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Le huitième album de la chanteuse de blues Robin McKelle, un hommage aux grandes vocalistes (elle arrange leurs titres-phares), me paraît – paradoxalement – le plus personnel.

Un disque de reprises (Alterations /Membran – Sony). Celui-ci permet à l’Américaine de donner toute la mesure de son feeling. De surcroît, elle revisite brillamment les harmonies. Je frissonne en écoutant sa version du splendide River de Joni Mitchell. Réputée pour la densité des prestations scéniques, pour ses influences avérées (Tina Turner, Nina Simone, Janis Joplin, Ray Charles), la soulwoman cultive un goût proclamé pour la France. Particulièrement pour notre cuisine. En tournée, Robin pointe sur la carte les restaurants des chefs, et s’offre le fin du fin («mon luxe»). Elle me confie : «la première fois que je suis venue à Paris, une chose m’a sidérée. Aux Etats-Unis, le blanc de poulet est roi. Ici, on cuisine aussi les ailes, les cuisses, le cou, le croupion, etc. Les idées fourmillent pour chacun des morceaux. Des mélanges, des sauces. Rien que de traverser un marché permet de rentrer à la maison avec une collecte considérable d’herbes et d’aromates. La cuisinière en moi est montée en gamme en quelques jours».

©Photo Bruno Charavet.

Robin me décrit les choix d’un groupe de musiciens pour une session comme l’assemblage des ingrédients pour un plat : «selon la composition des membres de la formation, le résultat diffère». Sur Alterations, la chanteuse trouve un complice idéal, le guitariste Nir Felder, «fou de cuisine». Royal sur la plupart des morceaux (de musique). Comme Robin, élève de la Berklee School of Music de Boston (le top). Et comme elle, fou de soul, de jazz, et de blues. J’ai demandé à Robin d’illustrer avec un plat chaque titre du CD (interprétés à l’origine par ses influences : sauf le dernier, Head High, qu’elle signe). Son français est parfait. Un disque pour la bonne bouche.

 

  • Back to Black (Amy Winehouse). Le met doit saisir la bouche entière au premier coup de fourchette. Un dessert au chocolat noir, caressant comme un lait de coco, mais avec une tonalité de piment rouge.
  • Rolling in the Deep (Adele). J’adoucis l’harmonie. J’ajoute de l’espace. Le phrasé devient plus léger que l’original. Une soupe aux légumes couronnée d’un croustillant.
  • Don’t Explain (Billie Holiday). Une glace au fruits de la passion traduirait à merveille le désespoir de Billie. Avec le trait acide d’un citron vert.
  • Born to Die (Lana Del Rey). Un bonheur. Le plat préféré de chacun doit lui ressembler. Pour moi, les pâtes Amatriciana aux lardons de ma maman italienne. Accompagnées par un Bordeaux Château St-Emilion.
  • River (Joni Mitchell). Une chanson d’amour, triste. Je vois un poisson. Un saint-pierre (ou une daurade) en croûte de sel. Avec une purée de pommes de terre.
  • No Ordinary Love (Sade Adu). La voix de velours, posée de la Nigériane naturalisée Anglaise. J’y ajoute mon exubérance. Un chocolat mexicain aux fruits confits, doux, très sucré, aux épices.
  • Mercedes Benz (Janis Joplin). Un énorme barbecue. Des grillades au goût de charbon avec trente-six sauces. A s’en mettre plein les doigts. Direct comme un vieux blues. Arrosé d’une bière IPA (américaine), bien entendu.
  • You’ve Got a Friend (Carole King). Une entrée. Tiramisu salé, aux légumes. La mousse de foie gras (deux couches svp), épaisse, s’intercale entre les biscuit de pain d’épices.
  • Jolene (Dolly Parton). Un carré d’agneau garni aux haricots verts, asperges, oignons, avec une tapenade d’olives noires calamata, du parmesan, et un rosé.
  • Head High (Robin McKelle). Pour conclure, ma propre composition! Je forme des voeux pour que la chanson touche le public; qu’il en retienne quelque chose; qu’il en conserve de l’émotion, comme toutes ces chanteuses. Elles m’ont touché si profondément. Je serais flattée de leur avoir emprunté le pas, et que le titre ultime, le mien, comble l’esprit des gens. Comme le palais, que réjouit un verre de Cognac hors d’âge, après le bon repas.

Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

Alterations est un album Membran/SONY

©Photos header et gastronomie, Patrick Martineau, JzzM

Cet article est paru dans le blog de Bruno Pfeiffer « Ça Va Jazzer« 

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