
Nous avions déjà dit ici tout le bien que nous pensions du premier album d’Hugo Corbin, Inner Roads en 2018.
Aujourd’hui, le guitariste sort son nouveau disque intitulé Room To Dream, qui poursuit sa quête d’un espace intérieur à la fois littéraire et cinématique.
Il a réuni, pour ce faire, une équipe formidable au premier rang de laquelle se distinguent Monika Kabasele, dont la sincérité, l’apparente candeur et l’authenticité ne s’imposent jamais mieux que sur scène, comme nous avons pu le découvrir lors du concert de présentation organisé au Sunside le 20 mai.
Room To Dream marque une étape, une progression spectaculaire du discours musical au service d’une cohésion d’ensemble qui repose sur une communauté de valeurs, un savoir-être.
La Chambre A Soi de Virginia Woolf et l’univers cinématographique de David Lynch font office de références à l’œuvre enregistrée.
Nous évoluons ici dans un univers balisé, mais plus polyphonique, plus chamarré, dans une polyphonie organisée, basée sur une économie de moyens synonyme de plénitude.
L’inquiétude liée aux rumeurs du monde n’a pas disparu complètement, bien au contraire, et on se souvient du « rêve de choses sombres et troublantes » par lequel le cinéaste définissait son premier film important, Eraserhead.
Globalement, l’image du guitariste chorussant sur sa Telecaster « solid body » fait irrésistiblement penser à des figures telles que Mike Stern ou John Scofield, mais aussi à Ted Greene et Danny Gatton.
Nous sommes donc sur les terres d’un jazz fusion teinté de world music, sentiment encore renforcé par le rappel du concert True Love Waits, une composition marquante du groupe Radiohead.
Mais il ne s’agit pas d’un jazz fusion âpre et rugueux, comme pouvaient le proposer des formations telles Mahavishnu Orchestra, Steps ahead ou Return To Forever.
La relative douceur des arrangements rapproche la démarche du groupe des territoires arpentés par Uzeb ou Sixun.
C’est particulièrement évident sur Kaili, Ilo-Ilo et Breathe.
The Gatewa, The Man In The Planet et And The Sun Rises incarnent une face plus sombre de l’univers d’Hugo Corbin, avec un pacte sonique qui essentialise le lien entretenu avec Yoann Loustalot, en même temps que l’ouverture d’esprit qui le caractérise.
Il y a un prix à payer pour passer de l’ombre à la lumière, de la peur à la sérénité ; ce parcours traverse des zones convulsives qui lui sont propres, et le processus de métamorphose est ici développé de façon très progressive, rappelant parfois la musique du groupe Pink Floyd.
Les notes se détachent, s’émancipent s’égrènent une à une, couches successives, superposées, du canevas originel, chutant tels des oiseaux de l’arbre iridescent en forme de lavis sonore dessiné par le groupe.
Le timbre ouaté de la trompette bouchée prend possession de votre esprit, les interventions de Robby Marshall, qui improvise de longues phrases finement articulées de saxophone inspiré, le piano de Sandrine Marchetti qui sous-tend le travail du groupe, tel un soubassement harmonique pointilliste, Marc Buronfosse, aussi capable de syncopes jouées à la basse électrique que de rythmes swing à la contrebasse, ou encore de parties mémorables sur Fender VI, et partout la batterie tellurique de Srdjan Ivanovic, jouée aux mailloches, aux balais ou aux baguettes, que notre rythmicien manie de mains de maître, permettant au talent de compositeur d’Hugo Corbin, loué unanimement par ses musiciens, de se déployer complètement.
Et il y a ce chef d’œuvre, La Route De Sampo, un titre inspiré du recueil de nouvelles de Sok-Yong Hwang, que les talents réunis sur la scène du Sunside ont su traduire en notes de musique touchées par la grâce, conférant à l’instant une teneur poétique quasi-miraculeuse. Un superbe disque interprété magistralement en concert, tout en finesse, en sensibilité, dénué d’artifices comme de velléités par trop enjolivantes et séductrices, voilà qui fait un bien fou en un monde manquant cruellement de cohérence, mais que l’art et la culture parviennent encore à sauver lorsqu’ils sont aussi inspirés.
Musiciens :
Hugo Corbin – Guitare
Robby Marshall – Saxophone Ténor
Sandrine Marchetti – Piano
Monika Kabasele – Chant
Yoann Loustalot – Trompette, Bugle
Marc Buronfosse – basse, contrebasse, Fender VI
Srdjan Ivanovic – Batterie
Concert de sortie de disque le mardi 20 mai 2025 au Sunside :
©Photo Header, Jean-Pierre Alenda au Sunset.
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