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Lectrices érudites, lecteurs savants, je vous recommande  vivement la lecture de la Somme historique de la Citoyenne Maryvonne de Saint Pulgent,  » Les musiciens et le pouvoir en France. De Lully à Boulez « . 

L’auteure connaît la Musique. Premier prix de piano au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, professeur associé de musicologie à l’université Paris IV.

L’auteure connaît le Pouvoir en France. Diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENA, Conseillère d’Etat, directrice du Patrimoine au ministère de la Culture, directrice de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (aujourd’hui Centre des monuments nationaux), directrice du concours d’entrée à l’ENA (aujourd’hui INSP) pour 2013. J’oublie bien d’autres fonctions, titres & honneurs de l’auteur. Née Maryvonne Le Gallo, elle est l’épouse de Noël de Saint Pulgent, diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole nationale des ponts et chaussées (X-Ponts), ancien président de l’Association d’entraide de la noblesse française.

C’est dire si la Citoyenne Maryvonne de Saint Pulgent est la personne la mieux placée pour écrire un livre d’histoire sur  » Les musiciens et le pouvoir en France. De Lully à Boulez « .

Un regret pour l’amateur de Jazz. La France est le seul pays au monde à posséder un Orchestre national de Jazz payé par les contribuables pour faire rayonner la France par le Jazz. Orchestre aujourd’hui dirigé par une femme, la Citoyenne Sylvaine Hélary déjà saluée sur ce blog. Orchestre créé au début de l’année 1986 alors que la République française avait pour Président François Mitterrand, pour Premier ministre Laurent Fabius & pour ministre de la Culture Jack Lang. L’Orchestre National de Jazz ne cesse de créer depuis 1986 malgré les changements de directeurs d’orchestre, de gouvernements et de majorités parlementaires. Il est regrettable que les conditions politiques de la création et du maintien de cet orchestre unique au monde ne soient pas étudiées dans cet ouvrage.

Autre regret factuel. Des erreurs de dates fâcheuses dans un ouvrage aussi sérieux. Cela pose question quant à la relecture de l’ouvrage avant publication. Deux exemples parmi d’autres. 

Page 138, les 100 ans de la Révolution française en 1889 sont placés sous la Ve République alors que c’était sous la IIIe. Confusion avec le Bicentenaire en 1989 sous la Ve République. 

Page 261, le texte de présentation de l’image n°57 est intitulé  » Les tempêtes sonores de M. Edouard Colonne laissant échapper un pianissimo « , caricature publiée dans Le Rire, vers 1830, Bibliothèque historique de la ville de Paris. Edouard Colonne (1838 – 1910) a fondé les concerts Colonne, toujours en activité en 2025, en 1873. La caricature ne peut donc dater de 1830. Selon Wikipedia, elle date de 1890 ce qui est plausible. 

Ces deux réserves étant posées, je ne saurais trop vous recommander, lectrices érudites, lecteurs savants, la lecture du livre  » Les musiciens et  le pouvoir en France. De Lully à Boulez.  » de la Citoyenne Maryvonne de Saint Pulgent.

L’ouvrage comporte 86 illustrations choisies avec goût entre portraits officiels et caricatures de Lulli à Boulez.

La thèse de l’auteure, qu’elle démontre par maints exemples, est qu’il existe en France, du Royaume  à la République en passant par l’Empire,une relation unique entre les musiciens et le pouvoir politique. De par la centralisation et parce que l’Etat modèle la société alors qu’en Angleterre, autre pays centralisé (Londres est la capitale économique, politique, scientifique et culturelle de l’Angleterre comme Paris l’est de la France), c’est la société qui modèle l’Etat. Certes Haendel a écrit des musiques pour les fêtes du Roi d’Angleterre Georges Ier (  » Water Music  » en hommage à la Tamise) mais Haendel était Allemand et Water Music est écrit sous influence de la musique française, celle de la cour de Louis XIV.

C’est justement avec Louis XIV que commence cette histoire, par cette relation unique entre Maître, le Roi Soleil et Serviteur, le Florentin Giovanni Battista Lulli naturalisé Français sous le nom de Jean-Baptiste Lully. Cf vidéo sous cet article filmée à Florence dans un palais des Médicis.

