Concluant le Jazz Festival de La Villette qui me déçoit parfois par sa programmation pas vraiment jazz et un peu racoleuse (parce que l’on pense ainsi pouvoir vendre davantage de billets), le concert de Samara Joy apporta une note d’authenticité et de fraîcheur bienvenue.
Samara Joy c’est d’abord une voix magnifique à la large tessiture dont elle use de façon toujours pertinente, sans effets de manche, mais en ménageant la surprise de montées vertigineuses dans les aigus ou de descentes inattendues dans les graves. Une sorte de dramaturgie vocale, donc, qui maintient l’auditeur dans un climat de suspense et d’expectative. Après tout, n’est-ce pas ça l’improvisation ? Tout peut arriver !
Samara Joy c’est ensuite une chanteuse qui, sans la moindre pulsion passéiste, se place dans la lignée des grandes Sarah Vaughan ou Carmen McRae : une digne cadette de l’immense Dianne Reeves en voie de devenir elle même immense. Et c’est un bonheur d’entendre que cette tradition du chant jazz — aux antipodes de certaines « savonnettes » qu’on nous vend sous l’étiquette « jazz vocal » — est toujours vivace et prolongée par une chanteuse qui est avant tout musicienne.
©Photo Jacques Pauper for Couleurs Jazz (Jazz in Noyon 2022)
Sa version de « Reincarnation of a Love Bird » de Charles Mingus (sur la mélodie duquel elle a écrit des paroles) en fut un témoignage particulièrement convaincant : sens des nuances et des dynamiques, interaction vivace avec une rythmique exemplaire, fibre poétique… Tout y était ! Le « Chega de Saudade » de Tom Jobim, un peu plus tard — chanté en portugais puis en anglais — confirma l’étendue du spectre de la vocaliste qui, loin de tout exotisme, sut imprimer une estampille jazz — et non « jazzy » — à un standard brésilien sans lui faire perdre sa couleur carioca. Le blues trouve évidemment place dans ce répertoire et la chanteuse l’investit de façon très habitée.
Quant aux standards, tels ce superbe « These Foolish Things », elle leur apporte un feeling d’une totale sincérité et les revisite en les magnifiant.
Samara Joy, outre une présence scénique à la fois joviale et bienveillante, sans strass ni paillettes, c’est aussi un art de communiquer avec des musiciens de grand talent, totalement acquis à sa cause et clairement aguerris à l’art de l’accompagnement. Des musiciens auxquels elle laisse de larges places pour s’exprimer en solo.
C’est donc à un formidable concert de jazz mené par une chanteuse hors pair qu’on a pu assister. Et la réaction du public qui eut du mal à laisser partir Samara Joy et ses hommes montre — s’il en était besoin — qu’on peut remplir une salle en programmant un jazz qui revendique son nom sans chercher à ratisser dans les marges d’un style qui est toujours bien vivant.
Musiciens :
- Samara Joy – voix
- Michael Migliore – contrebasse
- Evan Sherman – batterie
- Bastien Brison – piano
©Photo cover Patrick Martineau pour Couleurs Jazz @ Jazz in Noyon 2022
©Photo Header Jacques Pauper pour Couleurs Jazz @ Jazz in Noyon 2022
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