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Impossible de passer sous silence la première expérience de Sarah Lenka au Pan Piper le 25 novembre 2022, pour ce qui s’avère sans doute l’un de ses tout meilleurs concerts. Dans le cadre du festival « Les femmes s’en mêlent 2022 » et pour fêter dignement la sortie de son EP en vinyle chez Musique Sauvage « Mahala ».

La chanteuse, entourée de Taofik Farah à la guitare et de Bruno Marmey à la batterie (un expert du jeu aux mailloches), du formidable Maurizio Congiu à la contrebasse, et d’invitées très spéciales en la personne des chanteuses solaires Natalia M King et Marion Rampal a bouleversé le public venu en nombre pour applaudir un féminisme artistique enraciné et authentique, approfondissant une démarche concentrée sur l’apport des femmes à la culture universelle, magnifié par des interventions lumineuses d’artistes tels qu’Awa Ly et Gunnar Elwanger, une chanteuse franco-sénégalaise et un guitariste chanteur allemand.

Sarah Lenka excelle toujours dans une communion intime autour de l’amour universel que surent incarner ou porter à bout de bras des figures féminines, que le silence ou la notoriété ont rendue plus précieuses encore à mesure que le temps passe. Dès premières notes de « Be So Blind », on retient le timbre sablonneux de Sarah Lenka, avec des accents blues et folk qui forment le background d’un parcours artistique empruntant le cheminement tortueux des musiques populaires des siècles passés comme de ceux à venir.

« Trouble So hard » ressuscite le fantôme de Vera Hall en psalmodiant un héritage qu’on effeuille tels les pétales d’une fleur. « It Happened » tiré de l’album « Women Legacy » comporte des aspects psychanalytiques qui prennent racine dans les soubassements d’une identité fluide qui imprègne l’histoire culturelle pour en extraire une sorte d’incantation mystique, aux pouvoirs presque magiques.

« Last Kind Words », de Geeshie Wiley, est à l’image de son titre, un authentique hymne aux capacités de résilience humaines, qui jette un pont entre les premiers chants spirituels afro-américains et la musique country.

Un emprunt étonnant à l’univers méconnu du musicien de folk, Nick Drake, prématurément disparu, matérialise quant à lui le lien tissé par la chanteuse entre toutes les musiques populaires, puisant aux confluents du blues, du folk, et du jazz, un creuset d’où naquirent la soul music, le rythm and blues ainsi que les formes d’expression les plus modernes de la culture américaine issue du bouillonnement créatif de la Nouvelle Orléans.

Cette soirée est l’occasion de reformuler cette aspiration à la liberté en un chant œcuménique et festif.

La manière même dont Sarah Lenka parle de rédemption touche à sa vocation d’artiste comme à son identité de femme. Cette force de conviction transfigure une sensibilité synonyme de vulnérabilité et d’énergie intimement entremêlées, un mouvement qui part d’une certaine faiblesse initiale et qui se dirige vers une réappropriation évoquant celle du peuple afro-américain, nourrie sur scène des concerts qu’elle donne comme autant d’happenings à part entière, un appétit de vivre incoercible qui fait fi des obstacles à l’accomplissement personnel.

En écoutant Natalia M King, née dans les faubourgs de Brooklyn, dérouler le fil de son blues urbain (il y a du Janis Joplin et du Tracy Chapman en elle), en se frottant aux harmonies délicates et sophistiquées de Marion Rampal, nourrie à la pierre philosophale du génie d’Archie Schepp, et qui entreprit le voyage en terre américaine pour dompter le feu qui l’animait, en frissonnant aux tonalités euphoriques et communicatives d’Awa Ly, secondée par le jeu de guitare et la voix suave de Gunnar Elwanger, on ne peut que se laisser emporter par le flux des émotions charriées par les talents conjugués des protagonistes d’une soirée mémorable en forme de fête de tous les sens basée, pourtant, sur une certaine gravité existentielle, au sens d’un humanisme.

Cette grâce, elle est présente derrière chaque mot, chaque intervention, chaque contribution, et quelle interprétation du « Diamond Joe » de Bessie Jones, dont la souffrance initiale est rendue presque palpable par les subtilités rythmiques de l’arrangement, qui brûle les étapes d’un affranchissement des contraintes empêchant d’exister, au mépris des catégories dans lesquelles nous enferment les esprits soucieux d’établir leur pouvoir en divisant plutôt que de rassembler. « Ain’t Gonna let Nobody Turn Me Around », est renvoyé à une nudité désarmante et les musiciens descendent de scène pour une ultime communion, suscitant les chants spontanés du public du Pan Piper, gagné par cette intuition qui fédère et qui rend possible une tonalité joyeuse et optimiste dans la pluralité et la différence.

©Photos Jean-Pierre Alenda pour Couleurs Jazz

©Photo Header : Jean Fleuriot

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