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« White Night » … Uriel Herman

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Depuis quelques années, nous suivons avec une attention particulière, la création musicale d’Uriel Herman, ce grand musicien venu d’Israël et qui sera en France cette année pour la deuxième fois, en particulier à Coutances au Festival Jazz sous les Pommiers. 

Uriel nous propose cette fois un projet étonnant et original qui montre encore l’étendue de ses inspirations :

« C’est le plus grand projet live que nous ayons réalisé jusqu’ici. C’est une histoire à propos d’une cérémonie chamanique dans la jungle du Costa Rica qui m’a inspiré pour l’écriture de cette Rhapsodie. C’est une pièce de 20 minutes pour mon Quartet et mon Orchestre, et elle passe par les 8 étapes de la nuit. J’espère vraiment que vous aurez le loisir de vous plonger dans cette pièce, car c’est un voyage merveilleux et stimulant. »

L’écoute de cette rhapsodie a inspiré l’écrivain Natan Odenheimer dont nous avons le plaisir de vous proposer ici le texte :

Nuit Blanche

Un homme veut que ça change. Il ne sait pas si ce qu’il veut changer c’est lui-même ou bien le monde. Il est perturbé, par ces événements qui accompagnent parfois des tragédies personnelles liées à la perte, dans ce cas précis : la perte d’un amour. Sans doute y pensait-il souvent, et il aurait dû l’avoir vu venir. Mais encore une fois, comment pouvez-vous vous préparer en tentant de l’empêcher ?

Vous ne pouvez pas. Il reste perplexe. Il a cru que leur amour était réel, plus réel que la plupart des choses qu’il a vues ou ressenties. Cette chose, l’amour, était palpable, par le souffle et la respiration. Et puis, ce n’était plus. Il a essayé de faire les choses correctement avec elle, expliquer, croyant qu’il s’agissait d’une question de communication. Après des mois de fouilles dans sa mémoire et sa misère, il se rendit compte qu’elle ne l’avait pas laissé à cause de ce qu’il faisait ou ne faisait pas. Elle l’a quitté.

L’homme est sur un sol étranger, du côté lointain de l’océan Atlantique. Son père est avec lui. Ils viennent d’une ville fortifiée et sanctuarisée. Une sorte de caractère sacré que l’homme n’a jamais voulu embrasser. Son père l’a invité à une cérémonie, c’est pourquoi ils ont parcouru tout ce long chemin vers cette jungle lointaine. Pour les accueillir au village, sur le sommet de la colline, un ami du père. Le désert s’étend à leurs pieds et l’ami instruit l’homme sur la cérémonie. Ils porteront du blanc, se rassembleront à la tombée de la nuit, s’assiéront sur le sol en un grand cercle et boiront trois tasses d’un puissant remède.

Il y a une curiosité à propos de cet endroit. C’est un village composé d’hommes et de femmes pâles qui choisissent de vivre à l’état sauvage, en promouvant des rituels de cultures dans lesquelles ils ne sont pas nés, en les recréant pour invoquer… Pour invoquer quoi ? Se demande-t-il en silence.

Vient le soir, une excitation anticipée l’envahit. La nuit blanche commence par un rassemblement. Les gens sont assis en un grand cercle. Les chamans et les musiciens, le cercle intérieur et le cercle extérieur sont composés d’hommes et de femmes assis séparément. Certains sont même accompagnés d’enfants. Il y a aussi des gardiens – des villageois expérimentés à propos du remède et qui s’assurent que les participants ne se perdent pas dans quelques transgressions.

Après le coucher du soleil, la foule se lève, et l’homme chemine avec les autres pour avaler la première tasse. Il y a deux files, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. Il est inquiet. Au cours des derniers mois, il a plongé de plus en plus profondément dans sa propre misère. Lors de cette expérience forte, à quelles angoisses sera-t-il obligé de faire face?

Il arrive à la table et reçoit une coupe pleine du remède. À mesure que la coupe s’approche de ses lèvres, il s’aperçoit que les femmes d’une autre file sont debout devant lui, reproduisant son propre mouvement. Leurs yeux se croisent dans un geste presque imperceptible.

Il revient s’asseoir près de son père. Les mélodies jouées par le musicien l’entrainent dans des pensées qui parcourent son esprit comme des souris affamées. Il respire, laissant le philtre l’emmener ailleurs et en effet, il est ailleurs. Il ferme les yeux, mais les images et les souvenirs se répandent de manière désordonnée dans son cerveau, essayant de trouver des réponses à des questions sans nom.

Sa santé mentale est-elle en danger?

Plus il essaie de s’accrocher à sa santé mentale, plus il est enchevêtré dans ses souvenirs et ses craintes. Alors, il laisse faire, …quoi ? Il n’a plus besoin de savoir. Les formes et les lumières qu’il voit les yeux fermés sont brillantes, sensibles, intriguantes.

Quand il ouvre les yeux, son père tremble dans une position gênante, à même le sol.

Le père demande au fils d’une voix faible : Es-tu ok?

  • Oui père, répond l’homme, je vais bien. Et vous ?

S’assurant que son père va bien, l’homme se lève et regarde autour de lui. Un cercle de personnes vêtues de blanc. Il fait partie d’un tout, d’un tout dont il n’a jamais eu conscience.

La deuxième tasse de la puissante infusion est versée. Encore une fois, il se lève, ingère le liquide amer et se met de côté, cherchant un endroit pour se recroqueviller sur lui-même. Certains hommes, comme son père, tremblent, d’autres vomissent. Il trouve un morceau de terre inoccupé, s’y allonge et se noie.

  • C’est dur, vous ne supportez pas ? lui demande l’un des surveillants.
  • Je suis bien, seul.

La cérémonie se poursuit. Tous les participants ne sont pas dans la file pour la troisième et dernière tasse. Pour son père, deux tasses étaient assez ou de trop. Il revient s’asseoir sur le sol près de son père qui se bat toujours avec lui-même.

L’homme retrouve son calme. Ses yeux regardent la foule, les bois, les cieux, laissant descendre la scène sur lui, le monde extérieur venant à lui avec sa beauté et tout ce qu’il contient. Les femmes de la file sont assises quelques rangées devant lui et leurs yeux se rencontrent. Ils se regardent, se racontent des histoires sur eux-mêmes sans prononcer de mots, sans ego. Un rythme monte en lui ; Il commence par des bourdonnements lents, une chanson du matin qui se transforme en une mélodie abrupte, une réminiscence de quelque chose qu’il doit avoir entendu ou ressenti. Le ciel lent et gris se transforme en une orgie de rouge de jaune et de blanc. Les enfants, endormis pendant une bonne partie de la nuit, sont maintenant parfaitement éveillés et leur jeunesse joueuse le fait sourire. Le bourdonnement qu’il a perçu auparavant, maintenant bruisse dans ses oreilles. L’homme permet à la musique de transformer ses bras et ses mains en instruments. Il y a un gros rocher là-bas, et il danse au sommet de cette scène naturelle jusqu’à la fin de la cérémonie.

Le rassemblement se poursuit. Lorsque les gens s’éloignent pour se reposer, il se retrouve face aux femmes avec lesquelles il a parlé avant. L’harmonie qu’il a entendue pendant la cérémonie joue toujours des mélodies dans son corps qui danse encore.

Quand le moment arrive, ses yeux sont grand ouverts.

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