La sortie d’un nouvel album de Carla Bley est toujours un évènement. Le dernier « Life Goes On » ne déroge pas à la règle. Dans la continuation des précédents « Trios » et « Andando el Tiempo » produits par le label ECM, la pianiste est accompagnée, le verbe est faible, par Andy Sheppard aux saxophones et son vieux compagnon de route, le bassiste et contrebassiste Steve Swallow.
L’enregistrement s’ouvre sur un blues, clin d’œil au titre de l’album ou perpétuation des racines ?
Autodidacte de formation, mariée à l’époque avec le pianiste Paul Bley, ce dernier lui fera découvrir le free-jazz par Ornette Coleman interposé, elle n’en oubliera pas les tréfonds qui mêlent encore aujourd’hui les soubassements de ses créations. Elle commence à se faire connaître dès le début des années 1960 et joue avec une quantité impressionnante de pointures venues d’horizons d’au-delà du jazz. De cette époque, restent des enregistrements qui constituent une référence d’influences musicales diverses, l’opéra jazz « Escalator over the Hill » par exemple. Elle poursuit son aventure enchevêtrée d’accents divers et complexes avec son Carla Bley Band, dans les années 1970-1980, avec forces cuivres et bois (saxophones, trompettes, trombone, tuba, cor) et une rythmique avec piano doublé à l’orgue.
La dame a aujourd’hui un âge qu’on peut presque annoncer, à ce moment c’est un compliment et pour une musicienne, une prouesse. Et pourtant la vitalité et l’inventivité sont toujours au programme, comme si la création survolait les âges. Elle revient ces dernières années en privilégiant la formule du trio, qui laisse plus de largeur de champ à son écriture bien souvent inclassable et avant-gardiste.
Tout le disque semble jouer sur les contours d’une introspection que mènerait le piano conjugué à la lente et profonde langueur de la basse qui sonne comme pour rappeler les heures. Toile savante qui soutient l’équilibre pianistique (Beautiful Telephone Pt. 1). Le son comme une invocation et subitement le surgissement plaintif du saxophone ténor de Sheppard, puisant dans la tessiture de l’instrument comme pour annoncer un crépuscule (Beautiful Telephone Pt. 2). Volutes désincarnées comme posées sur l’ébène bicolore pour tracer le chemin vers l’hamonie (Copycat : After You). Bluette jouissive sur le dernier Copycat comme une forme de réponse au blues introductif, sa soprane et martèlement sourd de la basse omnitruante.
Le disque entier est un monologue à trois, mêlé d’interjections qui se cousent les unes aux autres avec le piano comme aiguille (Life Goes On : And On). Une suite instrumentale comme nous y a habitués Carla Bley et qui donne son plein effet en y associant l’écoute des deux opus précédents. C’est aussi l’occasion d’entendre encore le jeu particulièrement incisif de Sheppard et percussif de Swallow qui acèrent la fausse tranquillité de la partition pianistique.
Présentée parfois comme une pianiste minimaliste, Carla Bley est en fait à la croisée des silences et de la note juste, Monkienne dans l’interprétation, elle est aussi la Eric Satie de l’écriture jazz.
Life Goes On est Hit Couleurs Jazz et en Sélection sur Couleurs Jazz Radio.
Interprètes :
Carla Bley, piano
Andy Sheppard, saxophones soprano et ténor
Steve Swallow, guitare basse
Distribué par : ECM 2019
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