
Le 15 juin 2025, dans l’écrin feutré de la Péniche du Son de la Terre, le trio de Pieternel Van Oers nous propose un instant privilégié oscillant entre le ciel et l’eau, funambule, dans une atmosphère sereine.
Les musiciens nous emmènent en voyage avec des compositions tirées du premier album de la pianiste, Dialogue et des nouveaux titres sortis en format EP Right Before et Unexpected.
L’excellente acoustique du Son de la Terre permet à l’esthétique « ECM » du combo de déployer tous ses contrastes, toutes ses nuances, en même temps que son indicible richesse.
Les compositions interprétées ne consistent pas, comme chez Dave Brubeck, à jouer des structures, des tempos, ou des signatures rythmiques, mais bien plutôt à jouer des intervalles, des tensions harmoniques, du jeu out, pour enrichir la trame de compositions auxquelles on insuffle force et sensibilité.
Le tempérament onirique du trio s’illustre notamment par les longues notes chaudes jouées dans le registre du violoncelle, à l’archet, de Tommaso Montagnani, acteur essentiel de l’album Dialogue.
La batterie de Karl Jannurska est empreinte d’un beau feeling, avec une délicatesse certaine, au fil d’interventions tantôt suggérées, tantôt pleines de détermination sur les toms.
Paradoxe est né des contradictions apparentes entre préservation du monde et croissance humaine, qui sont apparues comme divergentes à la compositrice lors des confinements subis à l’occasion de l’épidémie de COVID.
La Poupée Confinée s’inscrit également dans cette veine, mettant en scène une femme passionnée d’art qui se demande ce qui subsiste à l‘écart de toute vie sociale, par ailleurs propice à un plein approfondissement des interrogations suscitées par la singularité technologique.
Pieternel Van Oers met ainsi en évidence la relation entre ses émotions personnelles et l’univers pris dans son ensemble, perspective singulière et universelle traduite en motifs mélodiques que jalonne une quête de soi et des liens qui nous unissent les uns aux autres.
Il y a dans cette musique une conviction toute simple, riche de développements, l’intuition que le sommet de l’art est aussi celui de l’être, que l’un ne va pas sans l’autre et qu’il s’agit même là de ce qu’on nomme « the purpose of art ».
Unexpected, mélange de fragilité et de force, est, pour ainsi dire, joué pour ainsi dire dans deux versions différentes ce soir, témoignant de l’incidente très forte entre vécu personnel et réalité sensible chez la compositrice.
Avec le roulis régulier de la péniche qui nous abrite, la pulsation rythmique de Floating devient synonyme de monde flottant, entre sensations réelles et émotions transcendantes. Summer Shadow et Valse Bleue nous transforment en aéronautes de l’esprit, établissant une sorte de météorologie spirituelle, évocatrices de renouveau pour l’une, de réjouissances mélancoliques pour l’autre.
Pour ce morceau, l’artiste nous précise qu’il ne s’agit pas d’une valse à trois temps mais bel et bien d’un pouls régulier, qui évoque un envol de colombes, probable hommage à Bill Evans.
Right Before est ici jouée dans une formule dépouillée, intime et sensible, à la façon d’un jazz essentialisé.
Enfin, Dialogue est bel et bien une profession de foi, en sus d’être le titre éponyme du premier album du trio.
Le vocabulaire développé sur East Of The Moon avec Miguel Castro est bel est bien présent lui aussi.
Et l’atmosphère particulière du lieu, ainsi que la lumière du jour, enrichissent cette sensation particulière des personnes présentes qui suivent fascinées le fil des improvisations du trio.
Un beau concert, dont le principe est de ne nous laisser reprendre notre respiration qu’après avoir accédé à un plein sentiment de réconciliation avec le monde.
Musiciens :
Pieternel van Oers : piano & composition,
Tommaso Montagnani : contrebasse
Karl Jannuska : batterie
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