La musicienne, compositrice et chanteuse Munichoise Alma Naidu nous propose son premier album, dans lequel elle se révèle comme étant une musicienne très accomplie. Ses textes et ses musiques originales , ainsi que son interprétation ont su séduire des musiciens de grand renom qui, spontanément l’ont accompagnée pour ce projet très abouti et pas seulement prometteur.
Lors de son concert de sortie au Sunside, nous avons pu lui poser quelques questions.
- Bonjour Alma Naidu (prononcer Naïdou), pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?
- Bien sûr ! J’ai 26 ans, je suis une chanteuse de Jazz, je viens d’Allemagne. Enfin je suis devenue une chanteuse, ce qui n’était pas prévu au départ. Mais c’est arrivé. J’ai étudié le jazz. Et je viens de soritr mon premier album en février dernier (et en mars pour la France). Un album de mes propres compositions. Voilà en résumé qui je suis.
- Peut-on revenir sur votre parcours ou plutôt votre éducation musicale. Vous venez d’une famille de musiciens n’est-ce pas ?
- Oui en effet, mon père est chef d’orchestre et maman est chanteuse d’opéra. C’est sans doute pourquoi j’ai commencé très tôt… Bien que mes parents ne m’aient jamais pressée ou imposée quoique ce soit dans ce domaine.
©Photo Boris Breuer
- Évidemment il y avait un piano à la maison ?
- Évidemment il y avait un piano à la maison, oui ! je devais avoir 5 ans et j’ai commencé à l’utiliser en toute liberté et en rentrant de l’école j’allais directement au piano. Je n’avais pas le temps de raconter ma journée d’école, j’avais envie de jouer. Ce fut ma façon d’aborder la musique. Et à l’âge de 7 ans j’ai commencé le violon que j’ai pratiqué environ pendant 7 années. J’ai arrêté parce que le violon est un instrument exigeant et j’étais sans doute trop critique à mon égard. Je préférais le piano que je n’avais pas abandonné. J’ai pris des cours de piano classique bien sûr. Et très tôt j’ai aimé improviser sur le piano en essayant des accords, pas dans le sens des impros jazz, mais en laissant aller mes envies, en essayant des choses, des accords. J’aimais aussi apprendre les théories de la musique. Ça m’intéressait.
- Puis la guitare ?
- Oui à l’âge de 14-15 ans, j’en ai joué mais plus pour m’accompagner au chant . Je ne suis pas à proprement parler une guitariste, même si j’ai pris aussi quelques cours. J’en ai toujours une chez moi,dans ma chambre, je peux jouer pour m’accompagner au chant, pour le plaisir.
- Et vous êtes par la suite devenue une chanteuse. Comment cela est-il arrivé ?
- Ce n’était pas prévu au départ en fait. Mais je crois qu’en parallèle de mes autres activités, j’ai toujours chanté. Avec une mère chanteuse d’opéra !… Puis à l’école dans des chorales, des comédies musicales, de la pop. Le chant a toujours fait partie de mon environnement. J’ai toujours aimé ça. Même je me considérais plus comme compositrice, productrice. Mon travail se situait plus en backstage, derrière la scène. Et j’avais envie de composer de la musique de films. J’ai donc fait des musiques pour court-métrages. Mais je me suis aperçu que finalement on passe beaucoup de temps devant son écran d’ordinateur et pas assez avec les autres à faire de la musique sur scène. C’est ce qui m’a déterminée à prendre des cours de jazz car il y avait des classes d’arrangements et de compositions. Je n’avais que peu d’idées de ce qu’était le jazz à part comme tout le monde connaitre des standards. Voilà comment j’ai commencé à m’intéresser au jazz à travers le chant.
- Ainsi vous avez rapidement découvert que vous aviez des facilités là-dedans, quelques compétences…
- C’est vrai que j’ai travaillé ma voix toute ma vie au fond. Donc oui je peux être considérée comme une chanteuse mais qui compose, qui écrit sa propre musique. Je ne suis pas simplement ne interprète. Je me considère comme étant une musicienne.
- Donc à 26 ans -très récemment- vous êtes sur scène déjà depuis 10 ans, n’est-ce pas ?
