA nous attend Michael Schiefel. Ce jeune quinquagénaire ne sort sans doute pas aussi souvent des frontières de son pays natal que son confrère suisse cité plus haut, et son art ne possède pas la même envergure que celui de ce dernier.
Il reste cependant un vocaliste attachant qui a fréquemment recours à l’électronique pour accompagner sa voix. A part son sympathique solo — en re-recording — (« Don’t Touch my Animals »/ACT—2006) et ses enregistrements avec le groupe germanique JazzIndeed, ses disques les plus intéressants me semblent être ceux qu’il a enregistrés à Budapest : celui qui l’associe à son compatriote le pianiste Carsten Daerr et à deux Hongrois, l’excellent bassiste Matyas Szandai et le superbe joueur de cymbalum Miklos Lukacs (« Gondellied in Sahara »/BMC—2010) et le trio qu’il forme avec le même Lukacs et le magnifique violoncelliste Jörg Brinkmann (« Platypus Trio »/BMC—2014). Sa voix, en scat ou chantant des paroles, y déploie une belle palette de nuances et affiche une grande aisance rythmique. Depuis Schiefel a enregistré plusieurs CDs entre autres pour le label Traumton mais je n’ai eu l’occasion que d’en écouter quelques extraits sur le net qui m’ont confirmé que ce chanteur était une valeur sûre.
Retour dans notre cher Hexagone ! On y rencontre Thierry Péala, un presque vétéran du chant jazz en France, qui enseigne beaucoup — comme David Linx, Loïs Le Van ou Manu Domergue — et transmet ainsi sa passion du chant à de nouvelles générations de vocalistes.
Je possède trois de ses disques. Sur le premier CD (« Inner Traces »/Naïve—2000), il se consacre à des compositions de Kenny Wheeler, ce qui n’est pas fréquent pour un vocaliste. Il invite par ailleurs Wheeler à le rejoindre sur quelques morceaux (au bugle et à la trompette) ainsi que sa fréquente partenaire la grande chanteuse britannique Norma Winstone.
Outre l’originalité du projet, on voit tout de suite où se situe l’esthétique de Peala : un jazz intimiste et mélodique ou sa voix d’une grande douceur — mais pas dépourvue de tonus — fait merveille et où son scat souple est un régal.
Sur cet enregistrement, comme sur les deux suivants, il est accompagné par l’excellent pianiste Bruno Angelini, qui compose la plus grande partie du répertoire. Sur « New Edge » (Cristal Records—2007), les deux comparses sont rejoints par Sylvain Beuf au saxophone et sur « Move Is » (re :think-artrecords—2011) — dont la thématique tourne autour du cinéma — c’est Francesco Bearzatti qui complète le trio au ténor et à la clarinette.
Soit, dans les deux cas une musique de chambre délicate et savoureuse, jamais dépourvue de punch. Thierry Péala est clairement une voix à suivre depuis qu’il a commencé à enregistrer au début du troisième millénaire.
Loïs Le Van, plus jeune que Péala, a une histoire un peu particulière avec moi. En effet je l’ai découvert voici quelques années en Pologne lors d’une édition de Voicingers, le concours de chant jazz organisé par Grzegorz Karnas où Loïs était le seul vocaliste mâle. Je faisais partie du jury de ce concours en compagnie de la pianiste-chanteuse américaine Patricia Barber et du bassiste-violoncelliste suédois Lars Danielsson. La voix de Loïs ne me plaisait pas vraiment : trop aigüe, trop « féminine » pour mes oreilles… Et comme lui et moi étions les seuls Français présents lors de cette édition de Voicingers, je m’excusai auprès de Lars et de Patricia pour la première prestation de ce chanteur qui ne me satisfaisait pas.
Mes deux collègues du jury me regardèrent comme un OVNI et me dirent « Mais tu déconnes, Thierry, ce chanteur est super intéressant. C’est même le plus original du lot ! ».
Ces deux musiciens m’ont donné une bonne leçon et m’ont retourné comme une crêpe. Je me suis mis à prêter davantage attention au phrasé et aux inflexions de Loïs Le Van, en oubliant ce qui me gênait dans son timbre. Et il gagna le concours à l’unanimité du jury. Depuis, Loïs Le Van a fait une belle carrière (que je vous laisse découvrir sur son site web : www.loislevan.com/albums/) et, bien que sa tessiture me pose toujours problème, je reconnais qu’il est une des voix les plus originales et intéressantes à avoir émergé en Europe ces dernières années.
Manu Domergue, lui, a ceci de particulier que quand il ne chante pas dans son groupe Raven il joue du mellophone, un cuivre aussi rare que doux popularisé naguère par Stan Kenton dans son bien nommé « Mellophonium Band »… sans parler de Don Ellis et de quelques autres.
Cet instrument voisin du bugle et du cor d’harmonie a, de toute évidence, eu une influence sur la voix de Domergue dont le phrasé est d’une fluidité remarquable et dont le timbre alterne douceur et pugnacité d’une façon impressionnante. Manu a un parcours assez atypique. Elève de la grande chanteuse brésilienne Mônica Passos, il est aussi allé en Californie étudier avec le pédagogue du chant Roger Letson — comme Loïs Le Van — et lui aussi est allé se faire connaître via le concours de chant Voicingers en Pologne. Il est d’ailleurs depuis quelques années le relais français de Voicingers. « Chercheur d’orage » (Gaya—2013), le premier CD de Raven, le groupe de Manu Domergue, est tout simplement formidable. Le chanteur y officie en tant que vocaliste, parolier, compositeur et arrangeur. Le nom du groupe provient d’une chanson de Joni Mitchell (il y a pire comme référence !) et les instrumentistes qui accompagnent Domergue sont tous excellents et le suivent depuis des années.
Je ne possède pas le dernier CD de Raven, (« Celui Qui Fuyait Son Ombre »/ Scène libre-2018) mais ce que j’ai pu en entendre sur le net m’a ravi.
On voit donc que c’est avant tout sur le Vieux Continent que s’est développé l’art du chant jazz masculin, et ce depuis à peine trois décennies. Même si leur succès n’atteint pas celui des plus en vue de leurs consoeurs, ces male vocalists ont trouvé leur public et transmettent leur art — à des jeunes des deux sexes — dans des conservatoires, des écoles de jazz et des workshops qui remportent un réel succès. Le festival couplé à un concours de chant jazz et à des ateliers de pratique vocale initié à l’origine en Pologne par Grzegorz Karnas et qui a essaimé dans une quinzaine de pays est sans doute le phénomène le plus révélateur de cet intérêt pour le chant jazz en Europe et en Asie. Ne vous étonnez donc pas si Couleurs Jazz Media consacre bientôt un article à Voicingers.
©Photos :
- Loïs Le Van : Bruno Belleudy
- Andreas Schaerer : Reto Andreoli
- David Linx : Patrick Martineau
- Kevin Norwood: Joana Luz
- Manu Domergue : Bruno Belleudy
- Ian Shaw : Joan Wolf
- Gzregorz Karnas : Bogdan Krezel
- Michael Schiefel : Stefanie Marcus
- Thierry Péala : Pedro Lombardi
- Gabor Winand : tous droits réservés
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