Skip to main content
Actualité

Jacky Berroyer – Parlons peu, parlons de moi…

Par 18 juillet 2017Aucun commentaire

… Ne dites à personne que j’en parle à tout le monde.

Gageons que d’ici la fin de ce siècle, le verbe pronominal « Se berroyer » aura rejoint le Larousse. Déf : parler de soi avec une tendresse rosse, un cynisme feint, un certain narcissisme tout en faisant souvent référence à la musique (la bonne). Mot d’origine champenoise, apparu au sortir de la seconde guerre mondiale, bien qu’il n’y ait aucun rapport, ni cause à effet.

Jacky Berroyer, homme de télé et de radio est aussi chroniqueur, et écrivain touche à tout qui parle de lui, pour mieux aimer les autres.

Reprenons ici quelques extraits de ses chroniques rassemblées dans l’ouvrage paru aux éditions « Le Dilettante » le 8 mars 2017. Beaucoup d’entre elles ont pour origine « Vibrations » la revue Suisse, trop tôt disparue.

Voici quelques extraits, les plus Jazz, pour vous donner envie de lire Jacky Berroyer, ce tendre et cocasse Narcisse, puis d’écouter les musiciens qu’il aime. L’homme est fin mélomane.

« Tout est dit sur la musique, y compris qu’il n’y a rien à en dire, puisqu’elle parle d’elle même et par elle même, tout le monde sait cela. Voilà pourquoi je préfère parler de moi. Enfin, je ne sais pas qui des deux a copié l’autre. Il est possible qu’un jour quelqu’un ait dit à la musique « Pourquoi tu ne parlerais pas de toi ? Berroyer le fait bien. » La musique parle d’elle même. Néanmoins, on ne peut s’empêcher d’en parler. La vérité, c’est qu’il n’y a pas à dire qu’il n’y a rien à en dire, mais qu’on peut tout de même le dire si ça nous chante. La vérité ? Suffit de me demander.

Dans Jazz Hot, un musicien dit qu’il y a de la bonne et de la mauvaise musique. Ça non plus, ce n’est pas nouveau. Le journaliste lui demande : Alors c’est quoi la mauvaise musique ? Il finit par dire, le heavy metal. On s’attendait à ce qu’il dise : « celle qui est mal jouée ».

Lors d’un entretien, un journaliste de jazz demande à Monk quel genre de musique il aime. Monk répond :

  • Toutes les musiques.
  • Est-ce que vous aimez la country music ?

Monk pour lui-même : « ce type est sourd ».

En fait, une musique dite pauvre, donnez-la à Charlie Parker, vous allez voir ce que vous allez entendre…

—===—

J.C., je vais vous le dire, ce n’est pas Jésus-Christ mais John Coltrane. Ce qui pour certains revient presque au même…

Grant Green qui eut à souffrir de la gloire écrasante du grand Wes Montgomery. Il avait une famille à nourrir ainsi qu’une addiction à l’héroïne et toujours en manque d’argent, il enregistrait sans arrêt, sideman ou solo. C’est lui de tous les artistes qui a enregistré le plus.

Wes qui ne buvait pas, ne fumait pas et ne prenait pas de drogue est mort soudainement. A l’âge de 43 ans. Grant est mort peu de temps après au même âge.

—===—

J’ai passé beaucoup de temps à écouter Miles Davis ; Schubert, moins.

Je préfère Miles Davis. Je suis plus porté vers lui. Avec quelques amis gratouilleux, on s’amuse à étudier les standards du jazz. En ce moment c’est Stella by Starlight. C’est le plus standard des standards. On se fait des compilations du morceau. Il y en a trois versions dans le coffret Miles Davis at plugged Nickel. Deux dans Secret Sessions de Bill Evans. Charlie Parker l’a joué avec les cordes… C’est une grille harmonique un peu particulière pour les éternels débutants comme moi…

Sinon qu’écoute-je en ce moment ? Un peu de tout comme souvent. Angelo Debarre, un des meilleurs émules de Django ; j’écoute Xavier Cugat, Fairuz, Smokey Robinson au temps des Miracles…

—===—

Ecouter Monk me console de ma pauvre vie riche en misères…

Thelonious Monk. Un des plus grands artistes de jazz. Un ami m’a fait cadeau d’une photo prise chez la baronne, photo du piano à queue qui trône dans la grande pièce devant la baie vitrée qui regarde Manhattan au delà de l’Hudson., ou le contraire. Cette Nica qui l’hébergeait en ses années d’hébétude… Cette femme extraordinaire, mouton noir des Rotschild qui a protégé les jazzmen, qui les a soutenus et contre tout. Cette femme admirable chez qui Charlie Parker est mort devant une émission comique à la télé.