- Oui c’est ça. A l’âge de 15 ans j’ai commencé des concerts organisés par l’école, des petites choses comme ça. Dès 16 ans j’ai créé mes premiers shows, puis mes premiers concerts jazz vers 19 ans. Lors de la semaine du jazz de Burghausen. J’ai chanté la partie soprano solo sur le « Sacred Concert» de Duke Ellington ainsi que dans divers Big Bands de Jazz. En parallèle du jazz, j’ai chaque année participé à au moins une comédie musicale (« Rosaly ‐ the Girl Made of Glass » en tant que Rosaly (Munich, 2016), « Highlights from Lion King » en tant que Nala (Salzbourg, 2017), « Lovemusik » (Musikalische Komödie Leipzig, 2018), « Jesus Christ Superstar » (Staatstheater Augsburg, 2019).
- Comment en êtes-vous venue au jazz finalement ?
- Ça a réellement commencé à l’université, un peu par hasard. Ce sont les cours qui m’ont amené à m’intéresser davantage au jazz. J’ai réalisé que cette forme musicale m’apportait énormément de liberté tout en me permettant d’intégrer les différentes influences que j’avais en moi. Voilà ce que j’ai fait pendant 4 ans à Munich, à la Hochschule für Musik und Theater avant d’aller en Angleterre une année à la Royal Academy of Music de Londres, étudier avec la chanteuse (artiste ECM) Norma Winstone. Juste avant que le Covid n’apparaisse.. J’y ai étudié beaucoup la composition, ce que j’aime particulièrement. Cela m’a permis de nombreuses rencontres avec des musiciens incroyables. Et avant ces études musicales j’ai étudié à l’université les sciences de la communication et la psychologie car je n’étais pas convaincue alors de choisir la musique.
« Je ne suis pas seulement une chanteuse ! Je voulais que cela soit clair dès mon premier album »
- Très rapidement vous avez pu faire vos premiers enregistrements auprès de grands musiciens jazz comme Wolfgang Haffner par exemple ?
- Oui, J’avais rencontré Wolfgang Haffner lors d’une Jam et j’ai été très heureuse qu’il m’invite à participer à cet album avec tous ces super musiciens. (Lars Danielsson, Christopher Dell, Simon Oslender, vincent Peirani, Ulf Wakenius…) Dans cet album ma voix joue un rôle d’instrument, ce que j’aime beaucoup. Ce fut pour moi une belle expérience. C’est ce que j’ai appris lors de ma formation à Londres, c’est qu’une chanteuse en jazz n’est pas forcément devant sur scène, elle peut simplement faire partie intégrante du groupe ou du big band au même titre que les autres instrumentistes, sa voix étant considérée comme tel : un instrument comme les autres. C’est intéressant également d’être une sidewoman. C’était également une belle expérience pour moi de voir comment Wolfgang interagit avec le reste du groupe, comment il organise les séances. Ce fut vraiment un moment inspirant.
- Oui j’ai vu également que vous faisiez partie du Bavarian Jazz State Youth Orchestra ?
- C’est exact, je fais également aussi partie du German jazz Youth Orchestra au moins pour une prochaine année encore. Les deux sont intéressants et me permettent de multiplier les expériences et les rencontres avec plein de musiciens-collègues de mon âge. Et de côtoyer des professeurs, dont certains sont fabuleux et dont je peux puiser mes influences. Ce retrouver ensemble dans ce groove. C’est physiquement important de se trouver plongée dans ces atmosphères dont je profite beaucoup. Nous avons par exemple des projets autour de la musique de Zawinul avec Joachim Becker qui me plaisent beaucoup.
- Oui et même le Jazzrausch Big Band, n’est-ce pas ? …que nous aimons beaucoup passer sur Couleurs Jazz Radio.
- Oui c’est vrai, j’adore jouer avec eux également. C’est toujours « fun » et un peu différent car le public est là pour danser à la base et ça se passe dans des « Arenas », ou de très grandes salles, toujours. C’est une ouverture du jazz à d’autres horizons.
- Revenons à votre « debut » album « Alma ». puisque c’est son nom et votre prénom, qui ne sonne pas très Allemand d’ailleurs ?
- C’est Espagnol en fait, ça signifie « soul », l’âme… ! En souvenir de la mémoire d’Alma Rosé, fille du violoniste Arnold Roséet de Justine Mahler qui dirigea le seul orchestre de femmes des camps et qui mourut à Auschwitz.
- Vous avez, pour cet album, réuni une véritable « Dream Team », n’est-ce pas ?
