Le trompettiste et compositeur californien Ambrose Akinmusire a sorti en 2017 son quatrième album studio, un enregistrement live d’un concert de près de deux heures au légendaire Village Vanguard de New York. La grande complicité avec son quartet de longue date (Sam Harris / p, Harish Raghavan / b et Justin Brown / dr), ses compositions risquées et un live époustouflant en font un album qui a été acclamé comme l’un des meilleurs enregistrements de jazz de l’année .
Il a l’air douloureux et violent, puis prudent et calme, il gémit et se faufile par la porte de derrière, sans déclaration, sans discours.
Il sort.
Ambrose Akinmusire ressent les esprits qui reignent à l’intérieur du Village Vanguard et dans sa propre chair. Des esprits dont il dit être possédé en jouant, loin de ce qu’il est et ne ressentant ainsi aucune pression – non rien – mais le devoir inéluctable de transmettre et de raconter une histoire.
En tant que compositeur, il défie la tradition, que ce soit par l’intermédiaire de son quartet en tant que trompette leader, ce qui est assez inhabituel, ou par les détails qui attirent son regard et dont il veut parler. Par exemple, dans « Moment in Between the Rest (To Curve an Ache) » – si ce n’est pas un poème en soi, qu’est-ce que c’est ?
Il pose les bases d’une constante interrogation pendant qu’il joue. Il y a appel et réponse. Il joue avec les forces opposées et des définitions alternatives de la beauté. Son son est travaillé, organisé ; un son dont l’évolution a été soigneusement choisie et accompagnée. Net et propre mais capable d’exprimer autant d’émotions qu’une voix humaine. Une voix qui raconte les mots les plus tristes, les plus angéliques, les plus sales et les plus laids des histoires d’amour. Ce qui, finalement, devient beau.
Son son est celui-là: un gémissement distinct de sa corne, paisible. Un calme qui lui permet d’évoquer des sujets inconfortables – « Maurice & Michael (désolé je n’ai pas dit bonjour!) ». Là, il produit toutes sortes de tumultes – claquement de soupape, souffle, chuchotement, sons non-pitch. Déclarations post-bop et soliloques dramatiques.
A Rift in Decorum est l’expression à travers la musique de diverses émotions éprouvées, désagréables ou que l’on remarque à peine, exprimées par un musicien visionnaire devenu « l’esprit de la trompette le plus libre après Miles », selon Jack Dejohnette. Escorté par des musiciens fabuleux, Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la basse et Justin Brown à la batterie. ils construisent un album de deux heures, basé sur leur virtuosité et leur grande communication, fonctionnant par des entrées rapides, des sorties discrètes, des solos successifs, des développements innovants.
Un récit hypnotique qui rassemble les aurores et les Caraïbes, avec des influences sonores arabes ; des couleurs vives et des tempêtes sombres. Le ressenti sur scène est décuplé, même si l’album lui-même est un enregistrement live. Ce quartet a la capacité de produire un discours transcendantal puis, lorsque tout le monde est sur le point d’exploser ou de s’évanouir, de redescendre sur terre, en terminant avec l’humanité des vrais musiciens. Ceci en dépit du fait que certaines lignes débordent d’informations et bien qu’à des moments précis elles défient des tempos épuisants. Finalement, ils surmontent n’importe quel obstacle et font valoir leur point de vue en parlant un nouveau langage qui porte l’évolution du jazz en son sein.
Et pas seulement cela, mais un trompettiste qui continue à évoluer et qui va bien au-delà, en étudiant, en travaillant constamment.
« A Rift in Decorum: Life at the Village Vanguard » est un album Universal Music Division Decca Records France
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