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Le célèbre saxophoniste Russe Igor Butman, accompagné  de son Big Band, le Moscow Jazz Orchestra fêtait son 60ème anniversaire dans l’enceinte du Kremlin de Moscou et en profitait pour inviter son ami Winton Marsalis qui monta sur scène avec son propre Big Band, le Jazz at Lincoln Center Orchestra. Les deux hommes fêtaient leur 60ème anniversaire.  L’événement eut lieu le 27 octobre 2021, dans l’immense salle (6 000* places assises) du State Kremlin Palace.

Ce jubilatoire et mega concert de jazz fut un moment rare et exceptionnel pour plusieurs raisons :

  • Malgré le contexte Covid que le monde entier connait, l’événement put avoir lieu le jour même de l’anniversaire d’Igor Butman et 9 jours après celui de Winton Marsalis, né le 18 octobre 1961.

…Le lendemain, le 28 octobre, Moscou reconfinait pour cause de pandémie à nouveau galopante, sa population de plus de 65 ans et annulait toutes les manifestations culturelles.

  • Réunir sur une même scène, aussi large et profonde fut-elle, deux big Bands, au grand complet, l’un américain, l’autre russe, est une autre gageure riche de symboles qui s’inscrivent parfaitement au sein même des valeurs que défend le jazz : liberté, tolérance, respect et écoute de l’autre.

A ce propos, en conférence de Presse avant le concert, Igor Butman nous rappela l’histoire du Jazz en Russie – qui certes connut un développement plus chaotique que celui des Etats-Unis mais apparut il y a également une centaine d’années, en 1922.

Pourquoi le jazz fut-il populaire dès ses débuts en Union Soviétique ? Sans doute parce qu’il est né également de l’esclavage que connut le peuple Russe, les moujiks en particulier. L’esclavage ne fut pas, hélas, une exclusivité des peuples Africains enchaînés dans les champs de coton des Etats-Unis d’Amérique comme dans tout le continent Américain. D’autres formes d’esclavage existaient dans les grandes plaines de Russie, comme ailleurs dans le monde et aboutirent à la révolution de 1917 que nous connaissons.

La suite de l’Histoire nous montre que les peuples de ces deux grands pays élirent plus tard Monsieur Trump et Monsieur Poutine… C’est étonnant, mais c’est une autre histoire.

Le Jazz en Russie connut des hauts et des bas, mais le peuple Russe, passionné de toutes les  musiques populaires et savantes ne pouvait ignorer cette musique hallucinante, même si il l’observa parfois avec méfiance :

« Celui qui aime le Jazz, bientôt trahit sa patrie »: Andreï Jdanov, ministre de la Culture de Staline

En résumé, si le jazz fut parfois mis au ban par l’administration, ce n’est pas à cause de son esthétique, mais des symboles du  monde occidental honni en URSS.

Aujourd’hui, le Jazz en Russie est en plein développement. Igor Butman en est incontestablement la figure de proue. L’homme extrêmement actif, possède deux clubs de jazz au sein même de la capitale Russe, ainsi qu’une académie de Jazz.

Soutenir les jeunes artistes est très important pour Butman : « Notre école de musique est jeune, mais il y a beaucoup de passion dans notre jazz, déclare -t’il. Notre fondation est une puissante armée de musiciens classiques et nous avons une école académique très forte.

Pour rappel, non seulement remarqué très tôt par Winton Marsalis, Igor Butman réputé comme étant le meilleur de sa génération fut adoubé par Barak Obama qui s’y connait en Jazz et qui déclara qu’Igor Butman était le plus grand saxophoniste actuel. Grandi en Union soviétique, il partit aux États-Unis en 1987 où il étudia au Berklee College of Music. En 1993, de retour en Russie il se transforme  en Jazz Bridge entre Moscou et New York, jouant en Russie avec les plus grandes figures du jazz américain : Eddie Gomez, Lenny White, John Abercrombie ou Joe Lock.

