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Hit Couleurs JAZZ

Posez la question suivante au premier alligator venu : « Quel est le disque de jazz que vous emmèneriez sur une ile déserte ? » et vous aurez invariablement la même réponse : « Ah non, un seul, c’est trop dur, donnez-moi le choix d’en emporter au moins trois ou quatre…»

Alors je ne dois pas être un alligator comme les autres. Pour moi la réponse est simple : « Le « On the Move » de Bob Mover avec Tom Harrell. »

Bob Mover, saxophoniste américain soprano, alto et ténor, s’il ne fait pas partie du panthéon des plus réputés de l’instrument est néanmoins un jazzman de grande classe, qu’on en juge par les musiciens avec qui il a tourné depuis 1973 : Charlie Mingus, Chet Baker, Tom Harrell, Jimmy Garrison, Kenny Barron, Albert Dailey, Ben Riley, Mike Nock, Lee Konitz, Paul Bley, John Abercrombie, Walter Davis Jr, Don Thompson, Victor Lewis, Benny Green…Voilà avec cette liste qui n’est pas close de quoi rassurer sur l’auguste compagnie de notre ancheur de service, et je vous fais grâce de sa discographie plus longue qu’un confinement sans concerts ni restaurants…

Quant à son complice pour cette occasion, l’immense trompettiste et bugliste Tom Harrell, est-il encore besoin de le présenter, sans doute le bugliste le plus complet, le plus technique, le plus mélodique, le plus…de sa génération et peut-être d’autres ! De ses débuts chez Stan Kenton dès 1969 jusqu’à aujourd’hui, il faudrait une nuit entière pour égrener sa discographie et la liste de ses partenaires. On se souviendra plus particulièrement des différents quintets qu’il a dirigés et bien sûr de sa collaboration avec Phil Woods. J’y ajoute ce somptueux disque en quintet à deux bugles avec Stéphane Belmondo enregistré avec Pierre Bousssaguet sorti en 1992 dans le cadre du festival Jazz aux Remparts de Bayonne.

À signaler aussi sur ce disque, la présence remarquable du bassiste George Mraz, lui aussi grand mélodiste de l’instrument, dont il nous gratifie de quelques belles envolées sur les plages de cet enregistrement. Un timbre profond et claquant reconnaissable à son chant qu’il institue en contre dans ses accompagnements toujours impeccables.

La moitié des morceaux joués sont des compositions personnelles de Bob Mover auxquelles s’ajoutent des relectures de standards particulièrement soignées.

L’album s’ouvre sur « Muggawump » entamé par l’alto aux accents trainants comme une insistance à le suivre sur des chemins plus tortueux avant que la dentelle du piano de Mike Nock n’ouvre la voie aux volutes cuivrées d’un Tom Harrell qui dans ses relances préfigure une suite de sarabandes infernales. Fin du morceau sur le premier dialogue de souffleurs dans une polémique d’échange pleine de verve et de tendresse en même temps.

Et puis il y a « Darn That Dream » intemporel standard de De Lange et Van Heusen, véritable joyau et tour de force de l’album sur lequel figure LE chorus Harrellien du millénaire !!! J’ai su que Bix, Clifford, Chet, Lee, Kenny, Woody et Freddie s’arrêtent de jouer là-haut chaque fois qu’ils l’entendent. Une véritable leçon de respiration continue sur un turnaround d’une poésie jamais égalée. Les enchevêtrements du bugle et du saxophone dans des échanges à voix douces, douces lignes parallèles ouatées…

Un George Mraz en grande forme qui joue du piano sur sa basse et un Peter Sprague à la guitare, moins effacé qu’il n’y parait en première écoute, digitalent du cristal qui enrobe, soutiennent et relancent les deux souffleurs (Saudade Do Brooklyn). Un magnifique solo de guitare où les tirés de cordes bluesy teintent parfaitement l’inspiration latino du morceau, repris à la trompette dans un style que n’aurait pas mésestimé notre regretté Claudio Roditi.

« Falsidade » part sur la voie de Jay Clayton entouré d’un nuage fait de l’aigu du soprano allié au registre grave du bugle, intro tout en splendeur qui ouvre sur les volutes sopranes d’un Bob Mover pleurant dans sa anche.

Les deux morceaux suivants « Milestone » et « Dancing in The Dark » sont des rajouts de l’import japonais d’une parution plus récente et qui ne figuraient pas sur le vinyl original. « Milestone » donne l’occasion d’entendre plus largement le guitariste Peter Sprague et Tom Harrell cette fois-ci à la trompette, le tout dans une facture d’interprétation plus classique.

L’album se termine sur un « Dancing in the Dark » entamé sur le même mode et le même ton que le « Muggawump » d’ouverture, un Bob Mover à la sonorité empruntant tout à la fois à Bird et à Frank Morgan dans un long solo joyeusement plaintif, Tom Harrell ne le rejoignant que pour quelques notes de contre-chant finales.

Un disque d’une expressivité sans failles, si ce n’est celles des interprètes qui transparaissent pour mieux magnifier les standards par une relecture de l’œuvre qui permet d’en redessiner une autre.  Des musiciens qui racontent des interprétations plus encore qu’ils ne les jouent, avec ce petit morceau de souffle inattendu qu’on redécouvre à chaque fois. Une poésie et une sensibilité partagées, comme un discours sans mot qui laisse les intentions pures se dévoiler au fil des notes.

À force de l’écouter, le disque va finir par s’abîmer, il faut que j’en rachète un neuf, parce que oui : c’est lui que j’emmènerai sur l’ile déserte.

Personnel :

Bob Mover – saxophone alto et soprano

Tom Harrell – trompette, bugle

Mike Nock – piano

Peter Sprague – guitare

George Mraz – contrebasse

Jeff Papez – batterie

Jay Clayton – vocal (3)

 

Distribué par Inner City Records – 1978

Enregistré au MacDonald Studio – février 1977

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