A propos de Monk il y a cette histoire. Miles Davis a dit qu’il était difficile de jouer les séries de chorus à cause de son accompagnement trop accidenté. Au point qu’il existe un enregistrement où Monk ne joue pas parce que Miles le lui a demandé. Ce qu’il a confirmé en infirmant la légende d’une agression physique envers Monk. On comprend que ses acrobaties puissent faire perdre le fil. Car Monk joue comme quelqu’un qui s’amuse à jouer. Chez les autres, les rares moments de fantaisies sont les citations, on cite d’autres thèmes pendant un solo et les amateurs de sourire dans la salle… Parfois c’est même involontaire ça vient sous les doigts, mais chez Monk ça va plus loin, il lui arrive de caser toute une portion d’un autre de ses propres thèmes qui colle avec l’harmonie. Sa façon de jouer bancale pour toujours retomber sur ses pattes déstabilise les solistes.

En tant qu’auditeur, chaque fois qu’on est dans une période Monk, on a du mal à écouter les autres pianistes. Il faut attendre un peu.

—===—

Quand ça arrivera, il ne me restera plus qu’à écouter les bluesmen, et m’identifier à leurs personnages qui chantent les tourments de l’amour. Un bluesman c’est un type dont la plupart des chansons commencent par : « Early in the morning » et qui ne se lève jamais avant midi. Ça doit être pour ça qu’elles les quittent le matin de bonne heure. Ils cuvent leur scotch. Elles ont le temps de bien plier les chemisiers, les jupes, pour faire leurs valises. Alors moi, pour m’y préparer, je fais une plongée dans John Lee Hooker, Cette année, je vais devenir un vrai spécialiste. Il est difficile de s’y retrouver, il a enregistré une centaine de disques. Ils ressortent sous toutes sortes de labels, souvent compilés n’importe comment. Boogie Chillen est son premier tube et le chef d’œuvre de ses chefs-d’œuvre. Le son et le mouvement de guitare qu’il a trouvés là sont irrésistibles. J’ai toujours préféré le boogie à la guitare au boogie-woogie joué au piano, et c’est surtout John Lee Hooker qui a donné une couleur plus excitante à ce style. Il y a beaucoup de guitaristes virtuoses et précis, Hooker est plutôt flou, un peu brouillon, mais pas si facile à imiter. Comme il le disait : « je ne cherche pas à acquérir une technique impressionnante, je me contente de faire fredonner ma guitare.  » Et il y a surtout sa voix, ses chansons…

—===—

En politique, on est à l’époque où l’on sait trop que dans le meilleur des cas, on ne peut qu’éviter le pire. Plus de perspective de grand soir. Plus aucune illusion pour une humanité paisible. Mais attention : la tiédeur tue la création, il faut se réinventer de la naïveté, la foi par la méthode Coué. On voudrait une humanité paisible et géniale.

Quoiqu’il en soit, ça valait le coup de venir sur terre ne serait-ce que pour Charlie Parker. Charlie Parker qui serpente en visant la note, tel le sumo japonais qui ne va pas direct au bifton qu’on lui offre, m’enchante. Pourquoi ne sommes-nous pas tous Parker ou équivalent ? Il se trouve qu’on n’est pas déterminés à l’être. Il est rare que je n’ai pas envie de l’entendre.

Sur l’île, j’espère que Vendredi ne sera pas comme ma première femme : pour elle il y avait deux sortes de musiques, la musique qu’elle ne supportait pas et la musique qui ne la dérangeait pas. Puisqu’on a le droit qu’à un seul disque, ce sera Charlie Parker.

Ces derniers temps encore, j’écoute les solos enregistrés par Dean Benedetti. Je crois que je vais les commander bientôt… Je ne peux pas écouter Charlie Parker dans toutes les pièces chez moi. Benedetti a enregistré avec de pauvres moyens de précieux moments.  Il enregistrait avec un magnéto à fil. Il n’y avait pas encore de bande. Il se glissait dans les clubs, planqué où il pouvait, parfois même dans les toilettes, et par économie il ne prenait que les solos de Charlie Parker. Alors vous entendez un thème joué par le groupe et ensuite le solo de Parker, puis on passe à un autre morceau…

Éditions Le Dilettante, 288 pages – 2 222 exemplaires – 20 €

Laisser un commentaire