
Voilà 30 ans, non plutôt 40 ans et trente éditions, que le guitariste Louis Martinez nous partage sa passion du jazz en invitant sur une des plus belles scènes de la Méditerranée les musiciens de jazz qu’il aime ou qu’il découvre.
De Ray Charles à Brad Mehldau, de Didi Bridgewater à Melody Gardot, de Paco de Lucia à Sylvain Luc, de Michael Brecker à Léon Phal, de Richard Bonna à Marcus Miller, Louis Martinez est l’auteur d’une saga musicale unique. Comme chaque musicien a son propre son, le festival Jazz à Sète a également le sien, gage de pérennité, de qualité et d’un public fidèle qui lui permet de jouer des concerts à guichets fermés parfois plusieurs mois avant l’ouverture.
Bien sûr Jazz à Sète c’est aussi le Théâtre de la Mer Jean Villar qui, fièrement lové au pied du mont Saint-Clair, surplombe la Méditerranée. Et si les afficionados de musique classique rêvent de vivre un concert au festival de Ravello dont la scène à ciel ouvert plonge dans les eaux de la côte amalfitaine, nombreux sont les fans de jazz qui viennent à Sète aussi pour sa scène exceptionnelle qui semble surfer sur les eaux azuréennes.
Cette année, Jazz à Sète a accueilli dans le IN, Marcus Miller, Richard Bonna Quintet, Christian Sands, Avishai Cohen Trio, China Moses, John Scofield, Madealein Peyroux, El comité, Louis Matute, Electro Deluxe. Et « Hors les murs » Jî Drû, Reflet Quartet, DjagDja Trio, Wet enought !?, Highway, Full Tags et Collectif Orchestré.
Le festival s’est ouvert avec une soirée hommage au guitariste Sylvain Luc, habitué des lieux, qui nous a quitté le 14 mars de l’année dernière. Un concentré d’émotion autour de Thomas Dutronc, China Moses, Biréli Lagrène, Olivier Ker Ourio, Stéphane Belmondo, André Ceccarelli, Thierry Elliez, Marylise Florid, Paul Lay, Lionel Suarez, Louis Winsberg, Gérard Luc et Rémi Vignolo.

La soirée du 18 juillet accueillait pour la première fois Christian Sands que Louis Martinez a découvert à New York l’hiver dernier.
Impressionné par la virtuosité et la qualité musicale du jeune pianiste de 36 ans originaire du Connecticut, il l’a invité cet été avec à ses côtés Jonathon S. Muir Cotton à la basse et Tyson Jackson à la batterie. Un trio de trentenaires qui, dès le premier titre Never Too Much chauffe s’il en était besoin le Théâtre de la Mer au grès de 4/4 funky endiablés.
Et si Christian Sands nous annonce que c’est la première fois qu’ils jouent ensemble, nous avons du mal à y croire à l’écoute de leur complicité immédiatement affichée.
Sur le titre MCC que Christian Sands a écrit en souvenir de sa maman et de ses fameux cookies, les longs solos libres de la basse et de la batterie s’égrènent sur les accords d’un piano minimaliste et le trio s’installe avec bonheur dans la lignée plus beaux trios de jazz piano-basse-batterie.
Bill Evans, Scott LaFaro et Paul Motian doivent être fiers d’entendre les échos de la relève. Christian Sands est heureux de rendre hommage à ses maîtres.
Avec la très jolie valse Sanddune écrite pour Christian McBride. Mais aussi avec la balade Strange meadow Lark composée à la mémoire de Dave Brubeck et qui débute avec la bande son d’une nuée d’oiseaux qui semble envahir le ciel du Théâtre de la Mer.
Nominé cinq fois aux Grammy Awards, Christian Sands termine ce concert par le titre de son dernier album Embracing Dawn, sorti chez Mack Avenue Records. Il sera salué par la traditionnelle standing ovation du public de Sète, tombé sous le charme.

La nuit a recouvert le théâtre et la lune a du mal à percer une fine couche de nuages côté jardin.
L’avant-scène est comble de spectateurs venus accueillir pour la cinquième fois à Sète Avishai Cohen. Entouré depuis le Festival Jazz in Marciac 2024 d’Itay Simhovich au piano et d’Eviatar Slivnik à la batterie, le contrebassiste israélien nous propose un concert bien sage et le public ne s’y trompe pas.
Il espère une surprise au détour d’une mélodie. Il faudra attendre le cinquième titre Four verses/Continuation pour que les téléphones bravent l’interdiction de filmer et s’allument pour capter un solo subtil et délicat chargé d’émotions qui glisse sur sa contrebasse.
Mais c’est à partir du Face me qui clôture le concert qu’Avishai Cohen sort des sentiers battus et nous offre son inventivité rythmique et mélodique. Parfois le succès d’un concert se fait dans ses rappels et c’est le cas ce soir.
Revenu sur scène au chant avec la mélodie Avre tu puerta cerrada que lui chantait sa mère, le contrebassiste et ses talentueux accompagnateurs enflamment le Théâtre de la Mer jusqu’à la reprise en improvisations audacieuses de Summertime. Que c’est beau la musique la nuit !