Lully était accusé de moeurs florentines (des rivaux jaloux probablement), d’une cupidité inextinguible (par La Fontaine qui resta fidèle à Fouquet malgré la disgrâce royale), de ne pas écrire de musique française (il était Florentin) mais il sut à merveille flatter le Roi en le plaçant au centre de ses créations.

Louis XIV, excellent guitariste et excellent danseur (selon les avis de l’époque), dansait dans le rôle d’Apollon, le Dieu Soleil, au milieu de ses jardins de Versailles, dans un ballet composé par Lully. Rien ne pouvait le flatter plus. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute Cette leçon vaut bien un fromage sans doute écrit Jean de La Fontaine dans  » Le corbeau et le renard  » et Lulli vivait très bien aux dépens du Roi donc du Royaume de France. Son fromage était gras. Louis XIV était Florentin par sa grand-mère, Marie de Médicis, mère de Louis XIII mais cela n’explique pas ses faveurs. Une telle symbiose entre musicien et chef d’Etat est unique dans l’histoire de France.

A chaque période de l’histoire de France, ses musiciens attitrés du pouvoir en place. Jean-Philippe Rameau sous Louis XV. Gossec et Grétry sous Louis XVI. La Révolution française trouva son chantre avec Méhul. La musique révolutionnaire a la double face de Janus: « belliqueux lorsqu’il est utile d’exciter les passions populaires, harmonieux lorsqu’il convient de les calmer  » (p 147). Napoléon Bonaparte a eu lui aussi besoin de musiciens pour chanter sa gloire: Lesueur & Spontini, un autre Italien. 

Le chapitre 6 intitulé  » Le cas Berlioz  » montre les difficultés sans nombre auxquelles se confronta Hector Berlioz pour faire reconnaître son génie. Ses idées coutaient très cher et il n’avait pas un Roi de Bavière pour mécène comme Wagner. Sa reconnaissance fut en fait posthume à commencer par son enterrement auquel participa toute l’institution musicale en place. Cf extrait audio au dessus de cet article.

Vient ensuite au chapitre 7  » la crise allemande de la musique française  » avec Offenbach, immigré juif allemand et Saint Saëns, résistant à la tempête Wagner. 

Le chapitre 8 est consacré à un mal typiquement français, qui n’est pas réservé à la musique,  » la guerre des écoles  » entre Gabriel Fauré(le républicain, Grand Maître du Conservatoire) et Vincent d’Indy (le monarchiste fondateur de la Schola cantorum).

 » L’invention d’une politique culturelle des années folles au Front Populaire  » est racontée au chapitre 9 avec le Groupe des Six. Ils jouaient à Paris au Boeuf sur le toit, d’où l’expression des jazzmen français, faire le boeuf alors que les jazzmen américains font de la confiture (jam session).

Enfin le chapitre 10 et dernier est consacré à  » l’Etat providence musical: Boulez et Landowski  » . Là, l’auteur s’amuse à nous décrire l’inextinguible appétit de pouvoir et d’honneurs des deux rivaux, Pierre Boulez & Marcel Landowski. Moins visible, Marcel Landowski laissa la trace la plus durable par ses réformes de l’enseignement de la musique.

La place de Pierre Boulez qui se fit créer un Institut sur mesure, l’IRCAM et une salle de concert sur mesure, la Philharmonie de Paris est contrebalancée par son influence sur la musique de son temps. Qu’en reste t-il en 2025 à part un centenaire à célébrer?

Le compositeur français du XXe siècle le plus joué et le plus reconnu dans le monde n’a jamais quémandé la commande publique. Il n’en avait pas besoin pour être joué et aimé. Il s’agit de Maurice Ravel bien sûr, amateur de Jazz d’ailleurs.

©Photo Header – Francesca Mantovani

L’original de cette chronique est à retrouver sur l’excellent Blog de Guillaume Lagrée, Le Jars Jase Jazz.

Ce livre estpublié chez Gallimard, Paris, 2025. 535 p.

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