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Le 14 novembre 2019, Tricia Evy (chant), Médéric Collignon (bugle, chant, effets électroniques), et Yvan Robilliard(piano) célèbrent la première soirée Couleurs Jazz Radio à l’Espace Jemmapes.

Les deux vocalistes, respectivement marraine et parrain de ce nouveau média web sans publicité, ne ménagent pas leurs efforts pour nous faire entrer dans un espace de créativité sans contraintes qui n’est pas sans évoquer l’essor de la bande FM et des radios libres.

Yvan Robilliard est le compagnon rêvé de ces extravagances existentielles, lui qui a déjà travaillé avec Médéric Collignon au sein de Jus de Bocse et qui, de fait, sait admirablement accompagner le côté trublion du personnage, sa nature histrionique, sa créativité débordante. De ce point de vue, le concert donné ce soir, étendu sur plus de deux heures permet au public étoffé réuni pour l’occasion de profiter d’un discours fleuve qui nous emporte dans un tourbillon temporel pour nous ramener à l’époque où les grands orchestres, de Duke Ellington, Count Basie et Chick Webb, régnaient en maîtres sur le jazz américain.

Ça tombe bien, d’ailleurs, puisque ce happening est placé sous les auspices d’un hommage déluré et sincère aux figures de Louis Armstrong, Ella Fitzgerald et le Duke lui-même (Elle, Lui et l’Hôte). Médéric Collignon est un spectacle à lui seul, combinant cuivres, vocaux multiformes et effets électroniques pour constituer un véritable orchestre en solo. Son chant exubérant, sa tessiture étendue et un dynamisme jamais pris en défaut font qu’il peut lancer, prolonger ou achever n’importe quelle phrase musicale en autant de divagations aussi virevoltantes que fertiles, dissimulant derrière des propos prosaïques une vraie profondeur au service d’une passion qui laissent une partie du public pantoise (ses blagues provocantes entre deux morceaux, ses citations de Thelonious Monk, de France Gall, sont emblématiques du personnage). Passant de l’infra grave au suraigu avec une aisance souveraine, il assure une large partie des structures rythmiques sur un modèle énoncé par les maîtres du scat, parachevé plus récemment par des chanteurs tels qu’Al Jarreau et Bobby Mc Ferrin. Loin de vouloir les concurrencer, il s’inspirerait plutôt, d’un point de vue technique, de formations vocales comme les Mills Brothers ou les Manhattan Transfer, émulant leurs velléités orchestrales, à cette différence près qu’il assume, lui, tous les registres en quasi simultané façon beatbox.

À ses côtés, Tricia Evy incarne, dans un savant jeu de lumières et d’ombres, l’aspect hot jazz indispensable à l’évocation de telles figures, à la fois influencielles et comme érigées en mythes par-delà le temps et l’espace. Sa présence scénique, sa capacité à imiter le timbre de Louis Armstrong aussi bien que le timbre d’une trompette, atteignent la proue du silence dans lequel nous a plongé leur disparition, et suscitent des moments de grâce qui contrastent avec les outrances rythmiques de son compagnon vocal.

Leur connivence sur le plan humain comble l’espace laissé vacant par leurs trajectoires artistiques respectives, le cornettiste protéiforme étant notoirement influencé par bien d’autres formes d’expression que celle du jazz mainstream.

Tricia Evy semble toujours s’inspirer du « Fais cortège à tes sources », de René Char, tandis que la filiation artistique de Médéric Collignon se situe plutôt du côté de Paul Gauguin et son « J’ai voulu établir le droit de tout oser ».  Pour ces raisons, le duet n’est jamais plus convaincant qu’en interprétant des classiques associés à l’un ou l’autre de ceux qui voulurent que la joie demeure, comme « On The Sunny Side of The Street », présent sur l’album de la chanteuse Usawa, ou « But Not For Me », ainsi qu’un « Caravan » déchainé, joué sur un tempo très alerte et empreint d’une vivacité infernale.

« Summertime » et « Stompin’ At The Savoy » satisfont davantage le côté cérébral des aficionados de jazz, incitant plus à l’analyse, à la mise en perspective et au recueillement, traversés des fulgurances produites par la science harmonique avancée d’Yvan Robillard, qui développe son talent d’artificier virtuose sur les touches noires et blanches (Médéric Collignon le rejoindra pour quelques mesures de clavier à quatre mains).

Une cérémonie intime qui témoigne du fait que le jazz est aussi spirituel par essence qu’il est effervescent par nature lorsqu’il s’adresse au corps en parlant le langage des origines.

Interprètes :

Tricia Evy, voix

Médéric Collignon, voix, Bugle, Effets

Yvan Robilliard, piano

Les photos sont de ©Patrick Martineau

Une autre chronique de cette soirée exceptionnelle, comme un miroir à celle-ci, fut écrite par Guillaume Lagrée avec d’autres vidéos et d’autres photos, vous pouvez la retrouver ici

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