Il organise de nombreux festivals de jazz qui se tiennent annuellement en Russie. Parmi eux figurent, le Triumph of Jazz à Moscou et Saint-Pétersbourg, Aquajazz à Sotchi, Skolkovo Jazz

Lors de l’interview qu’il consacre juste avant le concert aux six journalistes Européens présents lors de cette manifestation d’exception et dont Couleurs Jazz Media représente la France, il nous confie : lors de ce concert nous jouerons de grands compositeurs Russses comme Chostakovitch, de grands compositeurs américains comme Duke Ellington, Billy Strayhorn, … le tout dans un même lieu. Et vous verrez que dans tous les cas, ça swingue ! On s’est arrangés avec Winton pour que les deux big bands se renvoient la balle, se partagent toutes ces musiques. Nous profitons de l’opportunité que le Jazz at Lincoln Center Orchestra soit en ce moment en tournée. Aussi il jouera quelques-unes de ses récentes compositions. Puis après l’entracte, nous rendrons hommage, chacun des big bands à son tour, à l’esclavage que nos deux peuples ont connu. Nous avons tous des chansons traditionnelles que nous interprèterons à cette occasion. Nous jouerons « Work Song – Volga Boatmen »

Après cette conférence de presse, nous profitons de notre guide pour faire quelques pas dans le Kremlin, fermé à cette heure au public, avant l’ouverture des portes du du grand State Kremlin Palace. Tous les 100 mètre un gardien en arme nous demande nos laisser-passés, nos passeports à la page « visa », nos tests PCR made in Russia (les tests PCR européens, comme les vaccins américains ou anglais n’ont ici aucune valeur). Finalement un gardien plus zélé nous intime l’ordre de cesser immédiatement notre visite touristique. Le Parti Communiste a disparu, mais pas la bureaucratie absconse qui décidément demeure.

©Photo Couleurs jazz

Nous avons ainsi le temps d’observer la taille monumentale du bâtiment construit sous Nikita Khrouchtchevavant de pénétrer dans le vaste hall et de prendre place dans de confortables et larges fauteuils.

Quand le rideau se lève, les deux big-bands apparaissent, le Moscow Jazz Orchestra à gauche, le Jazz at Lincoln Center Orchestra à droite. Légèrement en avant de la scène Igor Butman, dirige principalement sonBig Band et parfois lance des invitations au Jazz at Lincoln Center Orchetra. Winton Marsalis, comme à son habitude, est en retrait au dernier rang de son Big Band, parmi la section des trompettes.

Parfois les deux orchestres conversent en groupe, parfois les solistes se répondent d’Est en Ouest ou vice et versa. C’est fascinant !

Le concert commence par une reprise de la 7ème Symphonie de Chostakovitch sous la direction d’Igor Butman. Les arrangements soignés sont signés Nick Leninovsky. Les deux orchestres jouent à l’unisson et les courts chorus alternent de l’un à l’autre des Big Bands. Puis les morceaux s’enchainent, joués alternativement par l’une ou l’autre des formations sous le regard attentif de l’orchestre « adverse ». Adverseétant un qualificatif très mal adapté, tant l’amicale rivalité lors de cette soirée, est une invitation à l’écoute de l’autre. Un chorus du jeune guitariste Russe Evgeny Pobozhiy qui n’a pas d’alter ego côté américain ce soir là, nous séduit particulièrement. Nous regretterons qu’on ne lui offre pas davantage d’opportunités d’exprimer tout son talent. Côté Lincoln Center Orchestra, c’est le chorus du saxophoniste baryton et clarinette basse Paul Nedzela qui laisse la salle bouche bée.

À noter, l’acoustique exceptionnelle. Chapeau bas aux ingénieurs du son qui font un travail remarquable.

Après ce premier morceau c’est une festival d’improvisations autour du thème « Blood in the Fields » par l’orchestre de Marsalis sous les regards attentifs de tous les musiciens du Moscow Jazz Orchestra.

Puis les morceaux s’enchaînent interprétés en alternance par les deux Big Bands qui ainsi se répondent. « Here is She Young Beauty » d’un côté, “Concerto For Joe” de l’autre

A chaque changement, il est intéressant de constater que les musiciens qui ne jouent pas tournent leurs regards ou parfois même leurs corps en direction de l’autre orchestre, arborant le plus souvent un large sourire, accompagnant les chorus d’un hochement de tête approbatif ou admiratif de connaisseurs.

