À Marciac, les journées ensoleillées se poursuivent à bronzer devant la piscine du Camping du Lac ou à savourer de l’armagnac. On croise sur la scène du Off ou parmi les festivaliers, de nombreux musiciens entendus dans les clubs de jazz à Paris, ou ailleurs en France et en Europe.
Le soir, en sortant des concerts, on va écouter les différentes jam sessions tenues dans le village, ou bien on se retrouve au J’GO, bar/restaurant éphémère où ont pris résidence un groupe de cubains sensationnels, qui, tous les soirs, jouent de la salsa sans relâche jusqu’à deux heures du matin et font vibrer les danseurs. Quand tout est finalement fermé dans le village, les insomniaques se retrouvent autour d’un feu, dans les champs qui bordent Marciac, avec boissons, instruments et bonne humeur, et on continue de festoyer jusqu’au petit matin… pour pouvoir tout recommencer.
Après les soirées thématiques Afrique et Brésil, arrive le tour de Cuba qui est mis à l’honneur dans la programmation du Chapiteau. Le pianiste Alfredo Rodriguez et le percussionniste Pedrito Martinez ouvrent le bal le 6 août avec leur inhabituel duo. Cette paire de cubains se montre d’une sympathie et d’une complicité extrêmement contagieuse.
À chaque intervention, ils se font des louanges interminables, ils blaguent, ils rient… il est difficile de dire qui est le plus ravi, entre les spectateurs et les deux amis. Bien qu’ils ne soient que deux sur scène, un énorme travail est effectué dans leur musique sur les nuances et les ambiances…
Leur duo est tour à tour mélancolique, dynamique, gai, nostalgique et enchanteur. Ils sollicitent vigoureusement les auditeurs pour taper des mains ou faire les chœurs, pendant que Pedrito chante les pregones sur “Quizás, quizás, quizás” ou “La comparsa”. « We would like to dedicate this song to all the immigrants in the world » dit Alfredo avant de jouer “Yo volveré”.
Difficile pour les concernés de ne pas avoir la larme à l’œil quand ils entament le refrain : « Yo volveré a mi tierra querida, a mi Cuba otra vez ».
Le concert se clôt sur une note plus joyeuse, avec le hit planétaire de Michael Jackson, “Thriller”, que Quincy Jones leur a suggéré de reprendre. Pedrito vient alors sur le devant de la scène et, toujours enjoué, bon vivant et charismatique, nous dévoile ses talents de danseur, sous les cris enflammés du public. Il retourne ensuite à son instrument et nous éblouit encore davantage, remplissant à lui seul les rôles de percussionniste et de batteur. La salle est extatique, prête à affronter les émotions qui l’attendent pour la suite de la soirée.
Roberto Fonseca assure la deuxième partie avec un projet très spécial. Le pianiste est accompagné de Yandy Martinez à la contrebasse et à la basse, Ruly Herrera à la batterie, Andrés Coayo Batista aux percussions. Des invités de prestige qu’on démasquera par la suite et surtout un orchestre d’élèves des conservatoires d’Occitanie, dirigé par Jean-Pierre Peyrebelle.
55 jeunes montent alors sur scène ! Roberto débarque en costume bleu, coiffé de son inséparable chapeau et donne le départ de la représentation.
On est immédiatement bluffés : le son d’un orchestre superposé à celui d’un quartet jazz est incroyablement impressionnant. Les arrangements sont poignants et dramatiques, souvent même grandioses et grandiloquents.
Roberto fait preuve de beaucoup de classe dans son jeu, laissant de nombreux espaces de respiration. De la main droite il esquisse un solo, de la gauche il danse les violons qui l’accompagnent. Le premier invité intervient assez rapidement. L’exceptionnel Joe Lovano épate l’assemblée par les envolées fougueuses qui émanent de son saxophone.
La deuxième invitée est la chanteuse capverdienne Mayra Andrade, élégante et envoûtante. Ensuite, toujours dans un répertoire afrocubain, le groupe interprète “Dos gardenias”, à la mémoire d’Ibrahim Ferrer, dont Fonseca était le pianiste. La fin est pressentie.
L’orchestre de jeunes se retire et demeure sur scène, uniquement le quartet, lorsque Roberto présente la dernière invitée : Omara Portuondo, la chanteuse historique de Buena Vista Social Club.
