Le ton est donné dès les premières mesures : ce seront des touches limpides du piano et le souffle lourd du bugle. Le pianiste Igor Gehenot et le bugliste Alex Tassel poursuivent leur collaboration entamée sur « Delta » en 2017. Un univers à la fois intimiste et flamboyant servi à merveille par les deux instruments dédiés.
Accompagnés par les volutes à l’orientale du saxophone ténor de David El-Malek qui trouve le ton juste entre les deux leaders (Cursiv). La rythmique présente sur Delta officie encore sur ce disque, signe d’une volonté de continuation sonore, qui assure une cohésion tout en participant au chatoiement des interprétations. A noter un jeu de cymbales très à propos de Jérome Klein.
Le bugle d’Alex Tassel n’est pas sans rappeler parfois des atmosphères à la Kenny Wheeler, mais aussi à la Dave Douglas (Little Boy), sur de longues étendues soufflées sur un tapis lancinant d’un piano qui reçoit la plainte mélodique. La présence du cinquième homme au saxophone réchauffe encore les entrelacs et donne une épaisseur aux croisements des chorus. Toutes les compositions sont originales et signées pour la plupart par le pianiste et l’écoute d’ensemble nous ravit par une production d’un jazz dont on peut faire l’économie de la classification. En effet, il en ressort une musique tout simplement dont l’orbite ne peut se satisfaire des clichés conventionnels sur le style. Il règne une véritable invention, tant dans l’écriture que dans l’interprétation. Le monde sonore ici gravé doit suffire à lui seul comme invitation à la découverte et à la délectation des sonorités diseuses d’aventures (Julia).
Un mot cependant sur l’exercice O combien redouté qu’est la relecture de standard. Sur cet enregistrement, figure le très fameux « I Remember Clifford« , hommage au regretté trompettiste mais aussi à l’instrument et à ses tours de force, traité par une ballade très mélancolique signée Benny Golson. Entré au panthéon des standards, ce titre est ici repris en duo piano-bugle sur un tempo très lent qui donne au souffleur toute latitude dans ses turnaround et nous permet d’entendre le souffle à côté du souffle. Très fidèle à l’écriture d’origine, le contre-chant est assuré par le piano, ou comment réinterpréter sans forcément casser les codes. Le final au piano restitue toute la profondeur lyrique de l’œuvre.
Combiné au son envoutant du bugle, le travail pianistique d’Igor Gehenot s’en trouve renouvelé, comme réhaussé d’une lumière qui vient éclater sur l’ébène et rend le chant plus percutant. Un vrai pianiste de trio, à la main droite de cristal, qui sait trancender son écriture pour le quintet et permet aux souffleurs de volubiler à leur aise dans un éclectisme qui sait rester académique. Ce qui fait toute l’originalité et la force de ce quintet.
Personnel :
Igor Gehenot – piano
Alex Tassel – bugle
David El-Malek – saxophone ténor
Viktor Nyberg – contrebasse
Jérome Klein – batterie
« Cursiv » est un album Igloo Records
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