- Oui d’abord Wofgang (Haffner) à qui je faisais écouter mon projet a dit tout de suite qu’il désirait vraiment produire cet album et jouer dedans et forcément il en a parlé à son groupe habituel et j’ai pu les rencontrer, Simon (Oslender, piano), Claus (Fischer, Bass) et comme ils se connaissent si bien, ce fut tout de suite facile et évident. Ou encore des invités comme Nils (Landgren, trombone) qui joue sur le premier titre : « Just A World». Ou encore Dominic Millerqui est à la guitare sur « Wondering ». Puis Lars Danielson et Liselotte Ostblöm, suédoise, qui chante et m’a aidé pour les paroles.
- Tout cela s’est passé pendant le Covid ?
- Oui, tous les enregistrements se sont déroulés pendant cette période, fin 2020. Par exemple, Liselotte était basée à Londres, moi à Munich et nous échangions, essayant différentes choses.
- Et chose intéressante, c’est que pour un premier album vous avez écrit les paroles et les musiques que vous interprétez.
- A vrai dire ce n’était pas vraiment un choix, ça s’est imposé à moi. J’aurais pu faire un disque de standards, mais comme je l’ai dit je ne me considère pas d’abord comme une chanteuse, mais comme une musicienne compositrice. Donc pour Mon premier album c’est cela que j’avais envie de mettre dedans.
- Oui j’entends bien ça. Mais écrire des paroles, c’est encore une autre chose ! D’ailleurs qu’est-ce qui vient en premier, les paroles ou la musique ?
- Presque toujours la musique en premier ! Sauf en effet pour la première chanson « Just a Word » pour laquelle j’ai d’abord écrit le texte, puis j’ai écrit la musique. Mais c’est en général l’inverse. Mes textes parlent principalement de choses qui m’émeuvent. Mes préoccupations concernant la nature par exemple,
- Des sujets d’une jeune femme de son époque ?
- Oui, depuis deux ans mes sujets sont plus tournés vers la politique, le féminisme, tous ces sujets qui ont de l’importance pour moi.
- Seulement pour deux chansons vous n’avez pas écrit les paroles ! « Interlude» et « And so it Goes » ?
- (Rire) Bien sûr puisque « Interlude» est sans paroles et j’aime beaucoup cette chanson de Billy Joël « And so it Goes »
- Et le scat ? une caractéristique fréquente du chant Jazz…
- Je scatte assez souvent sur scène, bien sûr comme par exemple hier soir (Au Sunside) mais ces chansons pour l’album ne s’y prêtaient pas forcément, même si je l’utilise un peu. La raison est que je ne souhaitais pas montrer dans ce premier album, tout ce dont je suis capable !
- Ce n’est pas un album de démonstration, nous comprenons très bien.
- En effet, par exemple j’improvise beaucoup sur scène, mais pour cet album enregistré en studio je voulais montrer d’autres choses ; cette musique ne le nécessitait pas davantage. Ça ne signifie pas que je me l’interdise dans le futur pour un album futur de standards par exemple, pourquoi pas… ?
- A l’écoute de ce premier album, nous avons l’impression que presque tout vous est permis. Êtes-vous tentée par d’autres styles de musiques, du jazz plus classique, du Hip-hop, du rock, du lyrique, que sais-je ?
- Je ne sais pas, j’aime aussi le Free jazz, et plein de styles musicaux différents. Je ne planifie pas. On verra ! j’écris ou je fais la musique qui me vient sur le moment. Je peux changer. Et finalement c’est l’auditeur qui décide quel style il y trouve. Il peut penser que c’est du jazz ou pas. Ça le regarde. Je ne veux pas entrer là-dedans.
- Est-ce que vous pensez que le jazz vous enferme dans une certaine définition ?
- Non, ma propre définition du jazz est que c’est une musique ouverte qui peut s’élargir, s’étendre…L’univers du jazz est si large. Le jazz c’est la liberté sans bornes, tout en n’ignorant pas d’où il vient. Le jazz c’est aussi l’interaction entre les musiciens et puis ça change tout le temps. C’est si important pour moi de pouvoir faire de la musique live, de jouer avec d’autres, commencer même une chanson pop qui ne comporte que deux accords, puis s’en échapper…
Interview réalisée à Paris en terrasse d’un café de la rue des Lombards le 24 mars 2022.
Personnel :
Alma Naidu, compositions, chants
Wolfgang Haffner, batterie
Simon Islander, piano et Fender Rhodes
Claude Fischer, basse
Nils Landgren, trombone
Lars Danielsson, violoncelle
Liselotte Ostblöm, chants
Dominic Miller, guitare
Alma est sorti sous le label Cream Records, JMS
©Photos Lena Semmelroggen
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