Qui aurait pu imaginer que le troll, personnage de légende de la mythologie nordique, pouvait aimer le jazz ?
Le Oslo Jazz Festival (du 12 au 18 août) a apporté la preuve existentielle de l’amour porté par cette figure mythique à la musique afro-américaine et européenne, version scandinave. Car depuis des décennies, l’école nordique du jazz est bel et bien une réalité – souvent peu lisible en France ! – en Europe et au-delà.
De nos jours, elle se décline en deux classes : les anciens, comme Terje Rypdal, Palle Mikkelbord et Jon Christensen, qui poursuivent leur aventure dans une musique à la fois épurée et méditative – façon son ECM ! – et la jeune génération qui cite volontiers les standards et les grands du jazz US.
Dans cette catégorie, une mention particulière pour le Quintet du tromboniste Kristoffer Kompen qui, dans l’atmosphère d’un super pub (« Herr Nilsen« ), a délivré une musique très inspirée par l’univers de Duke Ellington, au point de faire de nouveaux arrangements classiques à partir des accord originaux du pianiste. Tout en y ajoutant l’audace de la jeunesse !
©Photo Tous droits réservés. Oslo Jazz Festival.
Cependant, face à la déferlante jeunesse, la vieille garde fait de la résistance.
A l’image du guitariste norvégien Terje Rypdal, 71 ans, et du trompettiste/bugliste danois Palle Mikkelborg, 77 ans, réunis au sein d’un groupe baptisé « Conspiracy » (Staale Storloekken, claviers ; Endre Hareide Hallre, basse électrique ; Paal Thowsen, batterie).
D’où il se dégage d’entrée une musique très expérimentale à base de sons électrifiés et électroniques, d’effets d’échos (surtout à la trompette), de rythmes très appuyés et de notes données avec une certaine parcimonie. On retrouve dans ce côté musical à l’approche planante pourtant électro avec des accents d’acid-jazz, et une guitare au bord de la distorsion avec une débauche de sons hyper électrifiés, une forme de fusion méditative si chère à la musique improvisée et lyrique nordique.
Cette atmosphère planante et aérienne, plus calme et plus zen, qui permet à l’esprit de vagabonder dans l’immensité et la beauté unique des fjords norvégiens, s’est incontestablement dégagée d’un super groupe conduit par le vénérable batteur norvégien Jon Christensen, 75 ans.
Entouré de Palle Mikkelbord, du guitariste électrique danois Jacob Bro et du contrebassiste américain Thomas Morgan, le batteur, qui est un des piliers et une des légendes de l’écurie allemande ECM, a offert un « jazz » acoustique épuré, climatique, calme et rêveur (Nasjonal Jazzscene Victoria) dans lequel chaque note, jouée avec économie, est pesée, soupesée, réfléchie, calculée. Rare mais toujours utile et subtile. Ici pas de démonstrations excessives, pas de soli débordants, pas de chorus extatiques. Tout est atmosphérique, aérien, planant voire jouissif. Et quand le leader mime dans l’air son (im)probable solo qui pourrait s’annoncer explosif (?), seule la baguette vient à peine effleurer une cymbale ou un tambour. Une musique originale jouée à l’économie, avec une certaine rigueur (froideur ?), toute nordique mais qui ne laisse pas de glace !
Quelqu’un qui ne laisse nullement indifférent, c’est la chanteuse Sinne Eeg.
D’entrée en interprétant « My Favorite Things » – cette rengaine de Rodgers & Hammerstein écrite pour la comédie musicale de Broadway « La Mélodie du Bonheur » en 1959, magistralement revue et corrigée par John Coltrane – la vocaliste danoise donne le ton de son show et surtout de son répertoire. Ainsi, les standards et les chansons d’amour seront présents. D’autant que, poussée par une très belle voix, placée avec justesse et élégance, Sinne Eeg fait aussi la démonstration de sa passion pour le scat et le swing qui sont ses deux autres qualités magistrales. Le tout avec un naturel évident et soutenue par un trio emmené par son pianiste habituel, Jacob Christofferson. Une grande dame du jazz chanté, dont l’héritage est celui des divas du genre !
©Photo couverture : Stein Hødnebø
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