
Avec ses quelques 300 maisons à colombage, Ystad est une charmante bourgade du sud de la Suède. Sans doute plus connue par rapport aux polars de Henning Mankel que pour son festival de jazz, c’est déjà une seizième édition de l’Ystad Sweden Jazz Festival (YSJF) que nous propose son directeur artistique, le brillant pianiste Jan Lundgren.
Issu de la « famille » ACT Music, ce n’est pas un hasard si à l’instar du festival Jazz Baltica, un certain nombre de projets du célèbre label allemand sont repris au générique de la trentaine de concerts proposés sur les quatre jours du festival.
Se tenant cette année du 30 juillet au 2 août, le YSJF débuta d’ailleurs avec Pasodoble & Beyond, un duo réunissant le contrebassiste Lars Danielsson et le pianiste Leszek Mozdze. Leur collaboration discographique sur ACT Music remontant déjà à 2007, c’est une relecture de leur album Pasodoble qu’ils nous ont proposé dans la salle de l’Ystad Saltsjöbad, un luxueux hôtel spa situé en bord de mer.

©Photo Tim Dickeson 30-07-2025 Leszek Możdżer (Piano); Lars Danielsson (Bass, Cello)
En effet, outre le centre médiéval d’Ystad qui mériterait de figurer au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’autre attrait de la ville surnommé la perle de la Riviera suédoise est sa longue plage de sable blanc. Mais revenons à nos deux ‘jazzcats’, Lars et Leszek. Les cordes des deux instruments s’entremêlent, s’écoutant autant qu’elles se parlent dans un dialogue tout en finesse et c’est avec un humour qui lui est propre que le pianiste polonais remercia le public d’avoir essayé de comprendre leur langage abstrait et mathématique.
Après Pasodoble, ils jouèrent Incognito, la toute première pièce qu’ils aient jamais interprété ensemble. Terminant le concert par un rappel, une tradition ici comme ailleurs, le pianiste-humoriste expliqua que c’est un peu comme si votre employeur vous demandait de rester plus tard au bureau en vous félicitant pour votre excellent travail, belle analogie en effet.
Se répartissant sur pas moins de dix scènes, principalement à Ystad mais pas seulement, les concerts principaux ont toujours lieu dans le Ystad Teater, un théâtre resté parfaitement intact depuis sa création en 1894. C’est donc là que se succédèrent le premier jour deux musiciens ayant joué avec Miles à des époques bien distinctes.
C’est tout d’abord le contrebassiste Dave Holland que l’on a pris plaisir à retrouver avec son groupe Kismetfondé avec le saxophoniste Chris Potter. Bien que Kismet soit un quartet à la base, Dave Holland a du dès le début de la tournée opter pour la formule trio suite à un problème de santé du guitariste Kevin Eubanks. Entre la contrebasse et le saxophone, c’est le batteur Marcus Gilmore qui assura les arrières et on eut vite fait d’oublier l’absence du guitariste.
En parlant de guitariste ayant fait ses armes auprès de Miles, Mike Stern devait clôturer la soirée en beauté. Laissant le lead à son épouse pour débuter le concert, celle-ci nous gratifia de l’un de ses originaux pour lequel elle utilise ce petit instrument à cordes africain appelée ngoni.

