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Il fallait vraiment avoir envie d’écouter de la musique live ce mercredi 21/12 par une pluie diluvienne. Les lignes de métro qui mènent du Sunside à mon humble demeure étant en travaux à partir de 22 heures il me faut me résoudre à prendre le scooter. Arrivé trempé comme une soupe rue des Lombards je n’ai qu’un seul souhait : que Rebecca Martin et Larry Grenadier jouent « Here’s that Rainy Day » pour m’aider à sécher !

Larry Grenadier sourit quand je lui fais la suggestion. Il ne se souvient pas de moi mais quand je lui rappelle que je l’ai interviewé voici quelques années avec le trio Fly (Mark Turner au sax ténor et Jeff Ballard à la batterie) dans leur hôtel parisien il se souvient et me présente son fils qui les accompagne dans cette tournée.

Rebecca Martin, quant à elle, est ravie d’apprendre que j’ai chroniqué un de ses disques il y a de cela pas mal de temps. Mais il est l’heure pour eux de commencer le premier set qui débute avec une chanson de Blossom Dearie. Qui se souvient de cette délicieuse chanteuse-pianiste qui vécut un temps en France  dans les années 60? La voix de Rebecca est plus ample que celle de Blossom Dearie et bien qu’elle ne donne pas toute sa puissance dans le contexte intimiste du duo on sent qu’elle est capable d’une belle gamme de nuances. Larry annonce le programme : des standards, des chansons de Rebecca et quelques solos de basse ici ou là. La voix de Rebecca est un peu à mi-chemin entre un sprechgesang décontracté et un chant jazz gorgé de sève qui module les inflexions avec un phrasé plein de tours et de détours. Par moments elle s’accompagne discrètement à la guitare acoustique et l’on bascule dans une atmosphère plutôt folk tandis que le soutien de Larry se fait plus discret. Quand la basse joue en solo, par contre, elle déploie en pizzicato un drive impressionnant doublé d’une sonorité magnifiquement timbrée. A l’archet, le jeu de Grenadier est d’une grande justesse et il tire de l’instrument des inflexions très expressives, loin de toute démonstration de virtuosité. On a l’habitude d’entendre Grenadier avec Brad Mehldau ou avec Fly, mais là c’est une partie du répertoire de son superbe CD en solo (The Gleaners/ECM) qu’il nous offre live et c’est à la fois très beau et très impressionnant. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que Larry Grenadier est l’un des plus grands bassistes de la scène jazz mondiale ! 

Mais revenons à ce couple qui nous fait pénétrer dans l’intimité de sa complicité musicale.

Sur « Brother, Can You Spare a Dime ? » la voix de la chanteuse s’éraille un peu comme pour épouser le sens des paroles que malheureusement une partie du public ne doit pas comprendre. Car outre une vocaliste à la personnalité attachante Rebecca Martin est une grande conteuse et chacune des chansons qu’elle interprète est une brève histoire qui  se déroule pendant quelques envoutantes minutes accompagnée par la walking bass souple de Larry Grenadier.

Ces deux-là savent installer une atmosphère et le public est conquis par le charme de ce duo.  Et quand ils abordent « Lush Life » (de Billy Strayhorn) dont on connaît des dizaines de versions (et dont je conseille à tous les non anglophones de se faire traduire les paroles) le moins que je puisse dire est que leur version est une des plus émouvantes qu’il m’ait été donné d’écouter. 

Le second set débute avec « Willow Weep for Me », un standard qu’on a entendu mille fois, entre autres chanté par Billie Holiday et la version de Rebecca Martin et Larry Grenadier tient largement la route.

Si la voix est toujours touchante il faut dire qu’on a rarement l’occasion d’entendre le bassiste jouer sur des grilles aussi classiques et c’est un délice de l’entendre s’exprimer sur ces harmonies historiques. De même pour le « But not for Me » de Gershwin qui suit et sur lequel Grenadier prend un solo pêchu et cantabile qui se démarque à peine de la mélodie avant que Rebecca ne reprenne les paroles avec un phrasé d’une totale décontraction.

Mais il se fait tard et le duo attaque « Everything Happens to Me ». Ca tombe bien car moi ce qui m’arrive c’est qu’il faut que je songe à rejoindre mes pénates.

Si le patron de Couleurs Jazz réussit à mettre cet article en ligne dans la journée de vendredi 22/12, les parisiens qui le liront pourront encore se précipiter au Sunside où le duo se produira à nouveau à 21h30.

©Photos Patrick Schuster

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