La soirée du 19 est prometteuse. Louis Martinez qui avait déjà invité le saxophoniste ténor Leon Phal, était heureux de le retrouver dans le sextet du guitariste helvétique Louis Matute Large Ensemble « qui joue avec le cœur ».
Dès le premier titre Renaissance le public est conquis. Un premier solo de piano très dynamique d’Andrew Audiger et un solo de guitare finement ciselé aux accents latins de Louis Matute mettent en mouvement les 1600 spectateurs présents.
Puis c’est au tour de la trompette de Zacharie Ksyk de nous faire planer avec Narcissus dans la réverbération du Théâtre de la Mer.
Avec la nonchalance de leurs âges, ces tout juste trentenaires risquent tout sur 2000 years.
Ils jouent tous avec une étonnante facilité et s’ils se sont tous rencontrés à la Haute École de Musique (HEMU) de Lausanne, on entend bien la maturité acquise avec déjà trois albums à leur actif.
Santa Manta et Dolce Vita annoncent la sortie du quatrième album de ces six jeunes talents du jazz actuel en janvier prochain.
On sera à l’écoute. Pour l’instant, ils sont tellement heureux d’être à Sète pour la première fois qu’ils profitent des solos de leurs camarades pour faire le tour de la scène en filmant avec leur téléphone.
Leon Phal nous fait un magnifique travelling rotatif autour du solo de Nathan Vandenbulcke à la batterie, et Zacharie Ksyk se glisse aux côtés de Virgile Rosselet à la contrebasse pour immortaliser le coucher de soleil à l’arrière scène.
Ils se sont amusés. Ils nous ont amusés.
On a aimé. Jazz à Sète, c’est aussi ce bonheur et cette simplicité devenue trop rare sur scène comme côté public. A préserver.

La nuit a enveloppé le Théâtre de la Mer dans son écrin d’étoiles pour accueillir pour la cinquième fois à Sète Marcus Miller.
Le début du concert se fait presque timide. C’est l’émotion. L’émotion que le contrebassiste-clarinettiste de 66 ans porte et veut faire partager depuis de années pour notre plus grand bonheur.
L’émotion acquise auprès de ses aînés légendaires à qui il ne manque jamais de rendre hommage. Dès Catémbe composé pour Miles Davis, il nous plonge dans les souvenirs du jeune contrebassiste qui produit le chef-d’œuvre Tutu pour le trompettiste culte en 1986.
Émotion facétieuse quand il évoque la composition pour sa belle-mère de Sublimity ‘Bunny’s Dream’ en souvenir des lapins qu’elle voyait courir enfant dans le jardin de son père missionnaire en Afrique du sud.
Et c’est dans un dialogue fluide et élégant entre sa basse et le saxophone alto de Donald Hayes que Marcus Miller évoque toute la tendresse qu’il avait pour sa belle-mère qui nous a quitté il y a 6 ans.
Émotion fraternelle quand il joue les premières notes de Mr. Pastorius, ce titre « pour Jaco, joué par Miles et composé par Marcus Miller ».
Entouré de Xavier Gordon aux claviers, de Russell Gunn à la trompette d’Anwar Marshall à la batterie, le saxophone alto de Donald Hayes nous offre un moment suspendu à la basse raffinée de Marcus Miller.
Miles semble sortir des eaux méditerranéennes pour nous écouter. Émotion d’un autre âge quand Marcus Miller témoigne de son voyage à Gorée qui donnera naissance au sublime titre éponyme.
Un titre qui rend hommage « à tous ceux qui ont enduré la faim, le désespoir et la tristesse il y a des siècles dans leur voyage sans espoir, et qui rend hommage aussi à ceux qui traversent les mers encore aujourd’hui … ».
Le son de la clarinette basse de Marcus Miller nous met en communion.
Pour terminer, c’est l’émotion de l’apothéose de trente ans de carrière qui va réunir tous les spectateurs de Sète désormais debout pour applaudir un medley de succès dont Tutu et So What. Magnifique !
Louis Martinez, qui cherche toujours la qualité et l’excellence dans sa programmation, a une nouvelle fois atteint son but.
Merci à lui de faire vivre toutes les couleurs et toutes les générations du jazz.
Gageons qu’un jour, il ait les moyens de nous offrir, comme à Ravello, un concert de jazz au lever du jour. Et même à 4 heures du matin nous seront présents 😉
© photos Christian Cascio et Tifenn Cloarec


















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