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Actualité

My Sound of Music

Couleurs Jazz a interviewé Bruno de Chénerilles, musicien, professeur, ingénieur du son, passionné de nouvelles technologies.

Couleurs Jazz – Quel est votre métier exactement ?

Bruno de ChénerillesJe suis musicien : compositeur et improvisateur. Mes racines musicales sont le blues, le funk, le jazz et toutes les musiques noires. C’est bizarrement la musique improvisée qui m’a amenée à la musique électroacoustique, concrète et électronique.

Je suis également ingénieur du son et pédagogue. Depuis plus de 20 ans, je pratique et j’enseigne les nouvelles technologies du son et de la musique. Et j’expérimente depuis plusieurs années les nouvelles ressources apportées par les tablettes et les smartphones sur le terrain de l’éducation musicale, notamment avec les enfants des quartiers défavorisés.

On pourrait croire que j’ai plusieurs métiers, mais pour moi tout est lié et c’est bien plus que çà : une même passion pour le son et la musique que j’exerce sur plusieurs terrains.

– Qu’entend-on par nouvelles technologies du son et de la musique ?

Pour moi, c’est une longue histoire. De tout temps la musique a donné lieu à une quantité incroyable d’innovations techniques, de lutheries extraordinaires, sophistiquées. Que ce soient par exemple des flutes en bambou ou des synthétiseurs, ces instruments de musique sont des dispositifs qui permettent de produire des sons et de jouer avec eux.

Mais au tournant du XIXème et du XXème siècles, la révolution électronique apporte une nouveauté absolue : on peut dorénavant transmettre des sons à distance ou les enregistrer. Et c’est ce qui introduit une nouvelle ère tant dans la manière de diffuser la musique, que dans celle de l’écouter.

Mais ça va déboucher aussi sur des nouveaux moyens de création sonore et musicale qui vont participer à l’éclosion de nouvelles musiques expérimentales et populaires.

Et à l’aube du XXIème siècle, le numérique nous permet de faire un nouveau pas : mettre à la disposition de quasiment tout le monde des moyens sophistiqués de jouer avec les sons de manière ludique et intuitive, par exemple avec les tablettes tactiles et les smartphones.

 

– Si la pratique de la musique, d’un instrument s’apprend et demande beaucoup de travail, l’écoute musicale s’enseigne-t-elle ? Est-ce une fonction naturelle ?

Il n’y a pas d’un côté les gens qui jouent la musique et de l’autre ceux qui l’écoutent. Ce n’est pas si simple.

D’une part, l’écoute musicale est sans doute la chose la plus importante dans la pratique de la musique. Je pose souvent cette question aux enfants ou aux musiciens débutants :

– Quelle est la chose la plus importante qu’un musicien doit savoir faire ?

Et bien contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est ni savoir lire la musique, l’écrire, jouer d’un instrument etc …. Mais c’est bel et bien savoir écouter. Car l’outil principal du musicien ce n’est pas son instrument, mais c’est son oreille.

Et bien sûr ça se travaille, c’est même un long travail, un travail de fond pour le musicien.

Mais d’un autre côté, ce qui réunit celui qui produit des sons et son audience, c’est aussi l’écoute. Et les neurosciences nous prouvent aujourd’hui que dans notre cerveau, il se passe quasiment la même chose lorsque nous écoutons la musique, quelle qu’elle soit, les sons … que dans le cerveau du musicien qui la joue. L’imagerie cérébrale vient de nous le prouver tout récemment.

Alors pour répondre à la question, je dirai bien que oui : c’est une fonction naturelle, mais il nous faut la cultiver.

et c’est là que nous avons un gros problème : rien dans notre éducation scolaire ne le permet. Au contraire, on nous en écarte de manière inconsidérée. Aucune place ou presque pour la musique à l’école, aucune éducation à l’écoute en général.

– Peut-on et surtout faut-il comprendre la musique pour l’apprécier ?

Sans hésiter, je réponds non ! Il n’y a rien à comprendre dans la musique. La musique provoque des sensations, du plaisir et des émotions. C’est sa force, c’est la force de n’importe quelle création artistique, d’ailleurs.