©Photo Tim Dickeson 30-07-2025 Mike Stern (Guitar, Vocals); Leni Stern (Guitar, Vocals, Ngoni); Gábor Bölla (Sax), Jimmy Haslip (Bass); Dennis Chambers (Drums)
Le reste du concert se déroula comme toujours, entre les lignes très reconnaissables de celui qui fait partie à mon sens du Top 5 des meilleurs guitaristes de jazz et ses acolytes habituels à l’exception notable de Gabor Bolla. Le saxophoniste hongrois remplaçait ce jour-là Bob Franceschini et croyez-moi, nous n’avons rien perdu au change.
Si de nombreux aficionados de jazz aiment revenir encore et encore à Ystad, il en va de même de certains musiciens. C’était à nouveau le cas pour la saxophoniste Nicole Johänntgen qui en fait, cherche toujours un bon prétexte pour venir.
Pour sa cinquième participation, la musicienne qui a quitté son Allemagne natale pour la Suisse vint avec son projet Robin, un quintet formé avec quatre musiciens suisses dans une mouvance résolument afro-cubaine. Partageant l’écriture avec les deux autres musiciennes du groupe, respectivement Manon Mullener au piano et Sonja Bossart à la bass, Nicole nous fit voyager entre Berne et La Havane grâce aux deux percussionnistes, David Stauffacher et Roberto Hacataryan. Entre ce concert de début d’après-midi et la finale du soir à l’Ystad Teater, le festival nous invita dans un jardin secret au cœur de la vielle ville. En effet, depuis l’année dernière, c’est un jardin privé qui sert d’écrin à un concert un peu plus intimiste.
En cette fin d’après-midi, le ciel bleu sans nuage n’était troublé que par le passage de quelques mouettes égarées qui appréciaient ou pas les standards de jazz interprétés avec brio par le trio réunissant le contrebassiste suédois Hans Backenroth et ses deux compères danois, Thomas Fryland à la trompette et Jacob Fischer à la guitare. Toots restant à jamais une superstar en Scandinavie, ils terminèrent avec Bluesette, devenu avec le temps presque un hymne national suédois.
Pour fêter leurs vingt ans d’existence, le trio Mare Nostrum se devait de publier un nouvel album et dès sa sortie, il était facile de deviner que leur tournée passerait par Ystad.
Ce fut donc chose faite et comme toujours depuis vingt ans, le concert débuta avec le même thème, Mare Nostrum, écrit par Jan Lundgren pour leur premier album.
Les trois compères se partageant habilement l’écriture, c’est un nouveau thème de Paolo Fresu qui devait suivre avant un florilège de titres consacrés à leurs proches.
Si l’épouse de Richard Galliano, Gisèle, a droit à la bien nommée Chanson pour Gisèle, Paolo Fresu fait référence à l’école de son fils Andrea sur le thème Pavese.
Quant à Jan Lundgren, futur heureux papa pour la première fois, c’est à son chien qu’était destiné son Lullaby For Two, en attendant bien sûr d’écrire une berceuse pour sa fille Lili qui, espérons, ne troublera pas trop le sommeil de son pianiste de père.
Se produisant généralement deux fois au cours du festival, Jan Lundgren était de retour sur scène le troisième jour pour un tout nouveau projet aux côtés du batteur Wolfgang Haffner et du contrebassiste Anders Jormin. Citant Bill Evans comme son influence principale, il se devait un jour ou l’autre de lui consacrer un hommage entre une reprise de Suicide is Painless, le thème de la série M.A.S.H. et Debbie’s Waltz.
Sous l’œil approbateur du fondateur d’ACT Music, Siggi Loch, présent dans la salle comble de l’Ystad Teater, le trio nous délivra une performance à la hauteur de ce que l’on peut attendre de musiciens d’un tel niveau.
Les habitués du festival le savent, ici on aime bien les vocalistes, qu’elles viennent de Suède ou d’ailleurs. Présente pour la toute première fois à Ystad, l’américaine Catherine Russell est sans aucun doute une spécialiste de jazz vintage et de R&B. Son postulat est d’ailleurs d’interpréter des thèmes méconnus enregistrés par les plus grands, de Billie Holiday à Ray Charles.
Elle puise également son inspiration dans les thèmes issus de comédies de Broadway dont la version de Nat King Cole de You Stepped out of a Dream.
Durant son concert, elle rendit également hommage à son père, Louis Russell qui fut pendant longtemps le directeur musical du big band accompagnant Louis Armstrong.
La présence de big bands, c’est justement l’autre point fort du festival qui cette année a souhaité rendre un vibrant hommage à Quincy Jones, invité d’honneur du festival en 2012. To Quincy with Love, un projet réunissant trois éminents membres de la famille ACT Music et le Bohuslän Big Band devaient clore le festival sur le gazon de Charlottenlunds, l’un des nombreux manoirs parsemant la verdoyante région de la Scanie.
C’est ce même big band qui avait été dirigé par Quincy Jones treize ans auparavant pour Midnight Sun Never Sets et Stockholm Sweetnin’.
Pour cet hommage très bien travaillé, c’est bien sûr un répertoire beaucoup plus large qu’il nous a été donné d’écouter. Entre un magnifique arrangement instrumental de Thriller signé par Magnus Lindgren et des reprises de Superstition par Viktoria Tolstoy et Ida Sand, c’est la présence de Nils Landgren au trombone et au chant qui devait encore plus marquer les esprits en cette chaude fin d’après-midi du samedi.

©Photo Tim Dickeson 02-08-2025 Viktoria Tolstoy (Vocals); Ida Sand (Piano, Vocals); Nils Landgren (Trombone, Vocals)
L’occasion de rappeler que Quincy Jones a eu un impact considérable sur la musique du vingtième siècle entre ses collaborations avec Stevie Wonder et Michael Jackson notamment. Il était aussi un formidable chef d’orchestre, preuve en est avec ses sessions enregistrées pour le label Mercury en 1959 et 1960.
Le lendemain matin, la Riviera suédoise se réveillait au son des vagues se heurtant sur le sable.
Le bruit des notes bleues de la veille ne résonnait plus que dans mes oreilles. Le jazz laissait la place au son strident des mouettes, tout au moins jusqu’à l’année prochaine pour une 17e édition du YSJF, immanquable comme toujours.
Ystad Sweden Jazz Festival 29 juillet – 2 août 2025
©All Photos Tim Dickeson.


















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