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Mette Henriette Martedatter Rølvåg assise lors d’un concert à Oslo. À côté d’elle, Manfred Eicher, fondateur du label allemand ECM. Ils commencent à discuter. Etape suivante, c’est Mette Henriette sortant son premier double album sous l’aile d’ECM.

La carrière de la saxophoniste norvégienne a connu une ascension rapide et son premier album en tant que saxophoniste leader ne ressemble à rien d’autre autour. Élégante et douce, puissante dans sa délicatesse, elle prend directement aux tripes et réussit à imposer une personnalité qui est réaffirmée par ses performances en live. Henriette Nørstebø au trombone, Lavik Larsen à la trompette, Johan Lindvall au piano, Andreas Rokseth au bandoneón, Odd Hannsidal et Karin Hellqvist aux violons, Bendik Foss à l’alto, Gregor Riddell au violoncelle, Per Zanussi à la contrebasse et à la scie et enfin Dag Erik Knedal Andersen à la batterie. Le jeudi 3 novembre, à 20h, après le Quatuor de Julia Hülsmann, la lumière change.

Ignifugée, robuste, puissante, brute, dure, dépouillée, fraiche, pointue, forte, lourde, délicate, intime, bavarde, légendaire, magique, épique, ancestrale, traditionnelle, glaciale, douce, méditative, contrôlée, curieuse, invisible.

Invisible.

Déjà ça circule sur la peau.

Ça se sent.

Et un château se construit. Dans le sable, l’air et la glace et hors des respirations bloquées à l’intérieur des poumons des auditeurs, choqués et déconcertés, ne sachant pas quand exactement applaudir

“J‘aime le son il est invisible, il trouve son chemin à travers la peau, il vous emmène en des lieux, le temps et l’espace.

Quels lieux elle est capable de construire. Quels délais, quels scénarios, quelles progressions, quelles histoires, voyageant sur ses notes et ses harmonies, attendant d’être dites.

Mette Henriette est née il y a 26 ans, dans les extrémités les plus froides et les plus septentrionales d’un novembre norvégien. Elle était beaucoup de choses comme enfant, mais surtout, elle était un auditeur. Elle écoutait le son des oiseaux, le son du magnétophone de son grand-père, le son de la chocolaterie en face de sa maison. Et puis, elle eut un saxophone.

Quand on l’entend le dire ; même dans la manière dont elle prononce le mot. C’est presque comme si elle disait le  mot «sexe». Une métaphore appropriée.

“Et j’ai eu un saxophone.” Et c’était parti “Je pouvais imaginer des histoires sans les mots. Le temps s’évanouissait”.

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Le nom Mette Henriette porte l’héritage Sami avec fierté. Métaphoriquement, elle met ses ancêtres dans une bouteille en verre et les jette à la mer, cachés dans ses compositions soufflantes et intérieures. Elle est puissante, le cœur tourné vers l’avant, les yeux à demi clos, regardant au-delà de l’horizon.

Ainsi, elle crée un personnage. Elle refuse les applaudissements, come un Bob Dylan, elle s’en fiche. Elle est une créature méditative.

L’auditorium tout entier est impliqué. Son ensemble, composé de onze musiciens au total (c’est leur première mondiale), crée ce discours apparemment non-communicatif. Mais il y a de la communication. L’espace lui-même parle.

Parle, parle, parle, parle.

Comme le groupe de Mark Hollis.

Mark Hollis aimerait ça.

Une histoire se raconte. C’est un voyage. Mette Henriette est chef d’orchestre qui de son sax et de ces mouvements de mains subtils guident cette grande aventure. À travers cette grande salle de concert, dont les poutres orbitent autour du groupe. Toutes ses caractéristiques sont utilisées ; Un rideau tombe et construit un mur translucide, éclairé de rouge : et là Mette joue, à quelques centimètres de lui. L’éclairage passe du bleu au gris, au violet, au rose.

Au rouge.

Jazz en rouge. Comme le rouge que Ravi Coltrane portera, jouant deux jours plus tard dans le même endroit. Comme le rouge du toucher du saxophone en colère de son père.

Et dans la douleur

mais presque

amoureux.

Mais point d’echo de John Coltrane ici. Pas une goutte de sa sueur ou de son passage.

Il ya un mantra, cependant. Comme un amour suprême. Comme les deux dernières notes de cette phrase mythique que répéta John Coltrane, en transe.

Un amour su-prême.

Un amour su-prême.

Un amour su-prême.

Pourtant Mette Henriette danse à l’intérieur des normes, dédiée toute entière à l’improvisation pure et épique.

Et éventuellement, son jazz, aussi, devient rouge.

Parce qu’il sonne comme la musique de l’enfer.

Parce qu’au milieu d’un tourbillon de cordes, de vents et de percussions et recouverts de cette épaisse lumière rouge, Mette Henriette et ses dix soldats font de la musique qui pourrait être la mélodie de la fin du monde.

Une écoute ciblée. Un appel à la délicatesse qui se transforme soudain en rugissement. Exploration du son avidement, profondément, engagé avec le cœur et l’âme et la peau et le bout de la langue.

Plane un sentiment de désorganisation. Mais c’est un fantasme. C’est faux. Le public, une fois déconcerté, comprend finalement que tout cela fait partie du voyage complet. Comme un train sans arrêt. Il n’y a pas lieu d’applaudir. Il n’est pas nécessaire d’interrompre. Il ne doit pas y avoir de rupture.

Et ainsi se produisent les crescendos. Des montées et des descentes et les mantras répétés et les musiciens communiquent et Mette ferme les yeux et jamais, jamais, jamais, jamais ne sourit.

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Pas de sourire.

Pas de douleur.

Pas de regards dans les yeux.

Elle est une conteuse. La shaman. La pilote.

Elle tisse dans l’émotion sans aucune attente.

Les Sensations jouent un grand rôle, mais sa musique n’est pas conventionnelle. Elle n’est pas traditionnelle mais elle porte la tradition. Ce n’est pas légendaire mais ça sonne comme une légende.

Les musiciens tirent les frontières de la musique dans une tentative désespérée de quête pour la transformer en quelque chose qui parle d’au-delà.

L’héritage Sami porté avec fierté.

Les sons de l’enfance portés avec amour.

Pas de peurs des extrêmes. Qu’ils soient en bas ou en haut.

Le voyage est si évident qu’il fait que tout sonne exactement comme il était censé sonner. Un tel grand ensemble et pourtant le contrôle est absolu. Une étude active du son. Trances et idées. Une musique qui vient d’au-delà. Résonne et s’exprime comme si elle avait existé auparavant. Comme si elle avait déjà prononcé ces mots avant.

Le premier mantra réapparait. Mette Henriette choisit la première piste.

Passé*.

Le passé. C’est le passé maintenant, mais tourné vers le présent. Encore.

Le piano porte. Les incursions sax les plus douces. Le passé.

Passé*.

Et c’est la fin. Elle sourit pour la première fois.

Mi-souriante, mi-sérieuse. Son saxophone toujours enraciné dans le plus lointain.

Comme un sourire de Mona Lisa, retranché dans le mystère.

(*) en français dans le texte

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