Qu’est-ce que la musique en général, et le jazz en particulier, si ce n’est la somme de ce qui fait un individu ?
Samy Thiébault en est le premier convaincu, qui, après de longues réflexions, a choisi de titrer cet album « Rebirth ». L’idée que ce disque soit une forme de seconde naissance, d’un nouvel avènement, s’est fait progressivement jour, à mesure qu’apparaissaient toutes les résonances personnelles qui sous-tendent le choix des compositions, leurs formes, leurs inspirations. Une mosaïque se dessinant, qui formait une sorte d’autoportrait à l’âge adulte, le visage d’un artiste qui a appris que la musique allait le définir lui-même autant qu’il la joue, dans un processus réflexif qui s’apparente à une redécouverte de soi.
Le jazz est un langage que les afro-américains ont offert au monde et qui permet à des hommes de culture différente d’échanger et de faire de la musique ensemble
— à l’image de la présence du trompettiste israélien Avishai Cohen, invité de choix de cet album, qui a assimilé toute l’histoire de son instrument pour mieux pouvoir tisser la sienne. Chaque instrumentiste aborde ainsi son art avec ce qui le constitue : ses racines, son histoire, ce « vécu » qui lui sert de bagage dans son aventure musicale. Ainsi, « Rebirth » n’est pas une quête existentielle ; « Rebirth » est à l’image de ce qu’est Samy Thiébault, un carrefour de rencontres, un faisceau d’influences et de générosité. La générosité de la mélodie, d’abord, envisagée par le saxophoniste comme le plus simple des véhicules pour partager la musique avec ceux qui l’écoutent. La générosité d’un musicien, ensuite, qui s’est fait la cheville ouvrière d’un label, Gaya Music, qui fédère autour de lui toute une partie de la scène du jazz hexagonal, à qui il a offert un espace d’expression et un ancrage phonographique.
« Rebirth est fait de mélodies qui me décrivent, musicalement et personnellement », explique le saxophoniste. Alors que son précédent album, « Feast of Friends », revenait aux origines de sa passion pour la musique en explorant le répertoire du groupe The Doors, « Rebirth » est plus clairement à l’image de son auteur, par la manière dont il puise dans son histoire personnelle les références de son répertoire. Qu’il s’agisse d’emprunts comme ce Chant du très loin, tiré des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, la toute première pièce que Samy ait jamais jouée en groupe et en public — à l’origine d’une vocation, donc — ou de Cansion, mélodie entendue dans une église chantée par un chœur d’enfant au cours d’une tournée au Venezuela dont l’empreinte est restée suffisamment forte pour que le saxophoniste veuille l’arranger pour son quartet. Qu’il s’agisse de compositions écrites pour l’occasion et dont les résonances ont à voir avec sa propre généalogie, comme Raqsat Fes (la danse de Fès), en référence à la ville natale de sa mère, inspirée d’une mélodie du grand chanteur de chaâbi Maâti Benkacem (1928-2001), ou encore Abidjan, d’après la chanson ivoirienne So Dyara, en écho à la cité qui l’a vu naître et l’a longtemps hanté avant qu’il n’y retourne enfin et n’y vive une expérience réconciliatrice. Ce n’est pas un hasard si, parmi ces thèmes, plus d’un trouve son inspiration du côté de l’enfance, comme certaine comptine malienne qui est derrière Nesfé Jahân, composé pour son propre fils, dont le titre en persan signifie « la moitié du monde », ou encore l’adaptation d’un air de Maurice Ravel, Laideronnette, impératrice des pagodes, repris de Ma Mère l’Oye, qui s’offre en deux versions et rappelle qu’une partie de l’ancrage musical de Samy Thiébault tient autant à la geste de John Coltrane qu’à la musique classique française. Au cœur de l’album figurent d’ailleurs trois parties d’une Enlightenment Suite dont chaque segment est bâti sur le développement d’une séquence mélodique empruntée à une pièce d’Erik Satie intitulée « Le Fils de l’étoile ».
« Le Fils de l’étoile », ce pourrait être le surnom de Samy Thiébault, tant le musicien mène depuis quelques années une carrière qui semble placée sous de bons auspices. A la tête d’un quartet de musiciens fidèles, sur qui il sait pouvoir compter — le pianiste Adrien Chicot, le contrebassiste Sylvain Romano et le batteur Philippe Soirat — le saxophoniste trame désormais la sonorité de son ténor — qui a gagné en clarté, en assurance — à celle du soprano et aux flûtes, n’hésitant pas, par endroits, à dédoubler sa voix pour aviver les couleurs de son imaginaire. Quant au trompettiste Avishai Cohen, il est, selon les dires du saxophoniste, « l’élément inspirant et perturbateur », adepte de la première prise, qui est venu apporter un caractère de surprise à cet enregistrement chaleureux. Porté par un véritable élan créatif, engagé et lyrique, « Rebirth » marque assurément un jalon essentiel dans le cheminement d’un artiste aussi attachant que passionné dans sa quête de musicien. Avec cette renaissance, le parcours de Samy Thiébault trouve un souffle qui devrait le porter loin.
Rebirth est un album Gaya Music
Samy Thiebault est en concert à Paris au Duc des Lombards les 10, 11 et 12 novembre 2016
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