C’est comme si deux équipes sportives regardaient jouer l’équipe adverse, dribblant, s’envoyant la balle et applaudissaent la performance.

Le premier set se termine sur un splendide « Baby I Love You »  (Musique de Wynton Marsalis, paroles de Bobby McFerrin, arrangement de Nikolai Levinovsky) – Oleg Akkuratov, Igor Butman et l’Orchestre de jazz de Moscou

L’entracte permet de monter tous les étages de ce gigantesque bâtiment et d’admirer à travers les larges baies vitrées, le Kremlin la nuit…Spectacle dans le spectacle.

©Photo Couleurs Jazz

Le deuxième set commence par ce profond « Work Song », sur une musique de Nikolai Levinovsky) – Igor Butman et le Moscow Jazz Orchestra, Jazz at Lincoln Center Orchestra avec Wynton Marsalis où les orchestres se répondent à nouveau.

Plusieurs stars de la pop et du rock, crooners chanteuses sont invités à participer à la fête d’anniversaire d’Igor Butman, parmi lesquelles Fantine, à qui nous avons donné le nom de « Black Russian » née d’une mère Portoricaine à Moscow, Sergey Mazaev et Valeri Syutkin des rock stars très connue du public Moscovite à en juger par les smartphones qui se lèvent pour capturer quelques images.

A noter également l’intervention spectaculaire d’Oleg Akkuratov, le formidable et inspiré pianiste du Moscow Jazz Orchestra, qui possède une voix et autant de talent pour le chant que pour son clavier.

Il entonne soudain un « Baby I Love You » qui se transforme rapidement en « Joyeux anniversaire Igor! » ça sonne comme un Happy Birthday mais c’est en fait une composition de Wynton Marsalis qu’il reprend à la trompette et le tout part en joyeuse improi entre amis !

A cette occasion le frère d’Igor, Oleg Butman, les rejoint à la batterie.

Puis on assiste à des « Drum Battles », des Sax Battles, des trombones et des trompettes  battles individuelles entre les deux orchestres.

Le seul gagnant c’est le Jazz !

Un concert XXL d’exception dans un lieu rare.

Félicitations aux musiciens des deux équipes, aux techniciens, à nos guides Anna et Arlette.

Après une telle expérience, on en vient à rêver d’un monde meilleur où toutes les armées du monde seraient remplacées par des Big Bands de Jazz.

Personnel du Moscow Jazz Orchestra :

Igor Butman, saxophones tenor, alto et soprano

Daniil Nikitin, saxophone tenor

Anton Chekurov, saxophone alto

Ilya Morozov, saxophone alto

Aleksandr Dovgopolyi, saxophone baryton

Pavel Ovchinnikov, trombone

Sergei Dolzhenkov, trombone

Oleg Borodin, trombone

Nikolai Shevnin, trombone basse

Aleksandr Berenson, trompette

Pavel Zhulin, trompette

Ivan Akatov, trompette

Dmitry Zinakov, trompette

Evgeny Pobozhiy, guitare

Artem Baskakov, contrebasse

Eduard Zizak, batterie

Oleg Akkuratov, piano, voix

Evgenii Potsikaylik, soundman

Personnel du Jazz at Lincoln Center Orchestra.

Wynton Marsalis, Music Director, Trumpet

Ryan Kisor, Trumpet

Kenny Rampton, Trumpet

Marcus Printup, Trumpet

Chris Crenshaw, Trombone

Vincent Gardner, Trombone

Elliot Mason, Trombone

Walter Blanding, Tenor and Soprano Saxophones, Clarinet

Sherman Irby, Alto and Soprano Saxophones, Flute, Clarinet

Alexa Tarantino, Alto and Soprano Saxophones, Flute, Clarinet

Victor Goines, Tenor and Soprano Saxophones, Clarinet, Bass Clarinet

Paul Nedzela, Baritone and Soprano Saxophones, Bass Clarinet

Dan Nimmer, Piano

Carlos Henriquez, Bass

Obed Calvaire, drums

©Photo Couleurs Jazz

(*) En comparaison Le Grand auditorium du  Palais des Congrès de Paris compte 3700 places…

Sauf notification contraire, toutes les ©photos sont l’oeuvre du pool de photographes officiels accrédités que nous remercions ici.

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