La plupart du temps, les gens qui disent ne pas comprendre telle ou telle musique ont inconsciemment un refus intellectuel, social ou culturel, un barrage construit par le conditionnement de l’éducation ou de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent.

Dans mon travail éducatif, je constate tous les jours que ces barrages sont très faciles à lever si on prend la peine justement de créer des conditions, des situations véritables d’écoute.

Et c’est la chose la plus importante pour moi : c’est ce que je considère comme une mission de transmission, la raison d’être de mon métier de musicien.

– Les mélomanes sont passionnés de musique, d’un seul comme de plusieurs genres de musiques. Les audiophiles s’intéressent davantage, aux technologies du rendu du son. En général ils sont passionnés par la qualité des enregistrements, comme par le rendu du son. Les appareils (la HiFi en particulier) jouent un grand rôle. Ces deux mondes sont ils perméables ?

L’audiophilie m’a toujours parue très étrange. C’est à la fois une passion excessive pour le son, pour le plaisir du son, mais c’est aussi une perversion. Ca n’a pas grand chose à voir avec la musique, au fond. Mais je trouve que toutes les passions sont respectables.

Et d’un autre côté, je ne conçois pas de faire passer le son avant la musique. La musique c’est du son, après tout.

On pourrait voir ça sous un autre angle : Asseyons nous dans une forêt et écoutons le chant des oiseaux, le souffle du vent dans les feuilles des arbres, les cris des animaux. N’est ce pas déjà de la musique ? N’éprouvons-nous pas de plaisir à écouter les sons de la nature ? Et ce n’est qu’un exemple de plaisir du son, de plaisir de l’écoute. Mais je ne sais pas si ça peut intéresser un audiophile … Et pourtant ça devrait.

– Peut-on être mélomane et ne pas se passionner pour les technologies du son ?

Tout est possible. J’imagine très bien quelqu’un qui refuserait d’utiliser les technologies du son et qui n’écouterait que de la musique live. Mais là aussi même s’il n’écoute qu’un musicien qui joue en direct sur une flute en bambou, il a affaire à une technologie sonore, celle de la flute en bambou qui est un dispositif technologique qui permet de produire des sons. Qu’on le veuille ou non.

Ce que je veux dire c’est que tout le monde est passionné par les technologies sonores, non ? Depuis le musicien électronique jusqu’au gamin qui écoute des mp3 sur son smartphone, en passant par le passionné exclusif de musique classique … L’orchestre symphonique est une formidable machine à produire du son.

– Le Jazz présente-t’il d’après vous des spécificités ? par rapport à la musique électronique, par exemple?

Oui, bien sûr. Je suis un autodidacte de la musique qui a puisé sa motivation, son inspiration et sa passion dans presque toutes les formes de musique. Ce que m’a apporté le jazz, c’est le feeling, l’intensité, le swing (tension-détente : j’en ai fait personnellement un de mes  principes essentiels de composition), le groove, la création instantanée et le travail sonore sur l’instrument. Ca fait beaucoup de choses.

Ce sont des spécificités, mais pour ma part j’ai appliqué çà aussi à mon travail de création sonore, électroacoustique et électronique.

Et par ailleurs ou plutôt pour les mêmes raisons, j’apprécie beaucoup en ce moment la nouvelle vague des jeunes musiciens noir-américains qui cultivent toutes leurs racines jazz, hip hop, électroniques sans se censurer. Par exemple Kamasi Washington ou encore Kendrick Lamar, etc …

Ca revient aussi à dire que pour moi le jazz, la musique électronique sont des termes génériques qui n’ont plus beaucoup de sens. De nos jours on peut jouer du jazz avec des instruments électroniques. A ce titre, Sun Ra est un immense précurseur de l’afro-futurisme revendiqué actuellement par bon nombre d’artistes noirs d’Amérique ou d’Afrique. Fela Ransome Cuti en est aussi un monument primordial .

 

Bruno de Chénerilles est musicien, compositeur et formateur-expert en nouvelles technologies du son et de la musique.

Vous pouvez lire ses articles, voir ses vidéos, écouter ses podcasts sur son blog Plan Sonore où il propose également des formations aux nouvelles technologies pour les musiciens, les formateurs et les web-entrepreneurs.

 

 

 

 

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