À 88 ans, elle a besoin de s’appuyer sur quelqu’un pour se déplacer. Mais instantanément, elle vole la vedette à ceux qui l’entourent. Vêtue d’un rose pétant, avec un énorme nœud de même couleur sur la tête, elle semble comblée par le simple fait d’être sur scène.
Infatigable, elle enchaîne “Veinte años”, “Lágrimas negras” et “Bésame mucho”.
Avec Omara, quand il n’y en a plus, il y en a encore !
À chaque fois qu’un morceau se termine, elle relance la chanson, une fois, deux fois, trois fois, au grand étonnement et amusement des musiciens, qui la suivent dans son enthousiasme, et du public, qui s’est attroupé debout devant la scène pour danser et chanter avec elle. On est obligés de la sortir de scène au cours d’un morceau, vu qu’elle refuse d’en finir aucun ! Elle s’en va, …toujours en chantant et en adressant des sourires rayonnants à ses admirateurs. Puis très rapidement, elle échappe à la surveillance de son chaperon et revient faire la fête sur scène, près des coulisses. Une fois Omara partie cette fois pour de bon, le concert n’est toujours pas terminé !
Roberto revient avec son quartet pour un morceau, puis en joue un dernier en solo, ayant ainsi dépassé son créneau d’une heure et demie, comme tout bon latino-américain se doit de le faire.
La dernière soirée de votre envoyée Couleurs Jazz à Jazz in Marciac débute avec le trompettiste Christian Scott, entouré de Logan Richardson au saxophone alto, Lawrence Field au piano, Max Mucha à la contrebasse, Corey Fonville à la batterie, Weedie Braimah aux percussions, ainsi que deux percussionnistes supplémentaires : les cubains du J’GO, rencontrés deux heures auparavant ! À les entendre jouer, ils donnent l’impression qu’ils font tous partie d’une même famille !
Ils se dévouent à la musique et avancent ensemble vers leur objectif commun : la création d’un son qui vaut la peine. Le titre de l’album qu’ils présentent, Ancestral Recall, illustre parfaitement l’effet que nous fait leur musique : le Chapiteau est tout entier pris dans la transe, enveloppé dans le groove que dégage la scène. Au lieu de morceaux avec une mélodie et une harmonie déterminée, nous assistons plutôt au cheminement de différentes couches de matière sonore entremêlées, sur lesquelles viennent se poser des soli. Christian Scott aTunde Adjuah explique, par ailleurs, que cet album lui est inspiré par son grand-père, Chef de quatre différentes tribus noir-indiennes aux États-Unis. Christian est devenu Chef à son tour en 2018. Peu avant la fin, il délivre à la foule son credo : ce qui nous sépare n’est rien à côté de ce qui nous réunit.
Puis, la soirée se poursuit avec le trio d’Avishai Cohen, grand habitué du festival. Il présente son album Arvoles, dont la chanson éponyme est une berceuse ladino que lui chantait sa mère. Il est accompagné au piano d’Elchin Shirinov, étoile montante du jazz azéri, et Noam David à la contrebasse.
Ensemble, les trois musiciens ont un jeu sophistiqué et symbiotique. Par moments, contrebasse et piano exécutent les mélodies à l’unisson, d’autres fois ils jouent des mélodies parallèles et honorent l’art du contrepoint.
Avishai se distingue par son jeu viscéral. Il semble fusionner avec son instrument et l’utilise tout entier dans ses fonctions les plus organiques, en tant que percussion ou à l’archet… Ses lignes de basse et ses soli sont intelligibles, limpides, très mélodiques. Il nous offre les clés de compréhension de sa langue.
À la fin du concert, lors du rappel, Avishai revient seul sur scène et se saisit de sa contrebasse et du micro. Le timbre chaud de sa voix se mélange au chant de sa contrebasse à l’archet, comme une double plainte, lorsque qu’il entonne “Motherless Child” puis “Alfonsina y el Mar”. Marciac est heureux d’avoir retrouvé son Avishai.
Ici prend fin notre récit, mais Marciac continue ! Le lendemain, l’activité reprendra à l’Astrada, où les concerts avaient été suspendus le temps de notre séjour. Au Chapiteau, ils écouteront le phénoménal Kenny Barron. Jusqu’au 11 août, l’agitation continuera de régner sur le petit village gascon avec son lot de rencontres, de rigolades et de musiques.
©All Photos Laurent Sabathé
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